À l'origine, il y avait de la terre, des cailloux, des arbres et un gribouillis de plantes revêches. Une friche que mon regard ambitionnait de révolutionner. Je voulais changer un monde, créer à l'envie, modeler la terre et la flore comme on sculpte la glaise. À l'évidence, pensais-je, il me suffirait de tout enlever ; jeter le nuisible, l'inutile, le superficiel, pour ensuite remettre, dans le bon ordre, ce qui allait ensemble ; et enfin planter du neuf. Bien sûr, cela prendrait du temps, mais un jour viendrait où je régnerais en maître sur des mixed-borders aussi dévoués que florissants. Un monde à mon goût, à ma mesure, à mon service.
L'exemple de la nature : au commencement, il y avait un escalier à gravir |
J'ai d'abord tenté de contredire mon jardin, de lui imposer ma vision finalement très citadine de ses formes et couleurs. J'ai presque immédiatement essuyé un refus courtois mais ferme.
Ne dit-on pas : libre comme Taraxacum officinale essaimant au vent...? |
Il est comme ça, mon jardin : farouchement libre. Il veut des pissenlits dans son gazon, et des plantains pour leur tenir compagnie. Il aime les achillées qui se faufilent dans les allées... mais pas dans les massifs. Il est généreux à l'excès ; il déteste le vide entre les vivaces, alors il invite les adventices à venir y poser leurs racines. Il est acide là où je l'aurais voulu basique, calcaire lorsque je l'aimerais acide.
Pour une pelouse, c'est un pelouse : trèfle, achillée, Camomille Romaine... et un zest de gazon. |
Il cultive sa liberté comme la plus précieuse de ses fleurs. Tout simplement.
J'ai compris que je devais l'écouter, le sentir, l'observer. J'ai réalisé que je ne voulais pas d'un jardin qui s'en irait avec le jardinier lorsque la nature reprendrait ses droits. J'ai senti que les arbres avaient une histoire à me raconter. Et qu'ils la raconteraient un jour à d'autres que moi. Ce n'est qu'à partir de ce moment que j'ai entendu le murmure des racines, perçu le souffle des graines baladeuses, démasqué le tumulte qui se cachait derrière les pierres.
Divine surprise cachée au hasard d'une promenade : Linium tenuifolium |
J'ai cessé de m'imposer ; je me suis laissé apprivoiser.
J'ai accompagné mon jardin, je l'ai caressé dans le sens des vents et des sols, amendé, enrichi, fleuri à sa juste mesure. J'ai peint ma toile en respectant la matière sous mes doigts. Un jardin naturel : oui, et oui encore ! comment peut-il en être autrement ? Que serait un jardin sans la nature ? Que serait-il - d'autre qu'une coquille vidée de sa substance par l'homme, son faux-ami, d'un coup d'aiguille dans le dos ?
J'ai donné à mon jardin un peu de mes mains, je lui ai prêté mon imagination. En retour, il a transformé mon regard. Il a fait neuf mon esprit. Sans heurt. Doucement ; saison par saison, feuille après feuille, d'une fleur l'autre ; avec l'infinie délicatesse des sèves olympiennes.
Acte 1 : se protéger |
La nature m'a rattrapé par la manche de l'humilité. Je me suis laissé guider par sa force. J'ai posé les genoux au sol, approché mon visage de la terre. J'ai troqué mes rêves marmorréens contre la franchise de l'humus. J'ai découvert l'odeur de la plante sous la fleur, de la terre sous la feuille, l'effervescence de la faune qui se promène quand nous ne faisons que nous affairer.
Acte 2 : la nature s'ouvre au jardinier de confiance |
Le jardin est une émanation de la nature qu'il est prétentieux de prétendre dompter tout à fait. Et puis, je crois que ce serait la meilleure manière de passer à côté du plaisir de jardiner.
Jardiner est un art délicat. Jardiner est un arbre aux mille branches. Y a-t-il autant de jardins que de jardiniers ? Ou chaque jardin n'est-il pas au fond l'expression singulière d'une seule et même nature ? Comment jardiner sans trahir, bêcher sans blesser, cultiver sans brusquer ? Jardiner, n'est-ce pas au fond, tout simplement, inviter la nature chez soi, cheminer avec elle et l’habiller, sans l'abîmer, d'un rien de notre poésie ?
Dans la nature, l'originale : Scabiosa columbaria |
Dans mon jardin, sa cousine invitée : Scabiosa columbaria 'Butterfly Blue' |
Ce n'est pas un appartement témoin, mais un hôte à qui je dois tous les égards, et qui en retour me prend par la main pour m’emmener, le pied léger, loin de mes murs, de mes contraintes et de l'idée que je pensais détenir de la vérité.
Acte 3 : offrir un dernier présent pour la route. |
si je pense qu'il y a autant de jardins que de jardiniers! aucun jardin ne ressemble à un autre, il dépend du terrain tout d'abord, mais surtout de la personnalité du jardinier, qui en est le sel!
RépondreSupprimerje ne me bats plus depuis longtemps contre les "mauvaises" herbes du gazon, les feuilles qui s'y déposent, les mousses, la sécheresse! le gazon est de l'herbe, tout simplement...
et les fleurs me diras tu? et bien avec l'âge (ou l'expérience) je ne me bats plus non plus, ne restent que celles qui résistent à tout dans mon jardin de bord de mer (et à la sécheresse)..
tu as raison de lâcher prise..
bonne semaine!
à bientôt
Chère Catherine,
SupprimerIl se dégage de tes phrases une grande sérénité. J’espère m’en approcher un jour ! Je n’ai rien à ajouter de ces paroles de sagesse, si ce n’est merci de les avoir écrites.
Se laisser porter, sentir et ressentir, tout est là je crois. Surtout ne pas trop cogiter ce qui est infiniment difficile quand l'on a cette tendance infernale. Ton jardin est le reflet de ton âme. Déjà tu cultives si bien ton jardin intérieur, donc oui pour celui de l'extérieur suivre le guide de Dame Nature, et rester la tête dans la lune quand même l'on s'y sent si bien ! Et les mains dans la terre of course. Là non plus on ne contrarie pas sa nature. Du moins c'est juste ce que j'en pense. Une douce semaine Geotran, la lecture de tes mots nous y aide infiniment. Merci à toi.
RépondreSupprimerMerci ! Dame nature est un guide incomparable pour qui a conscience de faire partie de son ensemble. Nous n’en sommes pas les maîtres, seulement un élément qui a l’immense chance de pouvoir la comprendre un tout petit peu, et de l’admirer - beaucoup.
SupprimerJe te souhaite une semaine d’une grande douceur.
Oh merci pour cet article où tu exprimes tellement bien ce que je ressens sans savoir mettre les mots adéquats. Après plusieurs échecs je commence à bien comprendre comment écouter, observer et me laisser conseiller par cette nature qui finalement ne fait qu'à sa tête et qui a totalement raison. Au lieu d'imposer mes idées je les suggère avec beaucoup d'humilité et je suis ravie quand la nature les accepte. Toujours autant de coups de coeur mais maintenant je me renseigne avant de craquer. Une nouvelle ère commence! Bonne journée et à bientôt
RépondreSupprimerBonsoir,
SupprimerC’est vrai, en la matière l’échec est un chance qu’il faut apprendre à recevoir. J’aime beaucoup le naturel délicatement guidé de ton jardin. J’y suis très sensible ; l’équilibre semble toujours harmonieux.
Belle soirée d’automne, Judith.
Voilà un très beau texte qui exprime parfaitement la leçon que j'apprends depuis 4 ans. Même si je suis arrivée avec l'envie de respecter la nature, elle m'a souvent remise à ma place, année après année… et je continue d'apprendre ;-)
RépondreSupprimerBelle journée
Certaines leçons s’apprennent sans fin. Il y a toujours quelque chose de nouveau à apprendre de la nature... qui sait nous remettre à notre place quand nous tentons de nous en émanciper sans délicatesse.
SupprimerBelle et joyeuse soirée de coin du feu, Estelle.
Toujours des morceaux choisis pour conter ton jardin un brin sauvage, farouchement libre et fièrement prospère, il pousse comme il a envie (de ce côté il est comme le mien) pour réserver au détour d'une pierre ou d'un feuillage une surprise végétale, telle est l'âme d'un jardin sauvage et libre qui a trouvé ainsi son équilibre
RépondreSupprimerBelle et douce semaine à toi
Bonsoir Chris,
SupprimerSi un jardinier quitte son jardin, la nature ne met que quelques mois à reprendre ses droits. Autant lui faire gagner du temps ! En la guidant d’un sécateur toujours léger et respectueux de ses envies et en l’enrichissant de plantes qui lui ressemblent et lui conviennent !
Amitiés jardinières,
Ce jardin est merveilleux! je comprends qu'on ne puisse le dompter, il ne se prête pas à des massifs bien rangés, tu as su le comprendre en le laissant comme il doit être, lui-même dans sa beauté naturelle. Mais cette vue en haut de l'escalier, c'est ce que tu peux admirer tous les jours? J'ai cru que tu nous emmenais à La Comté de Tolkien. Je suis restée un moment contempler cette photo, charmée jusqu'au bout du coeur. Merci Geontran pour cette balade guidée par tes mots justes et poétiques. Amitiés Brestoises
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SupprimerBonsoir Nathalie,
Ce jardin magnifique, c’est la nature ! C’est donc le tien, le mien, le nôtre. Notre jardin n’a de frontières que celles que l’homme lui donne.
Cet escalier est mon coin préféré, et ma source d’inspiration. Il est à portée de marche de mon jardin (qui n’offre pas autant de perspective, hélas !). J’y vais plusieurs fois par semaine. La vue qu’on y trouve est la plus apaisante qui soit. Par ailleurs, c’est un site préservé, j’y découvre donc des fleurs sauvages rares... et merveilleuses. Que bien évidemment je me contente d’admirer !
Je n’imagine pas créer chez moi des massifs stricts, si proches d’une nature sauvage : j’aurais l’impression de dépareiller ! Dans mon jardin il y a aussi un petit (tout petit, mais adorable) dénivelé qui continue d’entretenir cette filiation avec la nature si proche.
J’aime beaucoup mon village et ses promenades. Elles restent assez confidentielles pour mon plus grand bonheur...
Amitiés brestoises expatriées,
Je découvre vos textes et votre poésie. Merci de ces magnifiques compositions. Je reviendrai vers vous souvent...
RépondreSupprimerBonjour,
SupprimerMerci de ce compliment délicieux. Vous êtes ici comme dans votre jardin.
je suis d'accord avec toi
RépondreSupprimeron est au service de notre jardin et c'est bien ainsi je trouve
bonne journée
Oui, c'est exactement ça. On inverse hélas souvent l'ordre des choses. C'est bien le jardin qui fait le jardinier, et non l'inverse !
Supprimer"J'ai peint ma toile en respectant la nature sous mes doigts."
RépondreSupprimerCette analogie entre jardin et tableau vivant me revient tellement souvent...
Je pense que l'on se ressemble beaucoup, en terme de sensibilité. C'est ce que je ressens en te lisant, en tout cas.
Je partage pleinement ta pensée, et ton ressenti. J'ai lu et relu beaucoup de ton blog, hier, et cela m'a frappé ; j'avais l'impression de pouvoir faire miennes des impressions, des moments, des sensations. C'est assez étrange, mais également très plaisant.
SupprimerJe te souhaite un très joli mardi, touches de couleurs joyeuses dans un bel océan gris.