Beaux et douloureux sont les sourires sous les masques.
La nue vérité, c'est que nous pleurons les sourires d'hier. Leur disparition nous laisse orphelins d'un surplus de joie ; celui qui précisément faisait pencher, côté cœur, notre petite balance intérieure. Un réconfort, menu bonheur de rien du tout, rendu de monnaie en pièces d'or et de joie. La bonté tout bonnement.
Les sourires nous manquent comme l'eau à l’assoiffé.
Faute de mieux, nous avons appris à reconnaître les rides au coin des yeux. Nous avons rééduqué nos regards, qui aimaient tant flotter vers les visages amis pour y chercher, qui un sourire à pleines dents, qui l'esquisse discrète du sourire. À présent nous guettons d'insignes indices : le coin d'un œil frisé ; un sourcil qui s'abaissant courbe doucement ; quelque fossette égarée haut sur la pommette.
Hélas, d'économes nos moissons se sont faites rares. Raser les murs est devenu la règle ; s'en écarter l’exception. L'époque est à la crainte.
Certains au moment de croiser leurs semblables rentrent la tête dans la carapace de leurs épaules pour se faire discrets en même temps que se donner de la force. C'était déjà le cas avant, bien sûr ; mais avant, on avait le cœur à s'en amuser. À présent que nous pleurons nos sourires égarés, c'est là une larme de trop.
Le sourire d'une inconnue
Mais toi ! toi mon inconnue tu ne voulais rien savoir de ces larmes pleutrement pleurées ! Tu ne voulais rien entendre de ces deuils lâchement consentis. Toi que j'ai croisée à la volée de l'hiver, tu n'avais cure du régime sec et triste auquel nous avons communément acquiescé.
C'était un mercredi. Le mercredi, après avoir déposé ma progéniture (presque) enthousiaste au solfège, je m'en vais marcher près du cimetière. Si j'étais cynique, je dirais que les morts aujourd'hui font preuve d'une fantaisie que les vivants ont abjurée. Surtout, j'ai une fâcheuse tendance à chercher le réconfort loin du bruit ambiant.
Enfin... C'était un mercredi aux ailes dorées.
Quel sourire que ce sourire ! que ton sourire, chère inconnue ! Un sourire adressé à rebours des angoisses intestines. Un sourire reçu en pleine crainte. Un sourire pour changer mes mondes intérieurs. Un sourire imprimé à l'envers de mes paupières, durablement, comme ces crus de Bourgogne dont la persistance dépasse l'espérance. Je le vois encore alors que j'écris, un œil à demi-clos et l'autre rivé aux mots qui te racontent.
C'était un sourire aux ailes enchanteresses.
Tu avais un bonnet blanc qui surlignait ton regard lumineux. Tu m'as regardé droit dans les yeux, à tel point que je n'ai pas douté une seconde que ce sourire ne me fût adressé. Et puis tu as dit bonjour, sans un mot, retroussant tes lèvres joyeusement arquées dans une adresse d'une délicieuse simplicité. J'ai entendu distinctement ce silence me dire : "merci de me croiser, cher inconnu ; merci de sourire avec moi de l'instant partagé."
Sais-tu, chère inconnue ? Au moment de perdre contact avec ton sourire, je me suis cru dans le jardin du Luxembourg du poème de Nerval : "mon bonheur passait, - il a fui !"
A contrario du narrateur de ce poème illustre (qui n'avait, c'est manifeste, pas eu le bon goût de lire Nerval), j'ai osé me retourner après avoir compté dans ma tête. Un, deux, trois... trois secondes, pour découvrir ravi que tu t'étais retournée toi aussi. Avais-tu compté en même temps que moi ? En tout cas, tu t'es retournée de concert et nous nous sommes souris, encore une fois, pareillement amusés du tour que nous jouions à cet hiver long de plusieurs saisons.
Je n'ai pas osé retenir ton sourire par la manche. J'ai préféré continuer mon chemin en me promettant de ne jamais l'oublier. Mon bonheur passait, ne l'ai-je fui ?... Si je te recroise, peut-être te demanderai-je, à défaut de ton sourire, ta main - juste pour accompagner mes pas de promeneur du mercredi, cela va sans dire.
La magie des choses, c'est qu'à présent tu n'es plus une inconnue, car un sourire échangé vaut présentation.
Beaux et balsamiques sont les sourires sans les masques. Ils sont un baume qu'absorbe la peau et restitue au cœur sans détour.
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Lectrices, lecteurs, chers inconnu(e)s, rassurons-nous : nous nous sourirons demain à visages démasqués. Le mercredi, bien sûr - et pour faire bonne mesure le jeudi, vendredi, samedi, dimanche, lundi et mardi.
Et pour finir (en sourire) voici...
Quelques sourires malgré les masques ;
Et quelque sourire hors le masque :
Quelle belle histoire, il fallait retenir ce sourire encore un peu... espérons que bientôt, nous pourrons à nouveau montrer nos sourires et notre rouge à lèvres ( pour les dames, je suis une adepte et impossible sous le masque ... lol)
RépondreSupprimerBonjour Sedna,
SupprimerVous dites vrai ! Pour me réconforter, je me dis que, de ne pas être retenu, ce sourire a conservé tout son mystère !...
Les visages apprêtés nous manquent. Les lèvres vermillonnes faisaient touches de couleur dans la grisaille de l'hiver. Elles aussi nous manquent. Le maquillage n'est pas qu'apparat, il est aussi et surtout une joie partagée. Gardez précieusement votre rouge à lèvres pour le printemps prochain. Nul doute que le monde connaîtra une période de bonheur foisonnant, après ce mutisme des âmes.
Bon week-end,
Geontran
Un texte plein de mélancolie, de celles qui nous font nous traîner à travers ces mois froids et, oui, si pue souriants.
RépondreSupprimerMais un texte où l'échange d'un sourire illumine la vie. Si rares qu'on s'en souvient et s'en souviendra.
Très touchants vos mots.
Pourvu que nous sachions, dans le futur, rester accrochés aux sourires des autres.
Bonne soirée.
Bonjour Colo,
SupprimerJe suis convaincu que nous saurons, comme vous l'écrivez si bien, rester accrochés aux sourires des autres. Nous échangerons tant de sourires que l'air en sera plein. Ce sera une nouvelle et légère contagion.
Chère Colo, je suis, j'ai toujours été une âme mélancolique - et cela sans jamais cesser de sourire. Mais le jour où je cesserai d'être optimiste, c'est que je ne respirerai plus.
Ici la neige, après vous. Si belle ! un sourire du ciel !
Bon week-end,
Geontran
Coucou Pierre
RépondreSupprimertu n'as pas ton pareil pour conter ou narrer un sourire, toi seul d'ailleurs peux le faire si bien que nous pouvons l'imaginer nous lecteurs fidèles et nous en amuser
Oui les sourires manquent comme la gentillesse et le savoir-vivre, c'était si bon avant, avant que la dictature de la morosité ne s'invite sous le couvert de rhétoriques absurdes
Oui la vie d'avant valait le coups d'être vécue, qu'en restera t'il demain et les jours d'après, je n'ose y penser car c'est tout un style de vie qui aura disparu
Vous êtes adorables ainsi parés, ne devine t'on pas d'ailleurs un sourire derrière les fleurs des masques ?
Des bises gelées, c'est qu'il fait bien froid ce matin
Bonjour Christine,
SupprimerLa vie vaut toujours la peine d'être vécue. Et nous pouvons toujours deviner les sourires, faute de les voir. Ainsi nous les recevons quand même !
Ici il neige à bas flocons. C'est si gracieux ! Je vais aller mitrailler le jardin de photos jolies.
Bon week-end,
Bises
Pierre.
Magnifique Geotran oserai-je dire Pierre pour une fois !Déjà dans le ventre de ta mère tu devais être poète et lui sourire. C'est si rare aujourd'hui, du coup je pense à Jean-Louis Trintignant en "poète crotté" disait-il de lui la fleur à la bouche couché sur la paille et souriant à Angélique. Mélancolique aussi éternellement je serai mais hélas beaucoup moins optimiste que toi à mon grand regret et c'est sans doute ce qui me perdra. J'ai toujours adoré les sourires et suis bien cruellement en manque. J'ai connu des femmes qu'on disait belles mais jamais un sourire et en fait c'est clair ces femmes là avait en fait un masque figé sur le visage. Le sourire est pour moi le charme essentiel par excellence. Merci à toi pour ce tendre et superbe texte qui va illuminer ce samedi pluvieux en Bretagne. Bizzzzzh souriantes.
RépondreSupprimerChère Maryline, ose, ose : ça me fait très plaisir que tu m'appelles Pierre.
SupprimerC'est vrai ce que tu dis, certains n'ont pas attendu 2020 pour avoir un masque... Car un visage sans nul sourire est bien masque de cire. Mais ce sont bien les visages qui demain nous souriront ! L'Alice de Carroll disait avoir vu des chats sous sourire mais jamais de sourire sans chat. Nous verrons des sourires sur les visages amis.
Pluvieux chez vous, neigeux chez nous. Un samedi d'hiver normal.
Bises souriantes en retour de vent joyeux.
Pierre.
Tes filles font passer le sourire malgré le masque !...Voir des gens masqués en pleine campagne alors que l'on croise une personne à l'heure me déprime,vraiment ! Je refuse, pour ma part,le masque dans ces conditions...Ce matin, petite promenade dans les petits chemins et petites routes avec un ami...Nous avons croisé quelques personnes (trois ? ), seules, visage masqué...Et puis, miracle ! Un couple assez âgé, lui marchant avec une canne, le visage rond, blond, souriant !!! Nous avons échangé de vrais sourires et après leur passage, l'Ami s'est "écrié" in petto : "Ah ! des gens sans masque ! J'ai envie de les embrasser" !!!
RépondreSupprimerMoi itou, Capucyne !
SupprimerJe ne comprends pas ce qui passe dans la tête des gens qui portent un masque à l'extérieur dans nos campagnes désertes. Notre époque semble avoir perdu tout bon sens élémentaire.
Comme toi et ton ami, je suis heureux de croiser des visages souriants, et de leur rendre mon sourire et ma joie.
Bon dimanche soir, de félicité et doux bonheur.
Geontran
C'est vrai que ça manque tous ces sourires. Moi je sais que je force mon sourire sous le masque pour que mes yeux le transmette mais ce n'est pas toujours facile d'en avoir en retour...
RépondreSupprimer(Il, fait peur ton masque de pierre... on dirait qu'il s'est fait manger un morceau de visage... comme nous tous avec nos masques ;-)
Belle journée Pierre
Bonjour Estelle,
SupprimerExactement comme toi : je souris de toutes mes forces sous mon masque et j'espère que ça se voit sur mes yeux ! Mais oui, les gens semblent éteints, c'est étrange et effrayant. Enfin, il en faudrait plus que cela pour m'empêcher de sourire.
Belle journée, lundi tranquille...
Amitiés ensoleillées !
Pierre.
Quel beau moment de douceur ! les enfants sont spontanés, nous, les adultes, sommes graves devant l'actualité.
RépondreSupprimerC'est tellement vrai, et désespérant - un peu.
SupprimerNous devons nous obliger à essayer, au moins, d'être spontanés. Ainsi nous serons heureux, et ferons des heureux.
En couture, on appelle "plissé soleil" les plis très serrés façonnés sur un tissu, et cette jolie expression vaut bien pour ceux qui ponctuent désormais nos regards.
RépondreSupprimerOn force un peu le trait, c'est vrai, on surenchérit l'enthousiasme pour condenser dans le haut du visage ce que la bouche ne peut plus exprimer. Puisse cette petite gymnastique faciale perdurer même après, s'il en existe un.
La chevelure de Loreleï de la petite blondinette est à elle seule un sourire et un enchantement !
Plissé soleil - comme c'est joli, au-delà de l’allitération et jusque dans le creux de mots.
SupprimerLoreleï est notre petit soleil. Sa sœur la lune, sa sœur l'océan, et son frère le géranium ne me contrediront pas.