mercredi 21 novembre 2018

L'automne sous son manteau d'hiver (ou l'extinction des feux)

Dimanche, avec la discrétion qui sied aux noctambules, sans un bruit ni un souffle, dans l'antichambre du jardin vacillant, les saisons s'entrechoquèrent.

Dimanche aux premiers frissons du jour, l'automne revêtit son manteau d'hiver.

Chasmanthium latifolium en automne
Beauté glacée : Chasmanthium latifolium


Une étrange impression m'avait volé à mon sommeil de plume et j'étais sorti à la rencontre de la nuit. Je marchais sur la terrasse, d'un pas que je voulais de velours, en direction de l'herbe dont les paillettes de givre étaient comme figées sous le halo d'une demi-lune vernissée

Dans l'aube aux éclats d'or

Je le savais, le sentais : le moment était venu. Ce moment à la saveur singulière qui contenait la flamme glacée de la rencontre des saisons. Lorsque mon pied nu écrasa le gazon, je sus que je ne me trompais pas. 

Instantanément, je sentis l'ardent chambardement pétiller contre ma cheville glacée. C'était là un séisme silencieux, imperceptible pour qui se fût arrêté à l'écume des gelées matinales, mais dont les vibrations gagnèrent bien vite le jardin tout entier. Chacun ici, être de sève ou de sang, relié aux autres par le fil invisible de la terre nourricière, apprit la nouvelle au même moment : l'hiver s'était invité chez nous, sans frapper à notre huis ni attendre que l'automne l'eût invité à entrer.

Coincé entre un été impoli et un hiver impatient, l'automne, notre pauvre automne de rien du tout, mince et fugitif, avait achevé sa triste année avant que ne résonnassent les premiers tourments de décembre.

Dimanche matin, dans le minuscule et vaste monde du jardin, l'air bruissa d'un chuchotement prodigieux qui nous laissa groggy quelques longues minutes. Ensuite, le bruissement se fit grésillement ; bien vite, le grésillement devint crépitation ; enfin, le jardin se transforma en agora des contradictions de son peuple. Tous ses habitants se sentaient concernés : vivaces ensommeillées, annuelles déclinantes, arbres effeuillés, bulbeuses réveillées, bourdon frigorifié... et jusqu'au jardinier grelotant. Tous avaient une idée bien précise de la question, de laquelle découlaient une solution à étudier et un émoi à partager. Car souvent, il faut bien le reconnaître, c'est l'émotion qui l'emportait. Tous parlaient ; nul n'écoutait.

L'essence du brouhaha porta bien vite sur le point de savoir si nous devions dès à présent fermer boutique ou s'il fallait prolonger l'automne de quelques feux ardents. Les frileuses déjà avaient déserté les plates-bandes. Elles étaient représentées par les adventices qui les avaient remplacées. Toute à leur volonté d'essaimer enfin sans contrainte, ces dernières militaient en faveur d'un retrait immédiat des favorites du jardinier. Dans le même temps, certaines vivaces rustiques ressortaient leur plus vert feuillage pour en découdre à leur tour avec les espaces laissés libres. L'air, de glacé, devenait électrique. Il faudrait bientôt désigner les heureux élus qui veilleraient le jardin pendant son sommeil : malgré le froid, les candidats étaient légion.

C'est alors que la nature elle-même prit la direction des débats. Sans avoir besoin de hausser le ton. Naturellement, car comment pourrait-il en être autrement ?

Dans son immense sagesse, elle décida que le jardin se coucherait à son rythme, et que l'hiver s'installerait au sien. Que chacun ferait selon sa force, son âge, sa place et son envie. Que rien ne pressait ni se s'opposait à la bascule des saisons.  

Et cela, tout simplement, parce que l'hiver n'est pas un rideau qui se ferme, mais un paravent qui offre à la nature de se changer en coulisse. 

Alors, avec la bénédiction de votre serviteur, avant que minuit ne sonnât et dans un mouvement parfaitement naturel, les asters rendirent leurs dernières couleurs, les iphéions continuèrent à pousser à contre-chaleur, les mahonias entreprirent de briller plus fort encore que la promesse des premiers flocons de neige, les Poaceae déployèrent leur géométrie majestueuse entre vent d'Ouest et soleil... 

...et la dernière rose du jardin, de toute sa force et de toute son impertinence, offrit à l'automne ses plus beaux éclats - les derniers.

Le retour du feuillage prodigue : Ipheion uniflorum
 
L'hiver lui appartient : Mahonia confusa 'Nara Hiri'

 

Mesdames les Poaceae (ex-Graminées : ah, la botanique et ses facétieux revirements...) : 

 

S'élancer vers le ciel d'hiver : Miscanthus sinensis 'Transmorrisonensis'

Dans un trait de lumière vive : Miscanthus x giganteus

Antidote aux courbes glacées du vent : Miscanthus x giganteus

Accueillir le visiteur : Miscanthus sinensis 'Transmorrisonensis'

Salut au soleil : Miscanthus sinensis 'Transmorrisonensis'
 
Compassion
Le dernier feu de la dernière rose du jardin : Compassion

belle de Londres
Quelques jours avant le grand sommeil


Et c'est à ce moment seulement que dans le calme retrouvé le soleil put offrir à l'hiver un accueil conforme à son rang.



Au-delà des déception et des déconvenues qui traversent l'esprit du jardinier le plus endurci, il ne faut pas oublier que la magie de nos jardins réside aussi dans ce mouvement plus large que nous, qui nous échappe, nous effraie, nous questionne... mais finit toujours par offrir plus qu'il ne saurait en attendre à celui qui, offrant son bras à la nature, l'accompagne sans la contraindre.

Et maintenant, au chaud !

(À l'image du jardin de son auteur, ce blog va adopter - avec un peu d'avance - son rythme d'hiver : régulier, mais aux battements ralentis, pour mieux rêver au présent, à l'automne et au printemps mêlés)

(Et j'en profiterai pour travailler plus encore, sans relâche et avec l'appétit d'un débutant passionné, mes cours de botanique !)

18 commentaires:

  1. Et bien mon cher Geotran voilà que notre patience va être mise à rude épreuve, affronter l'hiver en manque de ta délicate prose poétique. Nous n'aurons jamais autant attendu le printemps. Ce sera donc pour moi le plaisir de relire tes billets souvent. C'est fou, finalement je ne sais pas du tout à quoi ressemble ton jardin dans son ensemble, mais un peu plus de son jardinier à chaque post et c'est infiniment délicieux. Néanmoins tu as de vrais trésors botaniques choisis avec le cœur ou l'âme, tels ce mahonia Nara Hiri dont le jaune pâle et le feuillage ravissent mon cœur ou ce chasmanthium glacé, peut-être la seule graminée ou poaceae (j'en apprends tous les jours avec toi) qui me fait réellement vibrer. Dis-moi le feuillage en bordure basse de ta bannière aux hydrangeas m'intrigue, quel en est donc son p'tit nom ? Nul doute que ce pas si débutant mais combien passionné jardinier poète le saura ! J'ai adoré cette sorte d'assemblée générale de plantounes avant que le paravent hivernal ne s'installe (belle image assurément). Et t'en remercie évidemment. En te souhaitant encore de beaux rêve botaniques.

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    1. Bonjour Maryline,

      Oh, rassure-toi, j'écrirai des articles sans discontinuer en hiver ; seulement, le rythme de publication sera ralenti - à l'image de celui de la nature.

      Oui, c'est vrai, je n'ai pas (encore) posté de photos de plus larges plans du jardin. Cela s'explique par le fait que toutes les grandes perspectives et volumes que j'ai établis au moment où je l'ai dessiné (et qui sont matérialisées par des haies, arches, pergolas, talus...) n'ont pas encore poussé suffisamment ! Ce sera le cas sans aucun doute à la fin du printemps prochain. Et mon blog en sera alors enrichi !

      Le feuillage qui t'intrigue - et que j'aime beaucoup - est celui d'un Mahonia x Media 'Winter Sun', beaucoup plus courant que 'Nara Hiri', mais tout aussi ravissant. Il éclaire en hiver un coin sombre du jardin qui jouxte la maison.

      À bientôt pour de nouveaux rêves !
      Et avec toutes mes amitiés.

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  2. eh oui l'hiver a frappé à notre porte et n'a pas attendu notre accord..mais nous savons tous que l'année prochaine, les cycles au jardin reviendront, et à fur et à mesure des années,tu trouveras que les cycles sont de plus en plus rapprochés..alors profions bien du présent, et de tout ce que la nature nous offre, même si ce sont des roses glacées..
    bonne quiétude au coin du feu, travaille bien tes cours et enseigne nous l'an prochain..
    bises frileuses ce matin

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    1. Merci Catherine. Je n'y manquerai pas ! Ma soif de connaissance est sans borne... elle se heurte seulement aux limites de ma mémoire. Mais reprendre des études à mon âge est un défi passionnant.

      Bises un peu réchauffées cet après-midi.

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  3. Je rejoins Maryline, cet hiver sans te lire va nous sembler bien long
    mais il faut bien que le jardinier se repose et fasse abstraction de cette vie hyper connectée si chronophage pour se concentrer sur des choses plus essentielles
    Passe un bel hiver scintillant de bonheur et heureux des plaisirs simples
    Bises glacées d'une matinée givrée par cet hiver pressé de s'installer

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    1. Je rejoins donc la réponse que je lui ai faite : je vais continuer à écrire ; simplement je le ferai à un rythme ralenti, confortable, hivernal et joyeux ! Je serai ainsi moins connecté (c'est vrai, c'est terriblement chronophage, même si je m'aménage au moins deux jours sans Internet chaque semaine.
      ).

      Belle soirée scintillante !

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  4. Bonsoir Geontran,

    L'hiver n'est que trop long au coeur des jardiniers...mais quelle récompense ensuite ! Les premiers crépitements de vie qui animent à nouveau le jardin et éclaboussent tous nos sens.... Ahhh, vivement !! Mais avant cela : patience !

    Heureuse que tu n'abandonnes pas la plume comme tu abandonneras certainement tes outils de jardinier pendant quelque temps...j'ai grande hâte de savourer tes prochains billets !

    Belle soirée ! :)

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    1. Merci Istariel,

      L'hiver est la grande période des rêves jardiniers. La dormance des uns fait l'imagination des autres !

      Bon week-end !

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  5. Que j'apprécie ce moment sur ton blog
    on reprend nos lectures (mais toujours sur le jardin)
    on fait des plans .. on imagine le jardin dans quelques mois..
    et puis on rêve avec les graines et on met de l'ordre dans la serre et le hangar ... puis on réfléchit ..
    il a toujours à faire on ne s'ennuie jamais !!

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    1. Bonjour Nanie,

      C'est bien vrai ! Je lis à n'en plus finir en hiver. Je ferme les yeux et j'imagine. Je mets de l'ordre dans les graines et je les vois fleurs.

      S'ennuyer est impossible quand on aime jardiner !

      Bon week-end, Nanie

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  6. Bonjour Geontran, que ton billet et joli et poétique pour annoncer bientôt l'hiver et je me réjouis de lire d'autres billets sur cette saison qui arrive à grands pas. Le bonheur est aussi de regarder à l'extérieur lors de mauvais temps tout en faisant des projets pour le printemps.
    Bel après-midi de ce samedi.

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    1. Merci Denise,

      Oui, l'hiver est une saison de joies simples, illuminée par la poésie et l'imagination.

      Bon samedi de velours,

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  7. Ah bravo Geontran! Je ne m'étonne plus que tes petites filles sortent sans manteau dans le vent puisque papa donne l'exemple en marchant pieds nus dehors par une froide nuit ;-)Tu as de bien jolies graminées, éclaboussées de soleil! Je me tâte encore à en rajouter, je n'ai pas assez de connaissances botaniques pour savoir lesquelles deviendront envahissantes et celles qui resteront sages... Tu nous apprendras tout cela le moment venu! C'est bien de se remettre à potasser et je lis souvent que toutes ces nouvelles connaissances sont bien acquises! Bon week-end et mes amitiés Geontran!

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    1. Bonjour Nathalie !

      Ah, je plaide coupable ! Je n'ai aucune sagesse en la matière et fait un bien piètre exemple. Je suis resté un enfant par bien des côtés : j'aime sentir, toucher, ressentir, goûter, essayer...

      Les poaceae sont des plantes fantastiques. Un monde,l'une des plus vaste familles botaniques. On en trouve forcément qui nous conviennent. J'écrirai volontiers des articles sur le sujet, qui me passionne.

      Bon samedi, Nathalie, avec toutes mes amitiés.

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  8. Profites bien de cet hiver au chaud pour profiter des tiens et de tes bouquins :-)

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    1. Merci Estelle !
      Je suis déjà en légère hibernation (côté jardin, car côté cour je bosse sans relâche botanique, biologie et phyto...)

      Profite toi aussi de la douceur de l'intérieur quand dehors il fait frais !

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  9. Merci beaucoup pour ce magnifique texte qui nous prépare à l'hiver. Car il faut bien y passer avant de voir venir l'heureux printemps. Bonne soirée. Bon week end.

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    1. Bonjour et merci ! C'est vrai, l'hiver est inévitable (et l’allitération agréable !). Mais le printemps n'en est que meilleur !

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