"Qui vole une fougère vole un effet bœuf" m'a dit hier la plus espiègle de mes enfants.
La vérité, c'est que je suis en ce moment - à mon corps défendant bien entendu - acteur d'une singulière escalade dans cette funeste activité que l'on nomme avec malice maraudage. Tout est parti d'une malheureuse fougère, ce qui accrédite la maxime exposée en incipit.
Je l'ai raconté ici récemment : j'aime les fougères. Elles composent une famille étendue, sauvage et naturelle, sur laquelle le jardinier peut compter. Si l'on s'intéresse un peu mieux à elles, on se rend compte qu'au-delà de ce qui les rassemble - finesse, joie verdoyante et spores malicieux - les fougères présentent en outre l'avantage de se distribuer dans tous les milieux.
Chaque jardinier aura son sourire ; chaque coin du jardin aura sa fougère ! qui verdiront allées et massifs, sous-bois et rocailles, offrant le privilège d'un clin d'œil à la nature !
C'est en marchant dans le petit bois qui jouxte le conservatoire de musique, accompagné de la cadette de ma cadette, que j'ai remarqué combien le charmant polypode commun recouvrait d'un manteau élégant les talus ombragés. Le sol sableux avait beau tenter de se dérober sous ses racines, la fougère colonisait la pente tout en la retenant. Quelle aubaine !
Pour une colonie, c'est une colonie ! |
Mesurant l'étendue de la colonie, je me surpris à penser que je pourrais sans dommage en prélever un ou deux spécimens afin qu'il effectuassent le même travail dans mon jardin, composé de deux niveaux que sépare un dénivelé fuyant. C'est comme si la forêt me parlait : "Cher jardinier, tu peux, avec parcimonie, user de mes fougères pour assurer la pérennité de ton royaume."
Ma complice synthétisa la chose avec ce mélange de franchise et d’insouciance qui la caractérise : "Hé ! Si on piquait un pied de fougère, Papa ?"
Un cercle de couteau plus tard, je plongeai la main dans le pot de confiture et m'emparai - avec une étrange fierté saupoudrée d'une pincée de honte - d'un solide petit pied de Polypode. De retour à la maison, je le transplantai sur mon talus et pérorai, avec cette mauvaise foi qui caractérise les chapardeurs, que cette fougère était beaucoup plus belle ici, où on la remarquerait. Bref, je l'avais sortie de son anonymat pour faire d'elle la reine d'un talus. Je n'étais pas loin d'être un héros.
Quelle différence ? |
Ma chère enfant me ramena sur terre d'un sonore : "Ha ha ! joli butin Papa ! On y retourne ?"
Nous y retournâmes. Et revînmes les bras chargés d'un mahonia chétif qui ne demandait qu'à voyager jusqu'à notre jardin, et que nous plantâmes à l'entrée du sous-bois dans une plate-bande confortable avec une vue sur la rivière. Autant dire qu'il aura gagné au change.
N'avait-t-il pas l'air malheureux ? |
Et à présent le voilà qui goûte aux joies des transports en commun ! |
"On appelle ça une opération gagnant-gagnant" claironnai-je, avant d'entendre l'écho d'une voix enfantine : "Ha ha, bien joué Papa ! La prochaine fois on prend un arbre ?"
Nous laissâmes les arbres à leur forêt, mais glanâmes quelques cynorrhodons sur un églantier généreux pour fêter notre succès. Nous glissions sur une pente dangereuse. Je ne vous cache pas qu'à ce moment mon surmoi fit nettement vaciller mon ça. Autrement dit, le gendarme de ma psyché distilla à ma conscience un sentiment de doute. Soyons brefs : je culpabilisais.
Pourtant, le maraudage est vieux comme l'homme et les plantes. Mieux, il est une épice de l'enfance. En assaisonner ses vieux jours, c'est s'assurer de garder son bois jeune sous l'écorce. Inutile donc de me draper du manteau de la maxima culpa.
Le géranium voyageur |
J'en étais à ce stade de mes réflexions, vagabondant dans ma forêt favorite, lorsque mon œil se fit accrocher par les feuilles caressantes d'un Geranium macrorrhizum ! Abandonnant mon auto-critique dans son œuf, je programmai immédiatement une petite expédition, songeant :
À ce rythme là, j'aurai rajeuni de dix ans avant ne survienne le printemps.
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Enfin, je partage avec vous une petite canción joyeuse et impertinente, que nous avons choisie comme hymne des maraudeurs (étant entendu, bien évidemment, que nous pratiquons cette activité avec parcimonie, ne prélevant que quelques graines si possible, privilégiant les plantes envahissantes comme celles de cet article, laissant aux stations sauvages leur pleine capacité de reproduction ; et vérifions systématiquement que les plantes que nous empruntons ne sont pas protégées).
Bonjour, salutations. Je t'aime comme les fougères. Même à la maison, j'ai un grand pot de fougères.
RépondreSupprimerSalutations d'Indonésie.
Merci ! Chez vous en Indonésie, les fougères doivent être magnifiques. Vos forêts luxuriantes sont si belles.
SupprimerSalutations de l'Île de France en retour !
Coucou Pierre,
RépondreSupprimerma fois, le maraudage se pratique depuis longtemps et si ça n'était pas le cas comment aurions nous fait pour "capturer" autant d'essences et de diversité dans notre patrimoine régional
De graines en boutures, de jeunes plants en arbustes ramifiés, c'est ainsi qu'étaient rapportés du temps des navigateurs nombre d'espèces diverses et variées qui peuplent aujourd'hui les jardins de navarre et d'ailleurs
J'avais ramené des jardinières de ma commune dans mon ancien jardin un pied de sauge et d'astrance merveilleuses qui fleurissaient hardiment chaque année, je n'avais chipé qu'un seul petit pied de chacune mais je me sentais coupable d'avoir osé un tel méfait, est-ce que ceux qui partaient au temps des immenses goélettes avaient le même sentiment je ne sais pas, mais moi j'avais l'impression d'être marquée au tisonnier rougit par le feu dont l'empreinte indélébile aurait fait de moi une chapardeuse honteuse
Après coups ma culpabilité a volé par dessus les moulins, les petites boutures étaient magnifiques et fleurissaient joyeusement, c'était ma récompense et au moins j'avais une certitude, personne n'irait les piétiner
Félicitations à Mademoiselle Geontran, une artiste en herbe à n'en point douter
Des bises ensoleillées, il fait froid et le vent est glacial mais quel plaisir de voir enfin le soleil
En cueillette, la règle est simple : on doit prélever sans altérer la capacité de reproduction de la station. Vue la vigueur de la sauge, un pied transplanté n'est pas un grand mal, tu pouvais le faire sans regret !
SupprimerMais nous sommes façonnés par le sacro-saint droit de la propriété. Nous avons fini par oublier que les forêts publiques sont à nous, et que le respect, la prévenance, le discernement devraient suffire à guider nos rapport avec elles !
Bon week-end. Ici de glace !
Pierre
N'est-ce pas à partir du moment où l'homme a prélevé quelques plantes dans la nature pour les planter dans son jardin que l'agriculture a commencé ? Bien ou mal je ne saurais dire... Quoiqu'il en soit c'est l'évolution de notre espèce.
RépondreSupprimerComme toi quelques scrupules me taraudent lorsque je pratique le maraudage, si peu de fois pourtant. Comme je vais culpabiliser aussi lorsque je vais défricher mon minuscule bout de forêt pour libérer l'espace et planter des compagnes choisies... C'est ainsi, c'est plus fort que moi malgré tout. J'ai besoin de créer mon jardin.
Belle journée Pierre. Ici grisaille qui ne devrait pas déboucher sur de la pluie🤞
Bises
Nous sommes des êtres de culpabilité, n'est-ce pas ? Pourtant je suis sûr que ton jardin sera une magnifique expression du vivant, même avec quelques arbres en moins. Nous pouvons, je crois, accompagner la nature sans la maltraiter.
SupprimerBon week-end - sans pluie j'espère.
Pierre
Ooh, je ne vais retirer aucun arbre... Mon jardin actuel sans ombre me les rende bien trop précieux. Et pourtant les grands chênes sont malades... Mais tant pis, j'ai besoin d'eux ! Non, je vais défricher les genévriers parce qu'ils piquent, des fougères aussi, ici elles poussent comme de l'herbe et sont plus hautes que moi l'été. Mais juste sur mon minuscule bout de terrain. Au delà, elles ont toute leur place.
SupprimerJe viens de regarder la météo pour les jours à venir, nous allons passer du tout au tout visiblement : grand soleil et chaleur. Va comprendre.
Aller je te laisse, passes un bon we
Comme je te comprends. Un arbre, c'est une protection - pour nous, nos plantes, les oiseaux. J'en ai planté moult, de petits développements, cet automne, pour venir atténuer l'exposition sud brûlant de mes fenêtres...
SupprimerBon week-end Estelle !
Oui, la chaleur arrive, et le printemps avec elle.
Je ne crois pas que le maraudage dans la nature lui porte préjudice, bien au contraire, tu permets à certaines plantes de s'épanouir ailleurs, et le minuscule prélèvement sera bientôt remplacé par Dame Nature !
RépondreSupprimerJ'aime comme toi les fougères, j'aime observer leur diversité dans les bois, je suis fascinée par la beauté des frondes enroulées.
Ta fille a du talent, tu lui diras de ma part, je suis musicienne.
Bonne fin de semaine Geontran !
Bonjour Céline,
SupprimerMerci pour ton absolution !
Oui, nous ne prélevons qu'avec la certitude de ne pas léser. Tout l'inverse des jardiniers d'une ville voisine, qui ont tondu l'année dernière 126 pieds d'ophrys, dûment protégés, que nous avions comptabilisés en même temps qu'admirés.
Merci pour ma jeune musicienne. Elle aime profondément la guitare, et jouer la rend heureuse. Ton compliment lui est allé droit au coeur !
Bonne journée,
Bon week-end !
Pierre.
Ma propre mère est elle aussi habitée par ce démon. Elle ne chaparde pas, elle "prélève" et son jardin dénonce avec candeur et sans ambiguité le résultat, impressionnant, de ces innocents grapillages.
RépondreSupprimerMadame votre mère parle d'or !
SupprimerSon jardin, de toute sa floraison, la console en même qu'il la trahit.
Bonne journée froide et belle et brillante.
Pierre
j'aime bien marauder avec toi dans ces sous bois où la fougère te tend ses bras .. un billet très poétique et la petite guitariste a toujours beaucoup de talent.
RépondreSupprimerAlors, comme le dis mon titre, nous maraudons ensemble. Finalement, je crois que tout ce qui nous ramène à l'enfance est poétique. Quand j'étais enfant, je chipais les pommes de ma voisine, et elles étaient - forcément - meilleure que toutes les autres.
SupprimerAu printemps dernier, me baladant avec mes enfants, nous avons vu une vigne superbe pleine de raisins dans une propriété. Le propriétaire est arrivé et il nous a dit de nous servir. Il nous a appris qu'en Turquie les arbres fruitiers plantés en limite de propriété signifient qu'ils sont offerts à la gourmandise du promeneur. Je trouve cela très généreux et beau.
Bon week-end !
Geontran
Ha, bof, laissons là ce sentiment de culpabilité !! Si, comme toi, on fait attention à ne pas prendre de plantes protégées et qu'on pense vraiment que ces plantettes seront choyées chez nous, pas d’hésitation !
RépondreSupprimerJe suis vraiment impressionnée par le rythme et le talent de la jeune fille...un vrai plaisir. Vous le lui direz por favor ?
Bon dimanche, gris et doux ici.
Bonjour Colo,
SupprimerVous avez raison : la culpabilité est un bien vilain sentiment - surtout quand elle ne repose que sur l'écume d'une station de fougère.
J'ai transmis votre compliment à ma jeune demoiselle, qui a rougi de plaisir. Merci !
Bonne semaine, ici le mercure remonte doucement.
Pierre.
Bonjour Pierre,
RépondreSupprimerTu sais, ta maraude ne fait aucun mal à la forêt. Ne dit-on pas qu'il faut aérer les forêt...Il m'est arrivé de marcher dans des forêts pleines de fougères et ce n'est pas une ou deux petites fougères de moins qui vont altérer la forêt et de plus, elles seront tellement heureuses chez toi avec la compagnie des enfants, leur doux regard et le tien qui regarderont avec amour leur croissance. Ton billet est magnifique et je me régale de tes mots.
Mes amitiés et bises Pierre pour une belle Saint-Valentin
Sois le messager Pierre pour dire à ta jeune guitariste que je me régale des ces doux morceaux de guitare.
Bonjour Denise,
SupprimerJe me suis fait le messager, avec plaisir et fierté.
C'est vrai : chez nous les fougères sont heureuses, libres et galopantes. Nous les couverons du regard. Peut-être même leur jouerons-nous un peu de guitare !
Bonne semaine, chère Denise ; la météo semble propice aux photos !
Tu sais quoi ? Avant de me régaler de tes mots que je savais d'avance qu'ils seraient jouissifs, ma souris a glissé tout en bas du post et, yesssss elle était-là la douce jeune fille au talent délicat. Je ne pus m'empêcher de l'écouter illico, tant de grâce !Avant de m'en retourner vers ta divine prose effectivement réjouissante une fois de plus, pour mieux réentendre une deuxième fois ta douce musicienne. Quant le maraudage est aussi délicat et parcimonieux, tout en respect, ce serait un crime de s'en priver, mais tout comme toi si je n'y résiste point je culpabilise aussi. Surtout je redoute, qu'un regard indiscret celui-là, ne manifeste sa présence alors avant de prélever mon larcin je mirette alentour histoire de voir si l'on ne m'y prendra pas. Et je prends soin de dissimuler sans attendre sous un vêtement un peu trop large mais ô combien efficace et ne risquant pas de l'abimer, le trésor. Dernièrement, c'est une jolie bouture d'un petit rosier inconnu à l'ombre d'un bosquet au feuillage d'un spinossima (heu c'est bien çà ? )à la jolie toute mini rose blanche qui a rejoint le jardin. Ooooooh combien il me languit de le voir s'exprimer au Pale Garden. Que cet dimanche vous soit doux et serein Pierre.
RépondreSupprimerMerci Maryline,
SupprimerPour elle et pour moi. Rien ne vaut une petite bouture dérobée au détour d'un rosier. Je ris tout bas en constatant que je ne suis pas le seul à aimer le frisson qui accompagne la maraude !
Bonne semaine,
Pierre
Ha! J'imagine bien l'équipe de maraudeurs qui sortent en douce sur la pointe des pieds et masqués bien sûr! Une belle histoire de régénération et bien illustrée par ce morceau joyeux et espiègle. Merci Pierre et bonne journée un peu moins glaciale que ces derniers temps.
RépondreSupprimerEt tu imagines bien ! car c'est bien à cela que l'on ressemble lorsque l'on commet le frisson de la maraude !
SupprimerBonne journée de douceur retrouvée
Pierre
Tu ne dois pas culpabiliser car, vu le nombre de pieds de plantes qu'il reste encore dans la forêt, tu ne lui as fait aucun mal. Bon tu vas me dire que si vous êtes 100 à faire pareil, le résultat sera différent, mais personne ne le sait, tu n'as pas vu de trou dans cette forêt, cela m'étonnerait qu'il y en ait Merci pour la vidéo de cette mignonne guitariste. Bravo à elle. Bonne semaine et merci pour ce billet.
RépondreSupprimerC'est vrai, c'est en réalité une question de nombre de maraudeurs. Mais la surface importante de la colonie me disait sans doute possible que nous ne devions pas être nombreux. Le tout petit trou que j'ai laissé sera comblé dès ce printemps, vue la vitesse à laquelle les polypodes s'étendent.
SupprimerMerci pour la guitariste et bonne soirée Elisabeth
Non, il n'a pas l'air malheureux, le mahonia (ceci dit juste pour tarauder ta conscience), mais il n'avait nul besoin d'être malheureux pour être encore plus épanoui après son petit voyage ! tous les jardiniers font ça : j'ai un petit fusain que je couve car c'est un petit sauvage dont je prends grand soin, un petit géranium prélevé...toute honte bue...sur le côté bien malmené d'un parterre public.etc, etc...le maraudage, c'est l'essence du jardinage !
RépondreSupprimerC'est vrai : pas de fausse excuse ! (Mais j'ai tout de même sélectionné un mahonia plus chétif que ses voisins, et qui ne disposait que d'une mince couche de terre au dessus de la roche).
SupprimerÀ présent, il aura loisir de plonger ses racines loin dans une terre profonde, à la fraîcheur de la rivière attenante. Bref, il sera un mahonia heureux comme jamais !
Je suis ravi de lire que tous les jardiniers en font autant ! Nous partageons ce goût de la maraude raisonnable et joyeuse !
Bon week-end Capucyne,
Pierre.
l'expression de ta fille lorsqu'elle joue est un délice pour les yeux et l'âme ! Un tableau de Raphaêl à la guitare !
RépondreSupprimerMerci, je lui ai rapporté tes mots et elle a rosi de plaisir (après avoir regardé avec moi quelques tableaux de Raphaël).
SupprimerLa maraudeuse, depuis des années, de mimosa et de figues bien mûres sur des arbres qui ne m'appartiennent pas et de fleurs de bourrache ou de capucines pour la salade sur des terrains qui ne m'appartiennent pas plus adoube le maraudeur de fougères que vous êtes depuis peu.
RépondreSupprimerAinsi adoubé, mes derniers scrupules se sont envolés loin de mes mains dérobeuses ! Merci !
SupprimerHaha ! Nous voila une passion commune ;) La nature est si généreuse, et les plantes locales s'acclimatent si facilement, comment résister ? Personnellement, je ne résiste pas, voila tout ! Mon jardin, comme le tien, m'en remercie... mon porte monnaie aussi d'ailleurs !
RépondreSupprimerNe jamais oublier que la nature est gratuite, et ouverte à tous. Je suis pour le maximum d'échange, entre nature et jardins, ou jardins et jardins !
Longue vie au maraudage !
Belle soirée Geontran !
Merci pour cette ode au maraudage, qui achève de lever mes derniers complexes ! Ce qui tombe bien, car j'ai repéré une colonie de mauves musquées dans un virage à côté de la voie de chemin de fer. Demain à l'aube, je la visiterai avec mon acolyte, et prélèverai un spécimen qui viendra embellir mon jardin.
SupprimerC'est vrai, la nature est gratuite - et de cela nous n'avons plus l'habitude...
Bonne soirée !