Une fois n'est pas coutume, cet article oubliera (presque) le verbe à la faveur de l'image. Quand le vent souffle de l'en-dedans vers l'au-delà, de peu de mots germent mille photos.
La semaine passée, j'ai quitté mon jardin en chantier pour d'immuables collines : celles du Morvan, un auguste massif de basse-montagne qui fut le veilleur intermittent de mes vertes années. Adolescent, c'est à ses pieds, au sud où il s'en vient mourir, que je passais mes vacances. Outre le refuge d'un temps suspendu, j'y trouvais l'onguent d'un regard bleu doux - celui de ma grand-mère.
Elle et moi avions en commun le goût du silence entendu, de la parole précieuse, des solitudes heureuses que l'on rompt en même temps que le pain, le temps d'un déjeuner suivi d'une promenade au jardin. Nous étions pareillement sauvages. Nous aimions la retraite, la quiétude des jardins retirés, le chahut de nos vies intérieures. Je me nourrissais de sa parole précieuse, de ses enseignements, de sa sagesse. Je me perdais dans le loch de ses yeux, les mille couleurs de son jardin, la nature partout autour de nous.
J'aime le Morvan ; j'y ai déposé une partie de mon cœur. Je lui ai confié quelques sentiments anciens, aux braises attiédies, qui parfois m'encombrent un peu, mais auxquels je ne saurais renoncer.
La semaine dernière, j'ai retrouvé cet éden des souvenirs estompés. J'ai goûté à la délicatesse de Vézelay, le temps d'une échappée. J'ai aimé me perdre dans sa campagne.
Pour se retrouver, il faut savoir s'égarer.
Je ne prémédite jamais tout à fait mes balades. Je vise large, comme tombe le caillou, par petits rebonds successifs ; je me promène au hasard, le pied vagabond et l'esprit buissonnier. J'ai la spontanéité à fleur de cœur, la surprise heureuse comme l'enfant.
J'ai serpenté le long d'une rivière que je ne connaissais pas, et qui ne me quittera plus : la Cure. J'ai grimpé sur les flancs de sa vallée, promené mon ravissement dans ses sous-bois. Tous les versants sont à l'adret quand la nature se fait soleil ; mais c'est bien à l'ombre que l'on mesure la paix des arbres, dans l'intimité de la rencontre, alors que bouillonne l'âme. Ici, dans le secret de ma thébaïde, au creux d'une accueillante roche percée, j'ai contemplé des merveilles.
Je vous propose d'en faire ensemble la revue, de l'aval à l'amont.
Quelque part au beau milieu de cette carte postale, un peu de moi (se) repose |
Polygala vulgaris : on marcherait presque dessus, pourtant sa fleur est aussi originale que celle d'une orchidée. |
Pilosella officinarum : l'indispensable petite fleur jaune parmi les petites fleurs jaunes, ou l'art de ne pas en avoir l'air |
Euphorbe au saut du lit (de sa rivière) |
Dianthus carthusianorum : sans lui, une falaise ne saurait être une falaise. Et le randonneur, un homme parfaitement heureux. |
Melissa officinalis : quelques feuilles suffisent à vous parfumer de mille voyages |
Salvia pratensis : dessine de ses lèvres bleues la fraîcheur matinale |
Silene vulgaris : quelques ballons gonflés à la hâte par le talus, et c'est une fête qui s'offre au regard. |
Forêt attenante d'un cimetière attenant. Un silence pour un murmure ; celui du vent. |
Valérianes sur fond d'ancolies ; toutes deux vêtues de leur seule grâce. Ou quand un rien habille mieux que tout. |
Madame, votre village est infiniment beau et votre maison, et votre jardin, et le silence que vous m'offrez, le sont plus encore. |
Roche percée... ou porte vers l'eau de la... Cure ? |
N'en a-t-elle cure, de mon regard qui ne parvient qu'à effleurer sa tranquillité ? |
L’œil de la forêt. Me regarde-t-elle, ou se contente-t-elle de me voir par dessus son épaule ? |
Echium vulgare et son vibrant visiteur. |
Leucanthemum vulgare : aimer un peu, beaucoup, à la folle envie d'être fou - encore un instant.
Petit déjeuner en terrasse, début du périple...(et fin de la visite à rebours !) |
J'ai écrit un jour que Vézelay redeviendrait un rocher à mes yeux si l'amour abdiquait. Je pense qu'à ce moment s'offrait à moi plus d'amour que je n'en pouvais contenir. Alors il s'est niché quelque part dans la pierre de Vézelay, à la manière d'un secret murmuré dans une faille, et qui aurait fait là son nid, à l'abri de l'érosion, hors de portée de l'eau et des larmes d'un - trop - jeune homme.