Ce week-end pascal, le soleil nous a été servi sec et sans glaçon. On aurait cru l'été. La supercherie fut si parfaite que nombre de mes tulipes s'y trompèrent et se consumèrent dans une ultime révérence.
Elles sont parties bien tôt, trop tôt pour croiser le tout premier géranium du jardin : comme le ciel est cruel de priver les amoureux d'une simple journée en commun !
D'une seconde... |
...à l'autre |
La terre qui a vu naître les tulipes est sèche comme un mois de juillet ; déjà elle regrette la toute petite ombre de leur toute petite tête.
L'homme qui les a plantées, lui, ne parvient pas à les ranger avec les jonquilles dans le placard des belles oubliées. Alors il ferme les yeux, plisse le front, convoque son imagination pour revoir sous le rideau de ses paupières leur silhouette incliner la saison. Les tulipes sont immortelles pour qui sait les rêver.
L'adieu à l'euphorbe |
Tulipes au naturel, naturellement |
L'ombre des tulipes |
J'aurais préféré de la pluie.
Pour accompagner l'humeur, à peine vacillante, fragile, douce, heureuse. Une pluie de rien, délicate, une étreinte prolongée, qui embellit en chuchotant, une goutte après l'autre. Quand l'averse se fait l'amie du jardin, on dirait la toilette d'un moineau dans une flaque ; quelques becquées d'eau claire, l'aile vive et preste, humecter sans détremper, ébouriffer pour mieux lustrer.
J'aurais préféré de la pluie.
Trois gouttes, puis trois gouttes, six gouttes de rien qui en font cent, mille, jusqu'à n'en plus pouvoir compter. Car on ne compte que les premières gouttes de pluie, celles qui se détachent avant que n'accélère l'averse : plic ; plic ; plic-plic-plic-plic...!
Quand elle aura cessé, ce sont les flaques que l'on comptera, avec la malice de l'enfant qui s'apprête à tremper ses chaussures - celui que nous sommes toujours au fond de nous.
Aimer, par-delà les flaques |
Je ne m'habituerai jamais à trop de soleil ; à la clarté qui aveugle, jusqu'à n'en plus discerner les nuances de l'âme.
Mon bonheur n'est jamais joie constante ; c'est une respiration, un souffle retenu, haletant, hésitant, qui conjugue surprise et confiance. Il faut quelques larmes pour attendrir mes sourires, sinon ils se brisent comme de l'herbe sèche.
J'aurais aimé un peu de gris d'où faire jaillir la lumière. J'aurais aimé qu'on me servît mon soleil allongé d'un peu d'eau.
Ne pourrait-il pas pleuvoir, disons, un jour sur trois ?
Deux éclats de rire pour une goutte de mélancolie alcyonienne.
Parfois deux sans trois, pour contredire le proverbe.
Ne pourrait-il pas pleuvoir entre deux averses de soleil ?
Souffle le vent, salue la pluie |
J'aime l'expression : le vent se lève. Et la pluie ? Se lève-t-elle, elle aussi ?
Non : la pluie s'éveille et se livre ; la pluie se confie, pudiquement.
Elle se déplie. Jusqu'à nos fronts soucieux qui la fuient sans l'éviter.
Et ce faisant, la pluie berce nos blessures.
La pluie lave nos peines à l'encre de sel.
Quand on prend la peine de pencher la tête en arrière, d'ouvrir la bouche pour accueillir les premières gouttes de l'averse, on perçoit sous la douceur du présent une saveur salée - légère, délicate, surprenante, comme si un esprit farceur avait jeté une pincée de pleurs dans le dos du cuisinier.
Ce sel, c'est le nôtre qui affleure à nos lèvres. La pluie bientôt l'allongera de notre monde, présent et à venir.
Demain il pleuvra sur le jardin des mille grâces.
Demain il pleuvra, mille gouttes pour deux têtes nues.
Je passerai la journée au jardin avec mon tout petit grand garçon. Et je lui apprendrai à aimer cette pluie qui fait briller le cœur en-dedans.
Lui m'apprendra à ne plus avoir peur du soleil.