Les délices de la cohabitation |
Notre histoire commence, une fois n'est pas coutume, par une devinette.
Deamii et Pendulum sont dans une plate-bande. Août survient et le soleil se fait timide ; qui reste-t-il ?
- Les deux mon Capitaine !
Et oui, la Rudbeckia fulgida 'Deamii' et le Persicaria amplexicaulis 'Pendulum' ont en commun de s'épanouir au Nord de nos murs les plus ingrats, là où le soleil ne s'aventure pas souvent. Ce sont des vivaces facile à vivre. Elles partagent en outre la qualité de fleurir en continu de la fin juillet jusqu'à octobre. Un rêve, dites-vous ? Et bien oui, ça y ressemble fort. Mais loin de moi l'idée de verser dans la chronique botanique érudite. Fi donc de ces savantes caractéristiques et place au récit de deux vivaces en leur berceau : le jardin naissant d'un jardinier certes débutant (de chez débutant), mais amoureux éprouvé de ses fleurs.
Persicaria amplexicaulis 'Pendulum' : lumineuse, épis c'est tout
Sous le manteau ronflant de son patronyme latin se cache une jolie appellation populaire : c'est une renouée. J'userai donc du féminin pour la raconter. Notre renouée est bien une cousine de la mauvaise herbe du (presque) même nom, Persicaria maculosa. Allons, ne l'en blâmez pas : après tout, nombre de familles ont leur lot de cousins un peu envahissants, non ? Mais si, vous savez, ces énergumènes qui se font remarquer pendant les mariages et que l'on oublie le reste de l'année.
Et bien, de la même manière, je vous propose d'oublier ce que nous croyons savoir des renouées, ce terme ambigu, à cheval sur plusieurs genres de la famille des Polygonaceae. Car la nôtre est assurément une fleur d'ornement. Elle est d'un magnifique rouge carmin. Enfin, selon le pépiniériste qui me l'a offerte dans un élan d'amour floral (et de son prochain).
J'imagine qu'il a dû omettre d'aviser sa progéniture de ce fait, ce qui expliquerait qu'elle eût pris des libertés avec sa teinte supposée. En effet, dans mon jardin - qui est à présent le sien - point de carmin : 'Pendulum' est d'un rouge violacé tirant sur le rose. Une couleur vive et intrépide.
Je ne suis pas le seul à apprécier 'Pendulum' ! |
Après quelques recherches, j'ai réalisé que mon ami pépiniériste avait dû se mélanger les plantoirs et confondre ma 'Pendulum' avec l'une de ses sœurs (quelle famille, décidément !). En effet, la robe qu'elle revêt en mes terres est parfaitement caractéristique du cultivar ; on la nomme "rose indien".
Ainsi parée, notre renouée offre un éclat unique à mon premier café de la journée - dont elle accompagne chaque gorgée d'un frémissement d'épis scintillants. C'est la fleur des petits-déjeuners réussis : timide mais rayonnante, d'humeur égale, endiablée sans être endimanchée, toujours prête à accompagner le soleil dans sa conquête du jour. Elle est une beauté discrète et lumineuse à la fois. Infiniment raisonnable, ne réclamant que peu de soins... et me les rendant chaque matin au centuple.
La sœur copine numéro 2 lui offre parfois de l'accompagner dans les mondes imaginaires qu'elle ne cesse d'inventer. Sa simplicité lui plaît. C'est, dit-elle, "une parfaite fleur de voyage".
Quelque chose à déclarer ? Oui, une fleur. Et c'est tout ? Oui, c'est suffisant. |
Le dernier présent de ma chère 'Pendulum' viendra avec l'automne : le rougissement pudique de ses feuilles caduques. Il me tarde de rougir avec elle devant pareil spectacle.
Rudbeckia fulgida 'Deamii': d'or et de taille
Ses pétales jaunes vous attirent, son cœur noir vous avale. 'Deamii' est à n'en point douter une beauté généreuse, mi-ténébreuse mi-solaire.
Il est où, le soleil ? Il est où ? |
Impossible de la rater dans son (ersatz de) massif. Elle entoure ma "mini-serre aux maigres courgettes" de son ostentation chaleureuse.
Ses fleurs sont nombreuses, larges comme des soucoupes. Elle est de ces beautés qu'on n'approche qu'en chuchotant. Si la coriandre à son pied s'incline, c'est parce que sa tenue est celle d'une reine. Son port demeure donc altier en toute circonstance. Et si elle zigzague parfois, c'est pour mieux rejoindre le soleil. Quand ce dernier fait grise mine, elle le remplace d'ailleurs au pied levé.
Sous ses faux-airs un peu snobs se cache le naturel d'une marguerite. Aussi, elle se laisse volontiers couper d'un coup de sécateur adroit par l'une et/ou l'autre des sœurs copines. Alors, à la faveur d'un bouquet, elle deviendra bouffée d'or fin, soleil d'intérieur et remède contre la mauvaise humeur.
Seul inconvénient : aucun vase n'est assez beau pour elle. De la même manière, mon embryon de jardin ne sied guère à sa beauté... c'est pourquoi il me tarde de la diviser en automne pour le hisser jusqu'à sa hauteur.
Seuls les cheveux d'une enfant sont un écrin adéquat pour son parfum d'insouciance.
Tempête de soleil(s) |
Il est là, son secret. 'Deamii' est une fleur comme les enfants en dessinent, sans modèle, à l'aveugle ; elle est la marguerite de nos enfances, celle que nous prenions le temps de colorier de notre plus beau feutre en veillant à ne pas dépasser. Elle est l'évidence faite fleur et nous pouvons la voir lorsque nous fermons les yeux, que nous soyons néophytes ou amateurs éclairés.
Elle est la fleur que nous avons entre nous.
'Deamii' et 'Pendulum', 'Pendulum' et 'Deamii', vrais amies ou fausses ennemies ?
Chez moi, ces deux belles de jour se fréquentent ; mieux, elles sont voisines. Elles se touchent du bout des feuilles, jouent des coudes dans la brise, s’entremêlent parfois. L'imagination aidant, elles paraissent prendre le spectateur à témoin de leur charme respectif. Il est impossible de choisir. Enfin, je parle pour moi !
Les limaces, elles, ont choisi : elle fuient ostensiblement 'Pendulum'. La veinarde - et moi avec, qui profite de son feuillage intact.
A contrario, l'abeille qui nous a rendu visite hier a survolé 'Deamii', hésité, changé de cap, avant de se poser sur l'épi le plus charnu de 'Pendulum', qu'elle n'a quitté que repue.
Oh bien sûr, tout ça n'est qu'une affaire de délices butinatoires, de chimie olfactive et de limaces errant sans but réel... mais tout de même, j'ai voulu y voir la preuve de la cohérence de la nature : les abeilles et les limaces ne sauraient avoir les mêmes goûts. Et pourtant, ce faisant, elles sont le témoin de la diversité de nos jardins. Et donc quelque part de sa beauté. Cela à parts égales, qu'on le veuille ou non.
Au fond, 'Deamii' et 'Pendulum' sont plus jolies ensemble que séparément. Lorsqu'une courte étendue de terre les embrasse dans un même mouvement, elles sont ordre serré et liberté légère, volupté et réserve ; un nuage de soleil au dessus d'un tapis de mille feux. Une beauté double ou plutôt multiple : oui, ensemble elles ont le charme de mille.
J'ai demandé aux sœurs copines ce qu'elles pensaient de ces deux fleurs - elles qui savent encore penser sans arrière-pensée. Elles m'ont répondu : j'aime quand la grande cache la petite et qu'on la voit quand même, et qu'on la voit mieux.
Que ne l'ai-je demandé plus tôt et reçu en cadeau, cette évidence que je ne cueillerai jamais plus - ou seulement dans le souffle de leur enfance, qui sait parfois faire résonner la mienne, loin, très loin, derrière ma sottise d'adulte.
Quelle histoire ... !!
RépondreSupprimerEn te lisant , je me pose toujours la question : ou trouve tu ( je te tutoie meme si on se connaît pas ;) ) toute cette inspiration pour raconter de la sorte tes articles ??
Je suis fan des rudbeckia meme si j'en ai que 2 pieds pour le moment chez moi ....
Belle journée .
Bonsoir et merci de ta visite - et de tes mots,
SupprimerNotre passion commune pour les rudbeckias nous autorise évidemment à nous tutoyer !
Je trouve mon inspiration dans le sourire qu'ont mes enfants lorsque je leur invente des histoires. Et puis, lire des commentaires aussi gentils que le tien achève de me donner des ailes.
Bonne soirée,
Geontran.
Bonjour Geontran, n'étant pas fan des couleurs vives au jardin, je viens seulement d'adopter un pied de Rudbeckia. Ce sera justement le sujet de mon prochain article... Mais de voir cette jolie association me faire réfléchir.
RépondreSupprimerBelle histoire comme d'habitude. C'est très plaisant de te lire :-)
Belle journée
Bonjour Estelle,
RépondreSupprimerMerci de ta visite ! Je ne suis comme toi assez peu amateur des couleurs vives, au jardin comme ailleurs. J'ai toutefois décidé de leur consacrer un massif sur le côté Nord de ma maison, comme un défi à sa grisaille. Je ne regrette pas !
Quand il pleut, que le ciel s'assombrit, ou encore que la nuit arrive à pas feutrés, c'est très agréable de s'y promener. Un véritable bain de soleil, un instantané de joie lumineuse ! Et je peux ainsi offrir des bouquets vivement colorés à ceux qui les affectionnent.
Et puis, j'ai tout le reste du jardin pour pour laisser s'épanouir mes goûts d'incorrigible romantique.
Je te souhaite une belle journée mi-grise mi-ensoleillée.
Geontran.