Je me dirigeais inévitablement vers l'avant du train, où se trouvaient les compartiments fumeurs. J'en choisissais un désert, avec un fauteuil suffisamment usé pour m'offrir une assise moelleuse - mais pas trop, pour préserver mon pantalon de flanelle grise de la griffure des ressorts.
Je refermais la porte d'une caresse. Je pouvais enfin allumer une Dunhill, avec la délectation du voyageur qui se sent à l'abri de l'imprévu. Les effluves du tabac anglais se mélangeaient avec l'odeur métallique des pluies de queue d'orage qui arrosent le Morvan à l'automne. J’ouvrais la fenêtre autant que possible. Je m'émerveillais de ce fragment de seconde qui transformait l'air et la fumée en parfum. Cette alchimie des fragrances était annonciatrice de perspectives merveilleuses : j'allais à la rencontre de la nature et de mon sang maternel, l'esprit allégé du poids des jours ternes.
Là-bas, je ferais le tour du jardin avec ma grand-mère, qui me parlerait des fleurs et de feu mon grand-père. Je laisserais mon regard se perdre à la surface de l'étang. Peut-être rencontrerait-il les sinusoïdes d'une couleuvre vipérine nageant à la surface de l'eau. Je resterais ainsi une journée ou deux, avant de partir faire le tour du Morvan, avec pour compagnon mon sac à dos à moitié vide, dormant au gré des forêts dans une minuscule tente de montagnard.
Je sortais la tête par la fenêtre du train. La pluie me giflait les joues, sans violence à cette vitesse. Je chantais des chansons que je trouvais belles et désuètes, et qui étaient simplement belles : Souchon, Sanson, Christophe. Je chantais faux et m'en fichais. Je chantais à tue-tête ; je chantais à toute joie. Les derniers kilomètres passaient étrangement vite. Je pensais : c'est un étonnant mystère que celui de cette Micheline qui file quand le TGV se traînait. Ce mystère était celui du temps - déjà.
Je descendais à la tombée de la nuit à la gare de Luzy. Je ferais les
derniers kilomètres à pied, par fierté et par amour. Je voulais étirer un certain contraste à son niveau le plus élevé. Mes cousins
arrivaient en voiture, bruyamment, sans prendre le temps de
parler avec notre grand-mère. Ils partaient dans un même fracas, me laissant la place libre pour ne rien faire comme eux. Moi,
je me glisserais silencieusement auprès de ma grand-mère, dans un sourire, et nous
resterions longtemps ainsi à profiter de la présence de l'autre.
Pour moi, elle a toujours été la jeune fille aux yeux d'un étonnant bleu éclatant, délavé et doux, dont les rides venaient simplement souligner la constance de son sourire. Au fond elle avait l'âge de son regard, à peine plus que le mien. Ce bleu, le bleu du ciel et de son âme, je l'ai revu dans mon jardin ; c'est celui qu'arborent les fleurs de lin immédiatement après leur aperture.
Si l'on doit juger de la beauté des retrouvailles à celle de leurs silences, les nôtres étaient belles comme une nuit aux nuages effilochés, comme cette nuit en devenir sous laquelle je commençais à marcher. Cette dernière portion de route sinueuse, menée tambour tranquille au crépuscule, tous mes sens attentifs et curieux, la joie faisant feu naissant dans mon cœur, je la parcours aujourd'hui encore - en rêves et en récits.
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Ainsi s'achève ce périple de mon souvenir itinérant. À la façon dont vous avez fermé la porte de ce monde, vous ma chère Bonne Maman qui me manquez : sans jamais s'effacer - ni de mon cœur, ni de mon jardin, ni des histoires que je raconte à ceux qui me suivent. Vous m'avez appris plus que je n'en sais encore aujourd'hui. Il me reste ainsi tant à découvrir de vos bienveillantes leçons !
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Ah,les Dunhill, dans une autre vie, j'ai fumé aussi ces cigarettes mentholées et extra longues.. tout en poésie nostalgique encore ce billet. L'évocation de ta Bonne Maman est émouvante et me renvoie à ceux qui me manquent aussi.
RépondreSupprimerBonjour Sedna,
SupprimerAh oui, c'était pour moi aussi une autre vie. Mais j'en perçois encore les fragrances enfumées !
Ma Bonne Maman me manque, mais aujourd'hui c'est en souriant que je pense à elle. Sans elle je n'aurais jamais eu la même adolescence, et donc la même vie. Elle était mon refuge.
Bonne journée,
Pierre.
Bonjour Pierre, j'ai adoré voyager avec toi, dans ce train et dans ta jeunesse, au fil de tes trois articles ! Que de souvenirs, les vieux trains corail, les compartiments fumeurs... Et quel plaisir de faire connaissance avec ta grand-mère, dont les photographies ont su garder trace de sa beauté et de son sourire éclatant ! Elle avait l'air d'une femme formidable, à l'image de la relation que tu entretenais avec elle... Il est des personnes qui nous marquent de leur empreinte bienveillante et contribuent définitivement à façonner les personnes que nous sommes devenues !
RépondreSupprimerJe te souhaite un très beau week-end prolongé :)
Bonjour Sophie et merci !
SupprimerC'est tout à fait ça : une "empreinte bienveillante". C'est une belle expression, qui dit parfaitement les choses.
Bonne journée - d'un printemps retrouvé... entre deux averses.
Pierre.
Bonjour Pierre,
RépondreSupprimerTu m'as émerveillée par tes trois récits, étapes de ta vie avec de beaux souvenirs. Tu parles de ta grand-maman avec tant de tendresse, c'est merveilleux. Il est des personnes avec lesquelles on se sent bien.
Ta grand-maman était belle et j'aime son sourire chaleureux.
Bonne journée, bises pluvieuses mais le soleil dans le coeur.
Merci Denise,
SupprimerLe soleil est une braise au fond de nous, qui se moque bien de la pluie !
Bonne journée,
Pierre
Que tu écris bien! Ton texte est tellement évocateur que tu me donnes envie de fumer une Dunhill. Moi qui ne suis pas du tout fumeuse !!! Une très belle histoire en trois épisodes. Ta grande mère était une femme merveilleuse qui comptait tellement pour toi. J'aime beaucoup cette complicité palpable entre vous deux. Passe une bonne fête de l'Ascension.
RépondreSupprimerMerci beaucoup Judith.
SupprimerJ'ai faille me donner moi-même envie de fumer une Dunhill à vrai dire, avec mes souvenirs !
Nous étions très complices, oui. Je ne ressemblais pas à mes cousins ; nous avions elle et moi en commun notre goût de la solitude et des fleurs.
Belle journée (mais si, le soleil pointe !)
Pierre
Ahhh le compartiment des fumeurs
RépondreSupprimerJe me souviens que je fuyais ces wagons enfumés des odeurs acres du tabac froid, par contre j'ai en mémoire l'odeur caractéristique entre toutes, celle que je préférais, c'était celle du tabac à pipe de papa qui sentait le caramel, le fameux Amsterdamer qu'il utilisait lorsqu'il ne fumait pas des gitanes maïs, les pires je crois, ça me rappelle ma première et seule cigarette, une royal menthol, j'avais 12 ans, je n'ai jamais retenté cette horrible expérience
Si tu tiens de ta grand mère tes yeux d'un bleu qui ferait rêver alors les siens devaient être superbes, à tout au moins la photo d'elle jeune démontre que son visage porte beaucoup de douceur et de charme, une certaine élégance aussi car les femmes à l'époque était d'une classe infinie, c'est bien loin d'être le cas aujourd'hui
J'ai trouvé fort joli ce lien qui vous unissait car il devait être très fort pour que vous vous soyez trouvé ainsi autour d'une fleur ou d'une belle histoire, cela fait perdurer son souvenir au delà du temps qui passe, c'est infiniment beau
J'ai beaucoup aimé découvrir le récit d'une partie de ta vie, ce fut un très joli moment
Je te souhaite une très belle journée, ici la météo fait le grand n'importe quoi
Des bises nuages et ensoleillées
Bonjour Christine,
SupprimerJ'ai moi aussi quelques de l'amsterdamer d'antan. Il n'est plus le même aujourd'hui ; j'ai perdu cette odeur et avec elle un peu de ma mémoire !
Bonne journée pluvieuse heureuse
Pierre
Comment ne pas se retrouver dans ces tranches de vie "qui ne sont plus" : finies les cigarettes dans le train , au cinéma etc.....exit Christophe et d'autres encore, envolée l'insouciance des cousinades et enfin terminées la complicité , les leçons de vie et l'amour de nos chères -bonne maman-, mamie,granny, mamette voire mémé dont l'enseignement de la vie était doux et différent de celui prodigué par les parents. Une fois de plus Pierre, merci de m'offrir ces mots que j'aurais tant aimé savoir poser moi-même sur une page .
RépondreSupprimerMerci Chinou!
SupprimerToi tu saurais poser sur une toile les couleurs de ces souvenirs.
Les histoires d'hier ne sont jamais perdues. J'aime penser que mes enfants les ont reçues dès la naissance, et les transmettrons à leur tour.
Bonne journée presque ensoleillée.
Pierre.
Merci pour ce beau voyage.
RépondreSupprimerDoux week-end.
Merci ! Un nouveau week-end s'annonce, qu'il te soit doux lui aussi !
SupprimerPierre.
Bonsoir Géontran,
RépondreSupprimerRien n'est plus beau que le parfum d'antan, le souvenir de ceux et celles qui nous sont cher(es), disparu(e)s trop tôt, mais dont l'empreinte d'amour colore la terre et le ciel de nos jours...Merci pour cet hommage à la mémoire de nos racines. Ma rose d'amitié.
Merci pour cette rose et ces mots.
SupprimerCe mot, empreinte, comme il est beau ! et doux !
Il y a je crois des empreintes autour et en nous, que nous ne voyons pas toujours. Il faudrait prendre le temps d'y passer la main et l'esprit.
Bon week-end - une rose, toute petite, la première du jardin, d'amitié pour vous.
Pierre.
Pouvoir profiter des 2 grands mères, c'est déjà un avantage... j'ai pu le faire. Merci pour ce récit très touchant. On ne profite pas assez de ses grands mères, elles sont déjà âgées quand on nait. Bonne fin de journée.
RépondreSupprimerC'est vrai. Je n'en ai connu qu'une, et qu'un grand-père, très peu de temps. De ce dernier, je fais la connaissance en lisant les ouvrages de sa bibliothèque, et me rend compte que nous avons beaucoup de livres en commun.
SupprimerBonne journée Elisabeth.
Pierre.
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