On m'a souvent demandé en commentaire des plans larges du jardin. J'ai presque à chaque fois botté en touche, prétextant la jeunesse des lieux. La vérité, c'est que ce jardin est à l'image de tout ce que je construis : je l'aime, j'en rêve la nuit - quand il ne me réveille pas - puis je doute, chancelle, vacille, m'écroule. Je vois la vie en gris foncé et mon jardin en friche. Alors je préfère montrer les fleurs qui le composent, car elles se contentent d'être belles sans que j'y sois pour quelque chose.
La formule relève de la métaphore : je vois ma vie en plans serrés. Ma paternité, le solfège, la cuisine, l’œnologie, l'écriture, la poésie, plus récemment l'apiculture. J'ouvre mes fenêtres une par une ; j'en contemple la toile comme un tableau, sans m'approcher ; puis je change de fenêtre et procède de la même façon. Chacune est unique, d'autant mieux que je ne reconstitue pas le paysage qui les unit au dehors. Je n'aime pas les plans larges, non. J'ai conçu mon jardin et ma vie de la même façon, comme un enchevêtrement de cachettes délicieuses qui ne communiquent que par l'entremise de mes flâneries.
J'ai de surcroît d'immenses difficultés à considérer ce que je fais. J'ai l'impression constante de ne pas être à la hauteur de mes propres espérances, même les plus raisonnables d'entre elles, qui d'ailleurs ne le sont guère. Mon degré d'exigence contient en germe ma déception. Je plaisante souvent en proclamant que je ne sais faire que deux choses convenablement : les enfants et le thé. Derrière la boutade se cache une réalité tranchante. J'ai beaucoup entrepris et presque toujours échoué. Pire : j'ai souvent précipité ma chute pour ne pas avoir à la craindre. J'ai terni mon bonheur de peur qu'il ne m’échappe. Je suis le pompier pyromane de mes rêves d'amour et de passion.
Aujourd'hui, je me suis surpris à aimer mon jardin, peut-être pour la première fois. J'ai aimé les plantes qui s'y épanouissaient, mais pas seulement : les perspectives m'ont enchanté, les allées subjugué, l'harmonie des plates-bandes charmé, l'ordonnancement des lieux réjoui. À présent, je suis bien obligé de reconnaître que ce jardin est beau pour moitié de ses fleurs, et pour moitié de leur ordonnancement. Bien évidemment, j'ai rétorqué à cette satisfaction que le vent m'a largement aidé dans cette tâche, mais les chiffres sont têtus : je suis dans une proportion certaine - qui se situe vraisemblablement entre le quart et le tiers - responsable de cette réussite.
Après avoir brièvement rougi, et avant de me rendormir parmi mes fleurs, je me suis dit : ça vaut bien un tout premier plan large, non ?
Maintenant, prenons ensemble ce recul qui offre la perspective !
Allons jusqu'au regard panoramique
Et concluons en resserrant la vue - le naturel revenant au galop au détour d'un massif