Grandes bottes pour grand bêcheur, petites bottes pour adorable petite bêcheuse... |
L'attente
J'ai regardé mon jardin vivre quatre saisons durant.
C'est long,
quatre saisons, quand on a attendu quinze ans pour avoir un jardin. Ou
plutôt, c'est ce que je pensais en entrant dans ce qui me paraissait une interminable antichambre des joies botaniques. Je le confesse :
j'étais impatient d'en découdre avec ce jardin, mon jardin, conquis de
haute lutte contre les mauvaises raisons qui m'avaient trop longtemps
maintenu enfermé à l'intérieur du périphérique parisien. J'avais été comme un jardinier en cage. C'est pourquoi je trépignais
dans mes bottes rutilantes.
J'avais emménagé dans ma presque campagne à
l'aube de l'automne, saison ô combien propice à l'enracinement des
hommes et des plantes. Naïvement, je croyais rater ipso facto l'occasion de gagner
une année. En réalité, j'étais en train d'en gagner plusieurs mais je ne le
réalisais pas encore. J'attendais fébrilement que la terre bouclât son tour
réglementaire de soleil pour m'élancer en courant dans mon nouveau
terrain de jeu. Il m'arrivait de me réveiller la nuit avec une envie
soudaine de bêcher pour faire jaillir quelques massifs multicolores du
sol abandonné. Je me réveillais en sueur et lisais une douzaine de
numéros de l'ami du jardin pour me remettre de mes émotions.
Oui,
j'avais des fourmis dans les mains et l'appel des fleurs résonnait
chaque nuit dans mes rêves. Bon sang ! J'aurais vendu mon âme pour
planter une simple marguerite.
Sonate en quatre saisons et cinq sens
Pourtant,
j'ai su résister aux charmes vénéneux de mon impatience. Comment ? Et
bien, en la promenant par la main. Ensuite, j'ai gentiment égaré cette impatience dans le courant de la
rivière qui serpente sur le fil de mon jardin. Cette rivière dont je suis tombé amoureux, qui parfois menace de
déborder et qui plus rarement met sa menace à exécution, grondant alors de fureur à l'unisson avec le ciel... et nourrissant ma
terre de ses précieux passagers clandestins : les fertiles sédiments.
La colère des cieux fait d'une rivière un fleuve... |
Au bord de ma rivière, en écoutant la pluie battante sur l'eau claire, en regardant les feuilles naviguer comme des bateaux, en me saoulant du reflet du soleil à la surface, je les ai regardé passer, ces quatre saisons, l'une chassant l'autre,
doucement, d'une averse conquérante, d'un flocon timide ou encore d'un
rayon de lumière délicat sur un crocus endormi.
Mieux, je les ai
contemplées.
Les mains dans les poches de mon tablier et le sourire aux
lèvres. Je n'avais plus à aller au devant de mes rêves ; à présent, ils
s'offraient à moi ; je les cueillais au hasard d'une promenade de rien
du tout, d'une flânerie matinale, à la faveur d'un petit tour de mon
petit monde.
Au début, je faisais semblant d'avoir appris les vertus du
temps qui s'étire, je me forçais un peu ; et puis, découverte après
découverte, soleil après pluie et pluie après soleil, la joie la plus
simple est venue remplacer les bonheurs complexes que je m'étais
sottement promis. Sans y avoir été invitée, simplement parce que j'avais
laissé la porte grande ouverte. La quiétude de cette nature, qui ne
m'avait pas attendu pour s'épanouir, a su courber l'arc de mon sourire.
Millimètre par millimètre, jusqu'à plisser le coin des yeux.
Le chant des prêles
Devais-je à mon tour attendre ?
Non, simplement regarder, sentir,
écouter le vent ôter les feuilles de son chemin et dévoiler ça et là
quelques merveilles.
Contempler.
Contempler à pleins yeux, à nez
curieux, à peau touchante. Écouter les bruissements des bambous
chatouiller mon oreille. Le chœur de l'eau rencontrant continuellement les mêmes pierres, sans jamais se lasser. Goûter chaque instant. C'était la seule façon de savoir ce qui se
cachait sous les feuilles.
Qui va là ? Je te vois, gracieuse capucine. |
C'est ainsi que j'ai rencontré une charmante
famille d'iris au détour d'un parterre de chardons, surpris des pivoines qui s'abritait pudiquement derrière un laurier palme pour enfiler leur vêtement de
printemps, admiré une capucine jouant à cache-cache derrière ses feuilles ; c'est ainsi que j'ai vu, de mes yeux vu, s'abattre sur le
flanc de mon jardin une vague de fraises des bois ; c'est ainsi
que je me suis baigné dans cette mer de merveilles, sur le dos,
découvrant la cime d'un frêne colonnaire dissimulé entre un épicéa malpoli
et quelques aubépines mordeuses de chevilles, trop timide pour que je le visse d'un
autre point de vue.
Vous l'entendez ? Oui, le chant des prêles...! |
Oh, bien sûr, pour observer tout ça, il m'aura fallu
supporter de laisser pousser quelques adventices, beaucoup de prêles et
autant d'orties. Quelle importance ? Non, quelle aubaine !
Reminéralisantes, anti-inflammatoires, diurétiques, prêles et orties sont des trésors que nous offre la nature (et je ne cite là qu'une de leurs nombreuses indications, communes ou particulières, qui pourraient faire l'objet d'articles spécifiques).
Reminéralisantes, anti-inflammatoires, diurétiques, prêles et orties sont des trésors que nous offre la nature (et je ne cite là qu'une de leurs nombreuses indications, communes ou particulières, qui pourraient faire l'objet d'articles spécifiques).
Les prêles ont une voix de sirène pour qui sait les écouter. J'en avais assez pour transformer le plomb en or - vert - : bientôt, je mijotai fièrement assez de
purin pour satisfaire mes plants de tomate, dont l'adolescence
aiguisait l'appétit. Par un de ce ricochet dont la nature a le secret, la prêle est ainsi devenue tomate et je me suis vu
magicien.
L'alchimiste, témoin du monde qui s'étire
Il y a dans le cœur de chaque jardinier(e) un(e) alchimiste
qui feint de s'ignorer. Qui sait voir la poudre d'or dans le ciel, par-delà la cime des arbres, qu'il pleuve, vente ou que le soleil étincelle. Et aussi - mais là je ne parle que pour moi - un
contemplatif contrarié que seule la nature saura révéler.
Pour une poudre d'or, c'est une poudre d'or ! |
Je m'efforcerai
de ne pas oublier le chant des prêles quand la tentation de me montrer trop
directif envers mon jardin me tapera sur l'épaule.
Je m'en fais ce soir, devant témoins, la promesse solennelle : je consulterai toujours la nature avant de l'infléchir - ou simplement de la réfléchir.
Je m'en fais ce soir, devant témoins, la promesse solennelle : je consulterai toujours la nature avant de l'infléchir - ou simplement de la réfléchir.
le jardinier se doit d'être patient, tu l'as déjà compris..joli billet! et la promenade du matin entre les massifs encore sertis de rosée vaut tous les trésors du monde...
RépondreSupprimerbon vendredi!
Ah ça... Pour paraphraser - très librement - le poète Hafez, je ne troquerais ma promenade aux quatre coins de mon jardin, le matin seul avec l'aube, contre aucune joie, présente ou à venir. En ce moment, la rosée perlant sur la remontée charmante de mes maigres rosiers suffit à mon bonheur.
SupprimerC'est toujours un plaisir de te lire.
Douce soirée,
Geontran.
Belle prose Geontran ! et quel papa attentionné ! Bonne journée
RépondreSupprimerMerci ! Ah, mes enfants méritent toute l'attention du monde, et même un peu plus. Je ne pourrais pas me contenter de les voir grandir de loin : ils sont l'élément premier du sens de ma vie, mon évidence.
SupprimerBonne journée en retour, à bientôt !
Geontran.