vendredi 18 août 2017

Boucle d'or et les linaires des champs


Un papa et sa petite fille
Just the two of us
Dimanche, il ne pleuvait pas. 
Dimanche le soleil est venu chatouiller nos velux. 

Tu t'es levée d'un bond, comme tu le fais toujours, et tu es venue chatouiller mes pieds. Toi, ma deuxième enfant, la première des sœurs copines ; toi, la première levée, comme chaque matin depuis que tu as ouvert les yeux. En retour, je t'ai prise dans mes bras et je t'ai chatouillé le cou avec ma barbe. Tu as ri et j'ai fermé mes yeux de bonheur. Tu as ri encore. J'ai ouvert mes yeux de bonheur. J'ai ri avec toi.


Rires et impatience


Ma toute petite grande, toi et moi avons en commun notre espièglerie et un sommeil fragile comme un pétale de coquelicot. Je te croise la nuit pendant que la ville dort. Tu te balades, un œil mi-clos, l'autre mi-ouvert. Ensemble, nous évoquons nos rêves, quelques secondes, avant de retourner les rejoindre. Nous nous reverrons au prochain réveil !... 

Je soupçonne qu'à chacun de ces réveils tu espères comme moi que le jour se soit enfin levé. Je le sens, le sais ; je perçois ce qui vacille et danse en toi. Parce que nous avons tous les deux cette étrange sensation en nous, depuis notre naissance. Je crois que ce sentiment qui anime nos nuits est tout simplement l'impatience de vivre. Tu verras, elle ne te quittera pas. Elle survivra au malheur, au chagrin, aux peines, aux épreuves, à toute la noirceur du monde ; c'est une flamme dans ta poitrine à l'abri de tous les vents.
 
Nous nous sommes habillés, avons descendu l'escalier jusqu'au placard de la cuisine. Notre placard, celui où nous cachons nos trésors : ton muesli au chocolat, mes deux thés fétiches. J'ai feint d'hésiter entre un Sencha Yame de l'année, très iodé, aux saveurs atypiques de queue de cerise et d'épinard, et un Genmaisha Matcha aux notes délicieusement grillées. Je t'ai demandé ton avis et tu as répondu : bois tes épinards, papa d'amour.  J'ai deviné que tu te moquais délicatement de moi.

deux thé verts japonais, un sensha et un matcha
Sencha Yame et Genmaisha Matcha, les frères copains

tasse de shencha yame, d'un vert merveilleux
Sensha Yame, le choix de la déraison

Nous avons longuement choisi deux belles pommes dans le panier, pressé quatre oranges, posé entre nous sur la table un festin de roi et de princesse. 

Tu as picoré, j'ai dévoré. 

Je me suis régalé de cette fameuse compote de rhubarbe que nous avions préparée ensemble ; tu l'as boudée pour un yaourt à la vanille né de la main de ta sœur. J'ai tourné un instant le dos pour m'assurer que le soleil n'était pas parti ; et en un éclair tu as fini mon thé. Puis, tu as plissé les yeux de plaisir en me regardant m'interroger devant ma tasse vide. J'ai pris mon air faussement contrarié et ta grimace s'est transformée en fou-rire. Pour prolonger ta farce, tu as mangé quelques feuilles du Sencha infusé que j'avais déposé dans une soucoupe. Tu as été la première surprise de trouver ça bon. Je t'ai imitée. C'était délicieux.
 
thé macéré et délicieux
Si ça se mange ? Bien sûr que ça se mange !
Nous nous sommes rapidement brossé les dents et nous sommes sortis en découdre avec le soleil. La maison dormait encore au moment de refermer délicatement la porte derrière nous.


Bois des mares et pré des soleils.


Nous avons filé droit vers le bois de la mare, notre coin favori. Nous poussons chaque week-end son exploration un peu plus loin. Nous avons joué à frissonner devant la pancarte "attention pièges danger" qui trône comme une sourde menace à l'orée du bois. Tu l'as défiée du regard avant de lui adresser un sourire téméraire. Puis tu as avancé résolument - en tenant fort ma main.


pancarte d'avertissement de présence de pièges de chasseur avant le bois
Brrrrrrr...
Nous avons marché. Marché, marché encore, d'un bon pas. Mes larges pas tranquilles et tes vives foulées se sont accordés comme une contrebasse et un violon. Nos rythmes de père et fille, si différents et parfaitement syntones. Une énigme ; une évidence. Nous avons parcouru dix kilomètres - pas de quoi te fatiguer, simplement te donner faim. Nous avons cueilli quelques mûres, ouvert mon sac à dos pour en sortir un saucisson et des tomates que nous y avions soigneusement rangés avant notre départ. 

Petite fille et grand couteau
Je t'ai confié mon couteau et tu as découpé le saucisson avec application. Je t'apprends à devenir grande en te faisant confiance. 

Je t'ai raconté pour la millième fois cette histoire que tu aimes tant entendre, celle des inuits qui offrent un couteau de chasse à leurs enfants le jour de leur cinq ans. Et leur enseignent l'art s'en servir. Tu as affirmé d'un ton professoral qu'ainsi ils évitaient les blessures que les chers petits se fussent faits plus tard en manipulant une lame qu'ils n'eussent pas appris à maîtriser. Ma petite inuit, peut-être te blesseras-tu un jour, mais tu auras appris, toi, que tout est affaire d'équilibre fragile entre le risque et l'illusion de sa maîtrise. 

Cette fois, tu ne t'es pas blessée et nous nous sommes mis à table.

Tu as picoré et j'ai dévoré. Nous sommes repartis.

Nous avons couru le long de la grande pente couverte d'aiguilles de pin. Comme chaque dimanche tu m'as demandé de fabriquer des skis avec des branches pour pouvoir la dévaler. Comme chaque dimanche je t'ai dit que c'était trop dangereux. Comme chaque dimanche, tu m'en as voulu ; un peu, pas trop, et surtout : pas plus de quelques secondes. Ta rancune a l'épaisseur d'une feuille de graphène.

Une grande descente recouverte d'aiguilles de pin
L'appel (de la grande descente) de la forêt

Avant de redescendre vers le village, nous avons coupé à travers un pré inconnu. Chacune de nos promenades dominicales contient son lot d'aventure. Nous n'avons pas été déçus ! Un halo de soleil illuminait le sol. 

les linaires et boucles d'or
Ta blondeur, celle des prés

Blondinette au milieu des fleurs
Soleil en son royaume

Tu t'es baignée dans une mer de fleurs d'un jaune tendre, tu as dansé avec les bourdons. Tu as déniché un bambou solitaire qui t'as semblé un pionnier dans cette étendue dorée. Tu as dit qu'il te ressemblait, seul de son espèce parmi les fleurs jaunes. 

Est-ce un bambou ou une petite fille ?

Je t'ai appris que ces fleurs jaunes s'appelaient des Linaires communes et tu m'as dit que j'étais savant. Je t'ai avoué que j'avais eu un coup de chance : j'avais lu la veille au soir un livre sur les plantes sauvages. Tu m'as répondu que la chance sourit aux chanceux ; et là, c'est moi qui ai souri. En réponse, tu as ri. Tu ris tout le temps. 

Le bourdon butine la linaire
Bienvenu à Bourdon sur Linaire
Nous avons pris le temps de nous allonger. Tu as dormi un peu, ta tête sur mon épaule. J'ai entendu mon cœur tinter sous ma peau. Il ne bat jamais aussi doux que quand tu l'entoures de ton sommeil de plume.


 


 

 

Le retour des héros d'or et de croissant

Nous avons couru dans le chemin qui serpente vers l'église. 

Tu as voulu acheter du pain et nous avons acheté du pain ; à la tranche, brune, épaisse, craquante et moelleuse à la fois ; comme tu l'aimes, comme nous l'aimons. Tu n'as rien réclamé et je t'ai acheté un croissant. 

Nous nous sommes arrêtés sur un banc pour le déguster. Tu as insisté pour que j'en mange un morceau. Il était délicieux. J'ai dû te convaincre de ne pas rapporter la moitié de ta viennoiserie à ta sœur. Tu n'as accepté qu'à condition que nous lui rapportions un croissant tout entier.

une petite fille partage un croissant avec son papa
Mon croissant est ton croissant
Nous sommes retournés à la boulangerie. La boulangère a semblé émue lorsque tu lui as demandé de te donner le frère de ton croissant pour l'offrir à ta sœur. Ma tendre enfant, je te confesse qu'elle n'était pas la seule à étouffer une larme d'émotion. Ta générosité est d'une beauté à couper le souffle des boulangères - et celui de ton père.


Nous sommes rentrés ensemble à la maison, toi et moi, comme des héros ordinaires. Nous nous sommes assis et nous sommes souris en silence.

J'ai rompu ce silence pour te dire que je souhaitais écrire cette balade que nous venions de faire. La raconter, te raconter. Je t'ai bien sûr demandé si tu étais d'accord pour que je le fisse : ce récit t'appartient pour moitié. Tu n'as accepté qu'à condition que je raconte aussi tes sœurs et ton frère. Je te l'ai promis. 
 
Chez nous, tu le sais, les promesses sont d'or pur, à l'image des linaires et de tes boucles ; alors je le ferai très bientôt. Un chapitre pour chacun de vous quatre. Quatre portraits de la plume du plus heureux des pères.

Ma tendre fille, ma petite grande, tu es simplicité et joie, don de toi et partage de toute douceur ; et je t'aime plus que j'aime la vie elle-même.

14 commentaires:

  1. C'est beau... Un jour, tes enfants devront le lire avec leur cœur d'adulte... J'ai hâte de lire les 3 autres portraits.
    Lorsque j'ai eu mon premier enfant, je l'ai un peu trop protégé et puis avec le temps, mon second enfant et la maturité, je me suis donnée pour mission de ne plus les surprotéger comme mes parents l'avaient fait avec leur éducation stricte, leurs angoisses.
    Depuis, chaque jour, je me fait violence et je tente de lâcher la bride à mes loulous. Je leur donne un outil et je leur apprend à s'en servir. Ici les garçons ont le droit d'utiliser un couteau, un marteau et des clous... avec notre accompagnement. Et je tente de ne pas leur transmettre mes angoisses (ce qu'il n'est pas toujours chose facile, mais déjà je suis fière de moi parce que j'en suis consciente ;-)
    Belle journée (ensoleillée) Geontran

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    1. Je crois que cet effort auquel tu t'astreins est un cadeau que tu fais à tes enfants et une immense preuve d'amour. Aller contre ses inclinations premières dans l'intérêt d'un autre, je crois c'est là l'altruisme véritable.

      Pour les angoisses, je pense exactement comme toi : en être conscient(e), c'est certainement la meilleure façon de les mettre à distance. Et puis, ce qui doit se transmettre se transmettra. Nous ne maîtrisons pas tout, ni n'en sommes responsables.

      Quand mon aînée est née, j'ai appris à nager, moi qui avais très peur de l'eau, pour ne pas lui transmettre mon angoisse. Et bien, j'ai raté mon coup ! Elle a toujours eu une appréhension à l'idée de se baigner. Mais peut-être n'ai-je rien transmis ; peut-être est-ce simplement sa peur à elle ? Au fond, l'important est que j'ai fait de mon mieux, tout ce que je pouvais, pas plus, pas moins ; je le sais, alors je suis serein et demanderai à un maître-nageur de lui apprendre à nager, tout simplement !

      Bonne soirée d'un dimanche enfin estival.
      Geontran.

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  2. j'ai la larmes qui perle, ta petite fille est belle à ne pas en douter, belle dans tous les sens du terme..
    bonne fin de soirée Geontran

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    1. Merci Catherine.

      Elle est belle, c'est vrai ; et aussi et surtout dans son cœur. Tu l'as saisie telle qu'elle est. Je ferai tout pour qu'elle n'ait pas à aller contre sa nature un jour, pour se protéger. Mais je ne suis pas inquiet : je crois qu'elle saura faire de sa bonté une force.

      Je te souhaite de profiter de cette douce soirée.
      Geontran.

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  3. Quel beau texte, plein de tendresse et de poésie.
    Ta petite a de jolis cheveux d'or et un coeur généreux.
    Je vous souhaite à tous un joyeux dimanche en famille

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    1. Bonsoir,

      Ce que tu écris me touche beaucoup. Et puis, c'est très juste. Ma petite grande fille est une boule de tendresse, qui en inspire retour. Je dis souvent qu'elle est solaire, dans tous les sens du terme, et je crois que c'est exactement ce qu'elle est. La lumière vive de notre maison et de nos cœurs.

      À très bientôt,
      Geontran.

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  4. Que c'est beau ... plein de tendresse , de douceur !!
    On voit l'AMOUR que tu portes à tes enfants et ça fait du bien de te lire .
    Un joli portrait écris par un PAPA à sa jolie tete blonde :)
    Je vous souhaite également un agréable dimanche en famille .

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    1. Bonsoir, Coco,

      Sois la bienvenue, et merci ! Je suis touché de ta visite, mais plus encore de tes mots. Oui, ma petite grande fille est assurément de ces enfants qui nous guident vers plus d'amour et d'apaisement. Je crois que les enfants nous apprennent autant que nous leur apprenons, et sans doute un peu plus. Ils nous rendent meilleurs, à notre échelle, et sans la prétention de vouloir l'être. Je te souhaite en retour une agréable et douce fin de dimanche. À te lire, Geontran

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  5. Un très bel article. Très émouvant qui fait bien ressentir l'amour d'un père pour son enfant. C'est adorable. Belle fin de journée.

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    1. Bonsoir Wivina,

      Je suis ravi de te lire ici en plus de te lire sur ton blog ! Et plus encore que tu m'aies lu avec plaisir et émotion. Mes enfants sont pour moi un bonheur dont je me pince chaque jour pour savoir s'il est réel. Vraiment.

      À très bientôt.
      Je te souhaite une belle soirée.
      Geontran.

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  6. Quel blog! Tu nous régales avec ces petites histoires du quotidien dont tu fais de grandes histoires. Je ne peux m'empêcher de me demander quel temps tu passes à peaufiner tout ça, photos comprises. J'attends la suite avec gourmandise. Bonne soirée.

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    1. Bonjour et merci, infiniment, pour tes mots chaleureux et... pour ton attente (et pour la gourmandise qui l'accompagne). Je suis heureux de t'accueillir ici et très heureux de te lire sur ton blog.

      À très bientôt, donc.
      Je te souhaite une douce nuit d'août.
      Geontran.

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  7. Bonjour Geontran; depuis quelque temps, je lisais sur certains blogs des commentaires très bien écrits avec en plus un humour que je qualifiais de poétique. Je me faisais la promesse d'oser un jour te l'avouer au hasard d'un nouvel article et voilà, qu'aujourd'hui en cherchant des infos sur un rosier, je tombe sur un de tes commentaires avec en plus un lien vers un blog!J'ai lu avec un grand bonheur cette ode à ton petit homme; une plume fine, émouvante et si sincère. Merci Geontran, je te laisse car il me tarde de lire tes précédents billets...

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