Il était une fois un homme dans son hiver. Ce n'était pas un hiver long ; c'était un hiver de toujours. D'aussi loin qu'il y songeait, l'homme avait connu l'étreinte de la glace.
Avant, il avait été un enfant, mais il ne s'en souvenait plus. Sa mémoire avait pris au froid, un jour qu'il s'était attardé hors du foyer, s'amusant à expirer fumées et volutes pour égarer son regard sur les choses. Une poignée d'heures plus tard il n'avait pas retrouvé son chemin. Ce n'était pas une fugue, simplement une escapade qui avait mal tourné.
De la joie au givre, il n'y a qu'une poignée de degrés. Du givre au dégel, il y a une infinité de millièmes de seconde.
L'enfant avait attendu le printemps et le printemps n'était pas venu. Alors il avait décidé de faire de cette banquise une terre d'errance - pour le temps que cela durerait. Sa jeunesse avait passé au tamis de l'attente. Elle était devenue neige poudreuse, qui tombait sans cesser, opaque et filandreux rideau, cachant à ses yeux les signes des jours allègres.
L'enfant devenu homme biffait à présent les jours dans son calendrier : à chaque révolution accomplie il s'étonnait de voir le printemps se dérober.
Les jardiniers comme les promeneurs le savent bien : le printemps n'est pas une affaire de date, mais la seule question d'un élan. L'homme lui ne le savait pas, alors il continuait d'attendre un temps qui ne viendrait pas.
Un jour qu'il grelottait, l'homme sentit une étrange tiédeur qui réchauffait sa nuque. Il se tourna, mais ne vit rien d'autre qu'un talus, un blanc et pauvre talus, à la pente raide et dont la neige peinait à masquer la nudité. Cette fois pourtant l'homme ne haussa pas les épaules. Il n'avait pour cela aucune raison particulière, simplement l'intuition d'être au bon endroit au bon moment.
L'homme s'approcha du talus, les yeux fermés, la main grande ouverte, paume dirigée vers l'avant. Il se laissa guider par ses seules impressions, quelques nuances de froid, le souvenir du foyer. Il tâtonna quelques instants, puis dénicha sous la neige la faible source de chaleur qui était venue désorienter son hivernation. Là ! une minuscule ampoule, à demi enterrée ! Il creusa de ses doigts glacés et entreprit de dégager un bouquet de feuilles tendres que surmontait une curieuse lampe au cœur orangé.
L'homme ne le savait pas, mais il contemplait une de ces primevères qui s'étalent en tapis sur les talus au déclin de l'hiver. L'homme ne le savait pas, mais il venait de trouver le printemps.
Il tourna la tête avec une infinie précaution. Il sentait de tout son être que le monde avait changé. Il ne voulait pas éteindre d'un geste trop vif les mille feux qui s'allumaient partout autour de lui.
Rien ne bougea ; et pourtant tout bougeait.
Il n'y avait plus de neige alentours. Il n'y avait plus que des fleurs ; des fleurs partout ; et la vie faussement immobile qui fourmillait. L'homme avait trouvé le passage qui menait vers la vie. Instantanément il l'avait embrassée toute entière. Il comprit que depuis le début c'était lui qui s'était refusé à elle, et non l'inverse.
Depuis le premier jour, en réalité, la neige ne tombait pas du ciel, simplement de ses cils jusqu'à ses pommettes. La neige tombait en lui comme un rideau épais.
L'homme s'assit sur un coussin d'herbe tendre et fêta sa délivrance d'une larme séraphique.
À l'heure où je vous écris, il pleure encore - de joie - son hiver passé.
Bonjour Pierre
RépondreSupprimerQue dire que le chemin que parcouru cet homme le mena s'il en faut au sens même de la vie, la douceur de vivre mêlée à quelques fleurs, n'est ce pas le plus beau
Merci pour cette jolie parenthèse printanière
Il fait si beau là dehors, c'est agréable, profite en bien
Des bises à la volée
Bonjour Christine,
SupprimerIl fait si beau, presque trop ! J'aimerais un peu de pluie, pour éviter que le sol ne se fasse brique.
Des bises en retour de volée !
Pierre
Bonjour Pierre
RépondreSupprimerTon poème est de toute beauté, tout en douceur. Cet homme qui connu l'hiver découvre, par un signe de la terre, qu'il y a une autre saison. Une saison merveilleuse, fleurie et odorante, c'est le printemps. Que du bonheur.
Des bises aux couleurs des fleurs
Merci Denise. Quel plaisir, oui, ce printemps éternel à notre cœur. Vraiment, nous sommes bien ici-bas !
SupprimerBonne journée, bises d'amitié
je suis tellement ravie de fréquenter ton blog pour avoir de si belles lectures. il y a de la poésie dans chaque ligne et derrière cet hiver, un printemps ne demande qu'à naître dans le cœur de ton personnage. un conte que j'applaudis.
RépondreSupprimerMerci Sedna.
SupprimerJe trouve que le monde est prétexte infini à la poésie. Il y a de la poésie partout autour de nous ! à nous de la cueillir, l’accueillir puis la restituer.
Amitiés printanières,
Pierre
Je me délecte de ces "Contes du jardin et du Temps" que tu égrènes de billet en billet.
RépondreSupprimerAmitiés capitales,
Dominique
Merci pour le titre ! C'est exactement ça, jusqu'à la majuscule offerte au Temps.
SupprimerAmitiés péri-urbaines !
Pierre.
Voilà plein d'espoir ;-)
RépondreSupprimerBelle journée Pierre
En toutes circonstances il faut être plein d'espoir, enfin je crois.
SupprimerBelle, douce, tendre journée Estelle.
Pierre
Bonjour Pierre, encore une fois, je me délecte de tes lignes ! Difficile de ne pas établir d'analogies entre ton personnage et certains parcours initiatiques personnels... Et loin de pleurer sur toutes ces années enneigées, on ne peut en effet que se réjouir d'avoir découvert le printemps, qui s'offrait à nous depuis le départ et que nous n'étions juste pas encore en mesure de voir ou d'accueillir !
RépondreSupprimerJe te souhaite une très belle journée :)
Sophie
Bonjour Sophie.
SupprimerJ'aime beaucoup l'idée de l'initiation perpétuelle.
C'est très juste ce que tu écris.
Merci et belle journée oui ! elle l'est déjà !
Pierre.
Dieu que temps et natures te sont infiniment inspirantes ! Et pour notre plus grand plaisir. Savoir voir, savoir regarder, savoir entendre, savoir humer et sentir, savoir toucher, savoir ressentir, savoir la patience et la sagesse. Tous les sens du poète sont en éveil et cela est si bien toi à jamais. Bizzzzzzh poétiques
RépondreSupprimerC'est vrai, ce sont les deux thèmes qui m'habitent, m'intriguent, m'attirent et m'enchantent depuis l'enfance.
SupprimerTous nos sens en éveil - oui !
Douce journée,
Pierre.
l'homme vit ses hivers
RépondreSupprimerses printemps aussi...
Sachons trouver sous le gel, la vie en devenir...
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J'ai beaucoup aimé ton texte, un joli conte poétique empli d'espoir
Bonjour Marie,
SupprimerMerci ! J'aime écrire des contes. Je crois aux contes et légendes comme je crois aux rêves.
Bon week-end,
Pierre
Tu me donnes froid avec la neige sur tes fleurs. J'espère que tu as meilleur temps. Merci pour ce conte ! Tu nous fais rêver. Bonne fin de journée. Bises.
RépondreSupprimerBonjour Elisabeth,
SupprimerEt bien, il fait frais par ici. Pas au point de neiger, bien sûr, mais nous avons ressorti les pulls.
Bon week-end au chaud.
Pierre
Métamorphose et sagesse...
RépondreSupprimerEssai de sagesse, pour commencer !
SupprimerBon week-end Capucyne.
Pierre
Doux week-end Pierre, merci pour ces jolies photos et joli billet.
RépondreSupprimerMerci ! C'est un week-end doux qui se déroule malgré la pluie froide !
SupprimerMes amitiés en bouquet de mai.
Pierre.
Merci pour ce doux moment
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