Il était une fois un jardin dans lequel les fleurs poussaient avec une joie féroce et délicieuse. Le jardinier ne les avait certes pas toutes plantées, mais il savait prendre soin de chacune, et chacune s'efforçait de se montrer à la hauteur de ses attentions.
Nourris à l'engrais de la simple bonté, les astres de ce jardin dessinaient une constellation fertile, clémente et généreuse. Les arbres veillaient en bons pères de famille sur les massifs colorés ; ralentissant le vent de leurs branches déployées, faisant terreau léger de leurs feuilles déposées. Les fleurs se succédaient sans se pousser de l'épaule.
Un monde vivait ici en harmonie - qui n'oubliait aucun.
Aucun ? Pas tout à fait : au fond du jardin, dans la fraîcheur ombragée du sous-bois, les fougères murmuraient leur détresse à leurs voisines les mousses.
"Avec nos frondes en guise de feuilles, triste camaïeu, et foisonnant sans far aux joues, nous sommes les oubliées de ce jardin. Nos spores feraient notre fierté s'ils voulaient bien s'offrir à la vue du voyageur. Au lieu de quoi ils nous ornent à revers, où le regard ne saurait accéder.
Que ne sommes-nous des plantes à fleur !...
Corolle ou calice, peu nous importerait le flacon pourvu que nous eussions l'ivresse...! voyez ! même les orties et les conifères tissent des inflorescences - filandreuses pour les premières, insignes pour les seconds, mais qu'un œil avisé saura apprécier.
Et nous ? Nous sommes d'invisibles monochromes. Les abeilles nous ignorent ; les hommes nous méprisent.
Notre royaume ! notre royaume pour une anthèse !"
Les mousses restèrent indifférentes à leur plainte. Car les mousses, les jardiniers en savent quelque chose, nourrissent un dessein profond dont elles eussent voulu qu'il demeurât secret : recouvrir le gazon - et ce aussi discrètement que possible. Aussi ne pouvaient-elles pas comprendre qu'on pût désirer se faire remarquer.
Nos ondines ptéridophytes continuèrent donc de souffrir dans une solitude silencieuse. Les fougères bruissent plus qu'elles ne vocifèrent - ainsi va la nature. Nul ne les entendaient maugréer à petit bruit. Le jardin continua donc de vivre en ignorant la part de ses habitants qui verdoyait sans fleurir.
Mais dans son dos certaines prières avaient été entendues. Plic, ploc ! ploc-ploc-ploc ! voilà qu'à présent, l'heure sonnait à l'horloge des cieux en colère !
Ainsi l'orage éclata-t-il d'une fureur vengeresse. La grêle se mêla à la pluie à mesure que grondait le tonnerre. En quelques minutes les fleurs furent aspergées, mouillées, trempées jusqu'à l'usure. Les roses perdirent leurs pétales, les sauges s'aplatirent dans la boue, les cosmos burent la tasse jusqu'à la noyade, les graminées dégoulinèrent jusqu'au sol.
De leur gloire passée ne subsistait qu'un vague souvenir. Le jardin souffrait de toutes ses fleurs ; tandis que dans le sous-bois l’ambiance était à la fête.
Les fougères aiment la pluie. Ou plutôt elles l'adorent. Elles frétillent sous l'orage, resplendissent au plus fort du déluge. À contre-pluie, elles se dressent fièrement ; face aux éléments déchaînés, elles ruissellent avec élégance.
Dans le jardin, les visiteurs, hommes et animaux, avaient fui les plates-bandes pour se réfugier sous les arbres. Autour d'eux resplendissait l'immense et généreuse famille des fougères. Enfin, ils remarquèrent la beauté cachée sous l'apparente simplicité.
Quelle élégance ! Ce feuillage, mon cher, on s'y draperait ! Les femmes et les hommes s'approchèrent, et firent l'effort de renverser le regard, découvrant les petits éclats d'or qui sertissaient les frondes. Jouant avec la pluie, les spores faisaient scintiller la scène toute entière, comme le rire d'enfant illumine la flaque d'eau. Tous firent la promesse de faire installer un banc en ces lieux, où l'on s’assiérait à l'entracte d'une visite, pour reposer les jambes et les yeux.
Au même moment, dans une plate-bande inondée, sa majesté la rose, pétales retournés, regardait son pied, pleurant comme tombe la pluie.
Alors tout le jardin - ou presque ! - partagea le long sanglot d'une reine découronnée :
- Que ne suis-je la fougère ?...
Merci pour ce texte et la musique (bravo à la guitariste). J'aime infiniment les fougères qui me rappellent la forêt de mon enfance.
RépondreSupprimerBonne journée.
Merci !
SupprimerComme vous, j'ai une tendresse toute particulière pour les fougères des bois. En balade aujourd'hui, j'ai croisé quelques polypodes qui ornaient un talus. Un spectacle merveilleux !
Bonne soirée,
Geontran
Chez moi les fougères rythment le temps. Tout au long de l'année, elles naissent et meurent, changent de couleur, de hauteur... Je peux traverser la forêt et sans cesse les admirer. M'y perdre aussi parce qu'en plein été, elles sont plus hautes que moi et je dois les repousser des bras pour suivre Luna :-)
RépondreSupprimerBravo à ta petite artiste ;-)
Bonjour Estelle,
SupprimerC'est vrai, il y a un lien étroit entre le temps et les fougères. Elles le rythment, comme tu l'écris si bien, et elles symbolisent aussi le temps long : elles sont une forme de vie très archaïque. Nos amies les fougères ont connu bien des époques... Leur capacité d'adaptation est incroyable, un peu comme les mousses.
Vraiment, je les trouve fascinantes.
Merci pour l'artiste, elle est passionnée. Je lui transmettrai, elle sera heureuse comme tout !
Bises et bonne semaine,
Geontran
Je crois que ce sont des plantes archaïques, on les retrouve dans les forêts primaires...Elles sont le mystère du jardin...Bravo à ta jolie musicienne : je connaissais cette mélodie, elle me l'a remise en mémoire !
RépondreSupprimerC'est un air si joli, délicat !
SupprimerElle l'a retrouvé pour moi et me le joue chaque soir (en plus des autres).
Ma Bretagne alors n'est plus si loin !
Belle journée, Capucyne,
Geontran
coucou Geontran
RépondreSupprimerQuelle jolie interprétation que celle de ta fille, bravo à elle, je l'ai écoutée (en boucle) en lisant ton article sur ces fougères oubliées qui savent se faire si belle lorsque l'on laisse les yeux se promener sur leurs frondes magnifiques, le royaume des fées sans doute, moi elles me plaisent car elle poussent sans soucis et en toutes saisons
Si tu veux avant de partir je te donnerais les deux miennes, elles pourront s'épanouir dans ton jardin où tu trouveras bien un coin sympa à leur proposer, au moins je sais que chez toi elles seront bien et elles vivront heureuses d'avoir au bout de leurs frondes l'humidité et l'ombre qui leur sont nécessaires
Belle et douce soirée dans le froid d'un soir d'hiver
Bonjour Christine,
SupprimerOui ! j'ai plein de coins et recoins pour des fougères. Tu peux me les confier les yeux fermés, mon jardin s'en occupera. Il y a là toute l’humidité requise. Je pense faire du fond de mon jardin un jardin de fougères, dans lequel je glisserai quelques vivaces.
Bonne journée, pleine de projets et de rêves ! et d'amitiés !
Pierre.
Merci de votre visite sur mon blog. Je découvre avec plaisir le vôtre. j'aime aussi les fougères dont vous faites un hommage charmant. la jeune guitariste, probablement votre fille, me rappelle la mienne qui a suivi des cours de guitare durant pas mal d'années et qui a interprété ce morceau. Je reviendrais arpenter votre jardin.
RépondreSupprimerBonjour Sedna,
SupprimerEt merci de votre visite en mes terres !
Oui, c'est bien ma fille. Ah, ce morceau traditionnel est un incontournable des cours de guitare. C'est un plaisir de les entendre répéter, n'est-ce pas ?
Revenez quand vous le souhaitez dans ce jardin qui est le vôtre. Et à bientôt chez vous !
Belle journée - pluvieuse, fougères heureuses !
Geontran
Une petite erreur dite "technique" m'invite à écouter ultérieurement la sans doute jolie voix de melle Geontran, dommage...
RépondreSupprimerMerci pour cette adaptation moderne du chêne et du roseau !
Les fougères qui caressaient les mollets de l'enfant qui, vacancière en Morbihan chez son arrière-grand-mère, allait mener les vaches au pré, sont un de mes plus doux souvenirs.
Bonjour,
SupprimerQuel plaisir de vous lire ici ! Les landes et prés bretons sont plein de fougères, oui. Il faut dire que le ciel est généreux avec elles. Leur odeur si particulière me chatouille encore les narines quand je ferme les yeux. Je m’émerveillais de leurs crosses enroulées. Parmi les souvenirs les plus doux, oui, comme je comprends cela !
À bientôt
Geontran
Ah les fougères! Elles se plaisent trop peu dans la terre sèche de mon jardin et ça me désole. Merci pour cette belle histoire et pour le morceau de musique joué admirablement par ta fille. Aujourd'hui il pleut ici ce qui ferait plaisir aux fougères mais par la suite elles souffriraient trop. J'ai tout de même 3 plantes qui s'en sortent relativement bien. Belle soirée Geontran
RépondreSupprimerBonjour Judith,
SupprimerIl y a bien quelques fougères qui s'adaptent à la sécheresse mieux qu'on le pense.
Les polypodes aiment les talus secs pourvu qu'ils soient ombragés, par exemple.
Le Dryopteris filis-mas (la photo de tête de mon article) est également assez tout terrain. Elle persiste en hiver et pousse très bien en pot. Les asplenium sont également très costauds !
Enfin, la Cheilanthes lanosa est une championne de résistance : elle supporte même soleil et sécheresse. À mon avis tu peux la tenter sans crainte ! Elle est superbe en rocaille.
Bises pluvieuses-joyeuses !
Geontran
Blonde et délicate comme Brigitte Fossey en ses "Jeux interdits", quelle délicieuse petite elfe tu as là ! Comme j'aimerais la ré-entendre en la forêt du Huelgoat au milieu des mousses et fougères ou tout près de la chapelle St Michel de Brasparts que j'imagine tu connais !Autour du cottage mousses et fougères foisonnent à qui mieux mieux mais en mon humble jardins en dehors des sauvages indéracinables en lisière de champs, les horticoles peinent à s'épanouirJe retiens la piste de la cheilanthe lanosa que tu as donnée à Judith et m'en vais voir de ce pas de quoi elle a l'air. Une douce nuit Geotran.
RépondreSupprimerBonjour Maryline,
SupprimerTu verras comme elle est belle, cette fougère laineuse. Au plus chaud de l'été elle semble de dessécher (un peu comme les mousses) mais une petite pluie suffit à lui redonner vie. Elle est belle tout l'hiver, le printemps et l'automne !
Nous irons sans doute jouer de la guitare cet été dans la forêt du Huelgoat, qui est sans conteste un des plus beaux endroits du monde ! Ma charmante petite elfe adore la musique en extérieur. Quand les beaux jours reviendront elle retournera offrir quelques douces mélodies à mes fleurs !
Bises de chaleureuse amitié hivernale,
Geontran