vendredi 4 décembre 2020

Derrière la pluie (la mer - I)

Par une curieuse association d'idées, lorsque les premières pluies tambourinent contre mes plates-bandes, la mer - fugacement - me manque. 

Toujours à portée de mains et cœur

Je suis né à Londres. Hormis une assiette en porcelaine à l'effigie de Peter Rabbit et un amour immodéré pour la poésie de Keats, il ne me reste pas grand chose de l'Angleterre. Mes parents avaient troqué le brouillard pour la pluie avant la fin de ma deuxième année de vie. J'ai grandi à Brest, ville de vagues et d'âmes, échouée au bout du monde - où, selon les points de vue, la terre s'arrête ou commence.

Je me rappelle Brest mon oubliée ; ses nuits noires, mes jours sombres ; son crachin grisant et mon chagrin grisâtre ; les alcools qui l'animent en même temps qu'ils empoisonnent ; la lumière qui bégaie, le crépuscule qui s'invite à midi. Le goût mazouté de l'eau du port de commerce dont je buvais la tasse les soirs d'ivresse.

Brest est aussi ville lumière - surgissant ! Quand on lève les yeux au ciel, parfois, on croit voir la palette d'un peintre renversée sur l'empyrée. Les couchers de soleil sont chahutés de couleurs. Brest est une môme qui persiste à sauter dans son lit à l'heure où elle devrait dormir : le jour s'y laisse rarement border sans lutter, alors ses nuits virent au technicolor. À l'aube, les nuages déchirés s'enfoncent dans la rade dans un fondu au gris sublime de mélancolie. Le film est fini ; il peut recommencer.

Je détestais ma ville ; je l'aimais aussi. Mais je ne m'y sentais pas bien, c'est assez peu de le dire - et beaucoup de l'écrire. 

Heureusement, ma distraction m'aidait à oublier mon spleen : j'étais un peu ailleurs, dans la lune - face cachée - ; et c'est comme ça que, de prisonnier, je suis devenu fantôme. J'ai toujours su m'évader. J'ai l'esprit vagabond, ça aide. Et puis mon ambition était trop mince pour les chaines : préférer les rêves aux projets parfois se révèle gage de liberté.

Vue d'aujourd'hui, Brest a un sourire nouveau


J'ai préféré le paysage à tout le reste, hanté les falaises, volé au vent qui couchait la bruyère. Quand Brest m'indisposait, je m’enfuyais, vite, n'importe où - pourvu que le ciel grondât. Mon paradis, c'était l'enfer des autres : les à-pics où bronchent les cailloux de plusieurs tonnes, la pluie qui gifle le visage à en blesser les pommettes. J'adorais ça. Je sautais dans la tempête. Les rafales me poussaient dans le dos, et la gravité roulait sous mes pieds sans m'atteindre.

Quand j'ai pu partir, je suis parti. Je me suis enfui sans me retourner. Aujourd'hui, la côte la plus proche de chez moi se trouve à 175 kilomètres. Et ça me convient très bien. La plupart du temps, j'oublie l'océan dans lequel je n'ai pas su flotter ; la plupart du temps je me consacre à m'enraciner ici et maintenant.

Mais parfois, quand la pluie déborde du ciel, un drôle de mirage me fait paraître pour une algue échouée loin de sa plage.

La pluie s'éloigne

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C'est drôle. Pour illustrer cet article j'ai cherché des photos prises sous la pluie et, évidemment, je n'en ai pas trouvé - ou presque. Parce que sous la pluie, on ne prend pas de photo : on baisse la tête en cherchant un abri. Quand j'étais môme, avec mon ami d'enfance, quand l'averse était à l'acmé de sa violence, nous flânions sans baisser nos têtes nues, comme un défi. Nous nous sentions mieux en résonance avec la nature que tous les brestois capuchés qui pressaient le pas tête baissée. 

Nous rions beaucoup de ce contraste, nos têtes trempées, les yeux noyées de joie. Il faudra que je pense à faire des photos les jours de pluie, en riant du même rire. 

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(image d'illustration - à Brest, un parapluie ne tiendrait pas le temps d'une photo sans se retourner)









16 commentaires:

  1. Coucou Pierre
    Tu sais toujours si bien marier des mots et des phrases et les écrire si joliment, ton phrasé est toujours empreint de mots qui touchent une corde, la mienne, je me suis toujours dit que ceux qui rêvaient avaient envie d'horizon, d'espace et de découvertes, leur coeur emplit de passion comme ces jolis cadeaux que l'on découvre sous le sapin et qui le font battre un peu plus vite
    On sent toujours une pointe de désarroi et de douleur en toi, de celles qui survivent malgré le temps passé...
    Si tu aimes comme moi l'opéra, pas tous mais certains, écoute Lakmé qui est un peu mon lacmé à moi, je ne sais pourquoi ce dernier remue quelque chose là quelque part, la fibre du bonheur sans doute, celle de la joie, il sublimera quelques instants de ta vie comme pour te faire penser à cette oubliée qui vit en toi, tu me diras ce que tu en as pensé
    Passe un joli samedi humide, j'aurais préféré qu'il fut de glace plutôt que d'eau
    Des bises venteuses

    PS j'ai supprimé mon ancien commentaire parce qu'il ne me convenait pas

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    1. Bonjour Christine,

      Merci pour ton commentaire qui vise si juste. C'est vrai qu'il y a souvent dans mon écriture une pointe de douleur ou de tristesse. C'est quelque chose que j'aime en littérature. J'aime Villiers de l'Isle Adam, Kipling, Saki, Wilde. Quand la douleur pousse à écrire, je crois qu'elle s'atténue. Je suis d'une nature joyeuse, mais je garderai toujours ce petit encrier de douleur en moi.

      J'aime Lakmé. Ce que j'en connais car j’avoue ne jamais l'avoir écouté en entier. J'avais entendu sur France Musique le duo des fleurs et j'avais adoré. Je vais suivre ton conseil et l'écouter mieux que je ne l'ai fait.

      Ce week-end humide sera joyeux !

      Bises venteuses et heureuses.

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  2. Bonjour Geontran,

    Quel bonheur de lire ton magnifique texte sur tes années passées à Brest. A présent, tu as trouvé un délicieux havre de paix dans ton jardin qui t'apporte chaque jour la joie de belles découvertes.

    Je suis très heureuse d'avoir découvert ton blog depuis quelque temps, il m'apporte beaucoup.

    Je te souhaite un week-end chaleureux auprès des tiens.
    Mes amitiés


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    1. Chère Denise,

      Je suis si heureux de lire cela. Merci. Ecrire et lire et être lu sont choses liées.

      Savoir que mes écrits apportent à quelqu'une qui les lit et les aime m'illumine doucement.

      Je te souhaite à toi aussi un week-end chaleureux.
      Toutes mes amitiés.
      Geontran

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  3. Il vaut mieux avoir un imperméable quand on vit à Brest, tu as raison ! Je suis passé à Brest en septembre 2015, déçue, mais c'est normal car la ville est neuve. Mon arrière grand-père (le père de ma grand mère paternelle) est photographié en marin à Brest, peu avant son mariage, la photo n'est pas datée mais il a eu sa 1ère fille en 1892.... Qu'elle était sa vie là-bas ? Il était originaire du Pas de Calais (Graincourt les Havrincourt). Ma grand mère et sa soeur sont nées à Marcoing (Nord, limite du Pas de Calais). Je ne saurai jamais...... Bon week end. Bises.

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    1. Bonjour Elisabeth,

      Brest donne l'impression d'avoir été reconstruite trop vite. C'est peut-être pour ça que je m'en sens proche - enfin, parfois.

      Un port est toujours une ville à part. Et les vies de marin, des vies à part. On parle souvent de leur périple sur la mer, pourtant c'est souvent sur terre que se nouent les mystères.

      Bonne journée,
      bises !

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  4. Bonsoir Geontran, à vous lire on sent que vous avez beaucoup lu : vos mots sont choisis, vos phrases belles, un vrai plaisir.
    Née et ayant passé ma jeunesse moi aussi dans un pays "où le ciel est si gris qu'un canal s'est pendu", près de la mer, presque noire parfois, vous imaginez combien le ciel et la couleur de la Méditerranée me change.
    Mais je continue à aimer, de temps en temps les jours gris. Il y a tant de nuances de gris...ne trouvez-vous pas ?
    Bonne soirée.

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    1. Bonjour Colo,

      Merci. J'ai eu le privilège de lire beaucoup étant enfant. Et je cultive cette chance à présent que je suis adulte. J'attache beaucoup de prix au choix des mots, et je suis ravi d'entendre que ce soin particulier se lit dans les miens.

      Je les aime infiniment, les nuances de gris. Ma mère est peintre, coloriste de formation (et de talent).
      Quand j'étais petit, elle me parlait des gris comme d'autant de bleus et de verts. Je les retrouve dans les yeux de mes enfants aujourd'hui.

      Bonne semaine, Colo.
      Commençons par un doux lundi !

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  5. Une grande surprise pour moi. Je pensais que tu vivais en Bretagne, mais tu habites à 175km de la mer. Tu es dans quelle région? Moi je suis loin de la mer mais contrairement à toi j'aimerais bien habiter plus près! Tu as souvent parlé de Brest dans tes textes et je t'imaginais nostalgique mais en fait ce texte révèle des rapports douloureux avec cette ville : comme une love/hate relationship. Je suis contente de voir que tu te sens bien là ou tu es et que l'enracinement se fait peu à peu. Bonne journée probablement sans pluie

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    1. Bonjour Judith,

      Si je peux laisser entendre cela, c'est que la Bretagne me colle aux semelles ! Elle représente encore une charge émotionnelle importante pour moi.

      Oui, c'est bien cette relation d'amour et haine mêlées qui m'unit à Brest... et plus généralement à mon enfance. Elle doit être teintée d'une petite goutte de nostalgie, que tu as perçue, noyée dans une coloration générale plus sombre. Les sentiments coexistent, même si mon choix s'est fait sans ambiguïté.

      Aujourd’hui, j'habite le Hurepoix, dans le Sud de l'Île de France, un petit village près duquel s'échoue la forêt de Rambouillet, dans la vallée de l'Orge. L'enracinement se fait doucement mais assurément. En douceur.

      La pluie se fait rare à présent. Je vais planter quelques rosiers aujourd'hui.

      Amitiés d'un jardin à l'autre,
      Geontran.

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  6. Très intime aujourd'hui :-)
    Je te lisais et je constatais que moi c'était l'inverse... La preuve en est, j'ai tout fait pour me rapprocher de l'océan ;-)
    Je disais justement cette semaine sur Instagram que Noah aimait la pluie depuis qu'on est arrivés en Gironde. Je comprends ce qu'il veut dire. Ici elle a une lumière particulière très apaisante. Mais pour Noah comme pour moi ce doit être un sentiment lié à notre histoire. Parce que je pense que ce sont des associations d'idées qui nous font souffrir ou aimer une ville, un climat... Tu ne crois pas ?
    Belle journée Geontran, bien grise et pluvieuse ici ;-)

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    1. Bonjour Estelle,

      Oui, je crois profondément à ce que tu écris.

      Nous fonctionnons comme ça, avec des connexions profondes, en nous, des associations complexes qui nous échappent. Des sentiments mélangés, ancrées, qui nous peignent en toile de fond. J'ai longtemps fuit cela comme une menace émotionnelle.

      Aujourd'hui j'apprends à accueillir les sentiments sans essayer de trop les démêler.

      C'est vrai, tu as fait le chemin inverse ! C'est beau, de faire le chemin qui nous rapproche de nous-même. Tu as l'air, vous avez l'air très heureux dans votre nouveau chez-vous. Et vous avez chacun emporté un peu de votre ancien paradis au fond de vous.

      En vieillissant, je me prends à croire que les paradis ne sont jamais tout à fait perdus.

      Belle journée, Estelle, grise et belle ici !
      Geontran

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  7. Bonsoir Geontran,
    encore un beau billet, très touchant, intime, tes blessures sont encore présentes. J'espère qu'un jour elles deviendront cicatrices. Tu en parles avec beaucoup de pudeur, et l'écrire t'apporte peut-être un peu de baume. Je te le souhaite.
    J'ai compris dans un précédent billet que tu avais vécu à Brest. Je te pensais originaire de Plouha, j'avais découvert ton blog à la lecture d'un article sur ses falaises.

    Bonne soirée, sous la pluie ici !

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    1. Bonjour Céline,

      Je crois qu’elles sont cicatrisées. Mais certaines cicatrices demeurent à jamais sensibles, comme si elles portaient la mémoire de la blessure. C’est ainsi. L’écriture est un baume qu’on passe sur cette cicatrice et qui l’apaise, oui, sans nul doute !

      J’ai grandi à Brest ; mais de Plouha je suis tombé amoureux, sur le tard, à la faveur d’un voyage. C’est une période de ma vie assez brève, mais dont il me reste aujourd’hui beaucoup, autant que mes années brestoises. Brest m’a vu grandir, Plouha renaître.

      Bonne soirée ; ici la pluie se fait timide et le froid mordant.
      Geontran.

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  8. On sent vraiment un cœur qui bat derrière ce beau texte. Je comprends tout à fait ce que vous écrivez. Je vis désormais au soleil du Sud, à 100 mètre de la mer, et parfois, le brouillard et le ciel bas me manquent.
    Merci pour cette belle évocation.

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    1. Merci. Oui, c’est vrai, le brouillard et le ciel bas peuvent manquer aussi sûrement que le soleil. C’est ainsi - un bonheur tissé de gris multiples.

      Belle soirée,
      Geontran

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