De l'enfance au jardin, il n'y a qu'un pas... d'enfant. Je vais vous raconter celui que les sœurs copines et le frère terrible et délicat m'ont conjointement invité à franchir avec eux ce matin. Enfin, si j'y arrive, car le chemin qui m'y mena fut un joyeux bazar.
Mais commençons par le commencement.
Le plan A : la tranche de vie du p'tit déj'
Après avoir avalé un solide petit déjeuner, j'avais décidé d'écrire un truc léger et cocasse sur les petites étrangetés quotidiennes de ma progéniture. Des perles d'enfance à la puissance 4. Une amusante tranche de vie coupée dans la savoureuse brioche de la parentalité.
Enfin, ça, c'était le plan initial.
Dans cette perspective réjouissante, je m'étais confortablement installé derrière mon ordinateur en sifflotant allegro un impromptu dont je ne savais plus très bien s'il appartenait à Chopin ou à Schubert. Peu m'importait, à vrai dire : l'esprit vivifié par le jus de pamplemousse, un café fumant à portée de main, je cherchais dans ma mémoire une ou deux anecdotes croustillantes et... rien ne vint. En fait, à partir de cet instant rien ne se déroula comme prévu.
Je n'avais aucune idée de ce que j'allais bien pouvoir écrire.
Je regardais mes enfants pensivement. Les sœurs copines jouaient calmement aux Lego, le frère terrible et délicat faisait danser son Babar en plastique en souriant gentiment. On eût dit des anges descendus sur terre pour enseigner aux hommes la sagesse des Dieux. D'aucun aurait dit que tout n'était qu'ordre et beauté. Et bien, me suis-je interrogé in petto, qui diable voudrait pondre un article bien senti sur leurs étrangetés ? Je ne vois là nulle étrangeté !
Soudain, je réalisai que le sombre individu qui nourrissait ce genre de projet funeste n'était autre que moi-même. Je poussai un cri. Quel père, non, quel monstre étais-je ? Comment avais-je bien pu envisager de faire un truc pareil ? Je m'en voulais, c'est peu de le dire.
Pile à cet instant, le frère terrible et délicat me surprit sur mon aile droite, que j'avais benoîtement laissée sans défense, pour m'asséner un coup de Babar en plastique sur la cuisse, administré de toutes ses forces et avec une précision incontestable ; tandis qu'au même moment les sœurs copines entreprenaient d'allumer le fer à repasser pour, je cite, "aplatir une brique de Lego un peu épaisse".
Un éléphant sur un bateau, ça trompe énormément |
En boitillant (ben ouais, on a tendance à l'oublier, mais Babar, c'est quand même un éléphant ; ça fait drôlement mal quand ça vous percute la cuisse, ces machins là) ; en boitillant, disais-je, je décidai d'intervenir avant de ne plus avoir le choix que de regarder ma maison se consumer comme une saucisse oubliée sur le barbecue.
Le coup passa si près que le Lego tomba |
Le temps de parcourir les trois mètres qui me séparaient de la buanderie, le frère terrible et délicat avait empilé une chaise et un tabouret pour accéder au sommet de la bibliothèque du salon. Délicatement, évidemment.
Le ciel n'a qu'à bien se tenir. |
Je crois que c'est à cet instant précis que j'ai réalisé que je devais changer mon plan de vol. D'urgence. Sauver ce qui pouvait être sauvé dans cette maison, à commencer par la maison elle-même.
Le plan B : le jardin au secours de son maître
Dans ce genre de situation, une solution s'impose traditionnellement à moi avec la force de l'évidence. N'écoutant que la petite voix intérieure qui me souffle de battre en retraite, je prends ma voix de papa ours mielleux et déclame à la façon d'un gentil animateur : "Dites, la jeunesse triomphante ! On fait un petit tour dans le jardin ?"
Croyez-moi si vous le voulez, je ne fais jamais de bide avec cette proposition. Jamais. Du velours, 100 % de réussite. Qu'il vente, qu'il neige, que l'orage gronde ou le soleil brûle, ma progéniture me répond systématiquement à l'unisson : "Quelle chouette idée, l'ancêtre. On y va !". Toutes bêtises cessantes, la joyeuse marmaille file alors vers la porte d'entrée en jouant des coudes. Un rêve éveillé.
Ce matin, devant l'urgence de la situation, j'ai sorti ce joker de ma manche. Après avoir débranché le fer à repasser et enlevé la batterie du petit dernier (on y accède par une trappe située sous le body), j'ai fait à cette joyeuse association de malfaiteurs une proposition qu'ils ne pouvaient pas refuser : "On va dans le jardin, mes jeunes amis ?". Comme à son habitude, le projet jardin fut voté à l'unanimité. J'étais heureux et fier. En réalité, mes ennuis commençaient.
Le plan C : le retour de la revanche des manteaux rouge.
En effet, avant de franchir victorieusement le pas de la porte je n'ai pas pu échapper à l'éternel débat du manteau. Dans sa version carabinée, avec ça.
Certes, nous sommes en été. Certes, il est censé faire trop chaud. Seulement, tout est dans le censé. Car cette année la pluie n'est jamais bien loin. Elle ne dort que d'un œil comme si elle ne voulait pas laisser le soleil sans surveillance. Les températures et la couleur de mes tomates s'en ressentent. Ma bienveillance paternelle est également sensible à cet état de fait. C'est pourquoi, en bon adulte rébarbatif (ce qui peut se traduire par : en parent) j'ai invité mes joyeux drilles à enfiler leur petit coupe-vent léger et imperméable. La routine, quoi. Rien de très spectaculaire ni imprévisible. J'ai même fait l'effort d'amener ma proposition avec une certaine subtilité.
"Tiens, je crois qu'un petit grain se prépare. Finalement, on va peut-être devoir rester à la maison faire cramer des Lego et se vautrer du haut de l'étagère.
- Oh, père, je sens les larmes me monter aux yeux. Je... je... jamais nous ne sortirons de prison ?
- Nom d'un pluviomètre ! Je crois qu'on a justement quelques coupe-vent hyper légers dans le placard. Chic, les enfants, la sortie est sauvée !"
Normalement, ma ruse brillante aurait dû fonctionner et le chœur enfantin reprendre gaiement ce refrain : "Oh oui ! Enfilons bien vite ces manteaux salvateurs, gentil papa, héros de nos âmes enfantines, et sortons nous promener !". Suite à quoi nous serions tous sortis nous promener dans nos superbes coupe-vent d'un rouge à faire crever mes tomates de jalousie. Bien protégés de la pluie, nous aurions ri de notre invulnérabilité et nous serions félicités mutuellement d'avoir été prévoyants.
Au lieu de quoi, j'ai entendu un de ces soupirs trainants qui précèdent les grandes déclarations. Immédiatement suivi de sa grande déclaration : "Je n'enfilerai pas ce truc. Sans moi, les copains. Je préfère encore faire fondre les Lego. Amusez-vous bien avec vos déguisements de tomate".
Plus exactement, j'ai entendu cette réplique cinglante deux fois (en canon), le frère terrifiant et adorable ayant lui opté pour une fuite ponctuée de hurlements à la simple vue de son adorable petit ciré rouge. Je ne sais pas pour vous, mais c'est un fait qu'au sein de mon foyer on a une lourde tendance à mettre son manteau à l'intérieur et à l’enlever pour sortir. Comme un défi à la logique des adultes.
Étape 1 : Une certaine idée de la liberté |
Étape 2 : Une autre idée de la liberté... |
Alors j'ai eu une révélation. Quand vous commencez à vous vêtir en fonction du climat, c'est que vous avez quitté le monde de l'enfance. La logique des adultes n'est pas logique du point de vue d'un enfant, voilà tout le secret. Et rien, à ce jour, rien ne prouve que les raisons que l'enfant ne prétend pas avoir n'aient pas une valeur au moins égale à celles que l'adulte lui assène.
Oui, je crois qu'on peut considérer la divergence de point de vue concernant l'épineux sujet des manteaux comme la frontière qui sépare l'adulte et l'enfant.
En abandonnant mon manteau j'écris ton nom : liberté |
Ce matin, après réflexion, nous sommes tous sortis sans manteau - moi le premier.
Et nous avions tellement raison de n'avoir aucune raison valable de le faire !
C'est drôle d'avoir envie de toucher au fer à repasser, moi je le fuis comme la peste ;-)
RépondreSupprimerAude.
N'est-ce pas ? Je devrais discrètement remplacer la brique de Lego par une chemise. Sait-on jamais ?
Supprimertu as oublié le petit pot au lait?? :-P
RépondreSupprimerIl a été dégusté au retour. Dans un bon chocolat chaud !
RépondreSupprimerAvec mon cadet, nous allons au jardin pieds nus.
RépondreSupprimerEt parfois, le soir après le bain, si je le cherche, il est reparti trainer son pyjama dans l'herbe tendre ;-)
Les chaussures, c'est un peu comme les manteaux, n'est-ce pas ? Les deux sœurs copines ont le même rituel post-bain que ton cadet ! Rien ne sert de les en dissuader, c'est leur plaisir du soir.
RépondreSupprimerJe crois que nos enfants ont en commun d'avoir compris combien l'air, le vent, la nature, le jardinage sont une évidence quotidienne - et non un simple luxe.
(Je me méfie tout de même beaucoup de ma haie de pyracanthas. Après une taille, une branche est vite oubliée et peut se rappeler au (cruel) souvenir de nos pieds ! Mais la sensation des pieds nus sur l'herbe douce... je suis le premier à m'en saouler...)