Au début, il n'y a que quelques graines, mises en culture tardivement sans trop y croire. Ensuite viennent les premières pousses, timides, fébriles, hésitantes. Nous en avons pris soin.
Nous, c'est moi et la sœur copine numéro 1. Vous la remettez ? Non ? Il faut dire que j'ai présenté les différents protagonistes de mon petit monde dans un joyeux désordre.
Et bien, je me rends compte que je vais devoir faire une petite digression pour que vous situiez un peu mieux ma descendance.
Geontran, père & filles & fils
La famille Geontran est ainsi constituée : d'abord, il y a l'aînée faussement exemplaire ; ensuite les sœurs copines 1 et 2 - la petite est grande, la grande est petite, si bien qu'elles passent volontiers pour des jumelles - ; enfin, pour fermer la marche, le frère terrible et délicat, aux mille bêtises et à la douceur d'ange.
Ce bon vieux Sophocle est un super copain. |
L'aînée faussement exemplaire considère le jardinage d'un œil distrait. Son truc, c'est la lecture. La lecture à tous les étages, à toutes les sauces. La lecture en se brossant les dents, en mangeant, au coucher, au lever, sur le chemin de l'école, à l'école, pendant la classe, pendant la récré, en marchant, en prenant sa douche (pas évident). Pour l’intéresser au jardinage, une seule solution : lui refiler le Traité du jardinage, selon les raisons de la nature et de l'art, en 3 livres, de Jacques Boyceau. Et encore, pas sûr que cela fonctionne : elle l'expédiera en trois heures, fera "mouais, il ne se passe quand même pas grand chose dans ton bouquin", et se vengera sur l'intégrale de Jack London aux éditions de la Pléiade.
Non ; la jardinière en herbe, la reine de la tomate, l'étoile montante de la coriandre, c'est la sœur copine numéro 1. Numéro 1 n'a pourtant pas l'âme contemplative. Et c'est peu de le dire. En d'autres termes, c'est une tempête, une tornade, avec deux jambes et deux bras toujours en mouvement surmontés d'une crinière blonde qui s'agite dans tous les sens. La seule activité qui m'offre de pouvoir la regarder plus d'une minute sans avoir la tête qui tourne, grâce lui soit rendue, c'est le jardinage. Plus précisément, la sœur copine numéro 1 aime s'occuper du potager. Avec passion. Avec patience. Qu'il vente, qu'il pleuve, que l'astre du jour cogne comme un boxeur. Sans faillir et avec le sourire. Elle s'en occupe et elle contemple longuement son œuvre. Parfois près d'une minute, ce qui à son échelle est une éternité.
Pour parfaire le cycle de la nature, les sœurs copines se sont réparties les tâches de la façon suivante : numéro 1 jardine, numéro 2 déguste. Ou plutôt, elle dévore, elle concasse, elle éparpille dans son estomac façon puzzle. L'une cultive ce que l'autre mange. C'est simple et ça fonctionne drôlement bien.
Le frère terrible et délicat, lui, essaie de détruire tout ce qui pousse, mais ses exploits feront l'objet d'un prochain article.
Maintenant, revenons à nos tomates si vous êtes d'accord.
Trois pieds de tomates font un royaume
Nous en avons pris soin, disais-je. Nous avons maintenu l'humidité de leur couche, veillé à ce que la température fût d'un égal confort, ni trop chaude, ni trop froide ; nous avons sélectionné les sujets qui nous semblaient aptes à affronter le monde extérieur ; nous les avons habitués progressivement à la vie au grand air ; et puis un jour nous nous sommes lancés : nous avons invoqué le grand esprit du Dieu Tomate et avons entrepris de les repiquer.
Trois sujets pour un royaume. Noire de Crimée, Cœur de bœuf, Borgo Cellano ; que le soleil prenne soin de vous. 'O sole mio, les enfants !
Borgo Cellano, cadeau du Dieu tomate |
Nous avons paillé leurs pieds délicats, les avons arrosés d'un savant mélange d'eau et d'amour. Quelques gouttes de purin d'ortie, un petit gommage hebdomadaire des gourmands ; et puisse la nature faire le reste. La chance des débutants nous a souri : la nature a effectivement fait le reste. Et elle l'a drôlement bien fait, avec ça ! Hier, nous avons aperçu une tâche rouge-orange dans le vert du ciel. Oh ! bien sûr, rien de vraiment mûr, ni tout à fait prêt à être cueilli. Pourtant, c'est avec un mélange d'impatience et d'émotion que nous avons cueilli la toute première tomate d'une vie d'enfant. Une toute petite et magnifique Borgo Cellano, un cadeau offert par notre vie nouvelle loin de Paris.
Une simple tomate vaut tous les marchés du monde quand c'est la vôtre.
Ceci est indubitablement une tomate |
Ceci est la même tomate |
Cette tomate précieuse, nous l'avons posée au centre d'une assiette. Elle semblait la remplir toute entière tant son reflet envahissait nos yeux. Elle était minuscule et immense. C'était notre tomate, notre première tomate. Nous l'avons coupée religieusement avec mon Laguiole, nettement, sans un son. Pendant quelques minutes, nous l'avons écoutée parler à nos cœurs.
Et puis, comme elle parlait aussi à l’appétit de la sœur copine numéro 2, nous l'avons regardée se faire manger en deux bouchées. Sans bouger, car gare à celui qui s'interpose entre numéro 2 et son assiette. Au fond, peu nous importait : à nous la fierté d'être parents de la première tomate du jardin, à elle le goût incomparable de la première bouchée de la première tomate du jardin.
Quelqu'un veut toucher à mes légumes ? |
Faut pas cherche la sœur copine numéro 2. Ok ? |
Les plaisirs minuscules ne sont jamais aussi immenses que lorsqu'ils sont partagés selon les inclinations de chacun.
Alors, dans un sentiment de paix suspendue, la sœur copine numéro 1 et moi avons versé une larme de bonheur pendant que la sœur copine numéro 2 s'essuyait la commissure des lèvres en souriant.
jolie petite famille (idem, 4 pour moi aussi, mais ils sont tous adultes maintenant, j'ai les larmes aux yeux..)
RépondreSupprimersi tu en veux des graines de tomates "maison" pour l'an prochain, j'en aurais une bonne quantité..et je les offre avec plaisir!
Oh ! Je m'entraîne dès à présent à les voir grandir. Je sais bien que je n'y arriverai jamais vraiment, mais je m'y efforce pour qu'ils "poussent" librement. Je veux les guider dans leur ascension pour mieux les voir s'échapper de leur tuteur un jour !
SupprimerCe sera un plaisir doublé d'un honneur de donner une descendance à tes plants de tomates. Rendez-vous est pris !
Jolie famille :-)
RépondreSupprimerJe souris parce que je reconnais un peu les profils. Moi j'ai 2 garçons. L'un de 11 ans qui dévore les livres parce que si je le laissais faire, il dévorerait les écrans. Je me prends à penser que nous avons eu le jardin trop tard pour qu'il ait pris le temps d'y flâner... En ce moment il construit une cabane avec son père, mais je crois qu'elle finira par être le repère du papa ;-)
Le second a 6 ans et me suis partout au jardin. Il a son propre potager.
Quoiqu'il en soit, je suis persuadée que tout ceci laissera une trace dans leur enfance. J'espère qu'ils auront la présence d'esprit de rester attachés à la nature lorsqu'ils seront adultes.
Je crois qu'ils auront cette graine en eux, en tout cas. Il leur appartiendra d'en prendre soin.
SupprimerMon aînée est une fleur du bitume parisien. Elle voyage en livres : c'est sa forêt à elle. C'est amusant, j'essaie également de la faire venir au jardin par le biais d'une cabane. Elle s'installe dedans et lit toute l'après-midi. Après, elle me dit : tu avais raison, le jardin, c'est chouette !
Je me reconnais beaucoup dans la façon dont tu appréhendes les choses. Cette trace dans leur enfance, c'est peut-être ce qui les fera se souvenir de nous, plus tard, en sentant le parfum d'une fleur. Et les fera se sentir en paix quand ils verront un pissenlit pousser entre deux pavés.