vendredi 3 mai 2019

Les fleurs de ma vie

Dans le blanc des fleurs

Quelque part entre hier et demain, les fleurs de ma vie reposent sans vieillir. 

Elles ont séché à l'abri des brûlures d'hiver, tout doucement. Elles ont plongé leurs blessures dans la terre, délicatement. Le temps les a saisies sans les abîmer, aussi n'ont-elles rien perdu de leur jouvence ; je les retrouve intactes comme un souvenir au matin.

Les fleurs de ma vie font un herbier qui parfois pâlit, mais jamais ne s'estompe. Il ne vire sépia que sous la caresse d'un soleil qui perce ses nuages.

Des fleurs de ma vie, il y en a des bouquets entiers. Fleurs de rien, des champs, des villes, des fleuristes. Des fleurs pour ma boutonnière de jeune homme. Des fleurs pour mes bouquets, offerts à une maman par de toutes petites mains ; puis à mon amoureuse, ma fiancée, mon épouse ; à des amis, à la table nue de mon salon vide. 

Il y a là fleurs d'amour ou de réconfort ; fleurs pour pleurer sans larme, fleurs pour rire aux larmes. Des fleurs admirées, caressées, cueillies, humées ou dessinées. Des fleurs imaginées pour éclairer les ombres.

Il y a dans ma vie plus de fleurs que n'importe quoi d'autre. Même quand rien de poussait sur le sol inculte de mes années arides, des graines se glissaient entre les pavés qui scellaient mon cœur. Elles se faisaient fleurs minuscules, sous l'arrosage d'une simple larme. Et je respirais à nouveau.

Bouquets de rien
Penser sous cape
Et au printemps se risquer

J'écrivais il y a quelques jours à mon père : 


"Il y a toujours eu des fleurs dans les yeux, les gestes, les mots de maman.
Et des fleurs, des fleurs encore sur ton bureau.
Même quand nous ne parvenions pas à parler, il y avait des fleurs entre nous."



J'ai la chance d'avoir aujourd'hui encore mes deux parents pour veiller sur mes rêves ; ils m'écrivent que mon jardin, que mes enfants sont beaux. Je commence tout juste à la mesurer, cette chance, et c'est un joli cadeau que me fait la vie.

Il y a quelques années, eux et moi échangions rarement - et sans jamais nous comprendre. Aujourd'hui, le langage des fleurs est venu nous rappeler qu'il y a sous nos pieds quelques racines entremêlées. 

Nous avons trouvé les mots, et surtout les silences, pour nous parler à nouveau. Et c'est d'un sourire réuni que nous avons admiré les quatre graines devenues plantules qui grandissent sous nos yeux, et qui ont avec leurs grands-parents - qui par la légèreté du pétale, qui par le fort caractère d'une feuille dentelée - tant de différences et quelques points communs.  

Les fleurs de ma vie sont la vie, et plus encore : la conscience heureuse de la vivre.
 

Le miracle de la samare : quand l'arbre se fait plantule au pied d'une vivace

22 commentaires:

  1. Tout ceci fait écho à ma propre histoire.
    Mes parents me voient d'un autre œil… Ils perdent peu à peu leur sens critique à mon encontre. Et tu sais ce qui me fait le plus plaisir ? C'est que je les sente étonnés, épatés. Quoi ? Comment ? Il y avait tout ça dans notre fille ?
    Ils ne seraient sûrement pas d'accord avec ce que j'écris. Mais c'est comme ça que moi j'ai vécu les choses.
    Félicitation Geontran, je suis contente pour toi :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci, Estelle !

      Pour un écho, c'est un écho... J'ai le même plaisir que toi à surprendre mes parents aujourd'hui.

      Je crois qu'ils m'avaient collé une certaine étiquette sur la caboche (même s'ils prétendraient certainement le contraire) et qu'ils ont été surpris de me voir m'en éloigner (et pas qu'un peu !). En retour, moi, j'ai été surpris de ne plus les fuir.

      Nos vies nous ressemblent ; cela seul compte.

      Je te souhaite une belle semaine, mi-douce mi-fraîche.

      Supprimer
  2. Bonjour Geontran
    J'ai dit un jour à mes enfants que l'on ne naît pas parent, on le devient, avec ce que nous donne la vie, on apprend qu'il faut savoir attraper le fil même ténu qui nous est tendu pour mieux le saisir et ne plus le lâcher, on apprend qu'avec l'âge les blessures se cicatrisent dans le pardon et des mots naissent l'amour et le bonheur que l'on offre à ceux qui nous sont cher
    J'ai perdu mes deux parents, l'un difficile, l'autre compliquée, j'eu aimé qu'ils me parlent, qu'ils se livrent plus et si l'un a tu le moindre mot, la seconde au soir de sa vie nous serrant dans ces bras nous livra un dernier "je t'aime" chargé de tendresse et d'amour
    Merci de nous livrer ainsi les fleurs de ta vie et même si certaines se font discrètes, c'est dans leur simplicité qu'elles sont encore les plus belles
    L'amour se partage, l'amour se vit, vit et partage c'est tout ce qui compte
    Passe un joli vendredi et même si dehors la brume s'élève, le sourire des tiens fera revenir le soleil
    Des bises

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Chris,

      Oui, être parent s'apprend, chaque seconde après l'autre. Être parent, en fait, se vit le plus souvent sur l'instant. J'ai eu la chance d'apprendre à pardonner en demandant moi-même pardon.

      Passe une bonne semaine, de sourires, de fraîcheur et de tendresse.

      Supprimer
  3. quelle chance de voir un petit érable pousser seul, je n'ai jamais réussi!
    tes petites fleurs arrosées avec amour te rendront bien plus quand elles seront devenues grandes..tu verras!
    bonne fin de semaine Geontran

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Catherine,

      Oui, j'étais très ému en le découvrant ! La samare semblait en lévitation tant la plantule était à la fois fine et puissante !

      Bonne semaine qui commence, Catherine.

      Supprimer
  4. Il y a de bien belles fleurs dans vos pots. Est-ce une rose rouge ? Mon écran est petit.
    Profitez en bien, de vos parents...
    Aujourd'hui, ma mère aurait eu 95 ans...
    Mais heureusement, j'ai gardé mon père longtemps.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour, et merci !

      Oui, c'est bien une rose rouge, la première à fleurir de mon jardin. De son petit nom Lili Marleen.

      J'espère garder mes parents longtemps comme vous votre père. Et je suis simplement heureux de les avoir aujourd'hui.

      À bientôt !

      Supprimer
  5. J'aime tellement ta plume que je reviens te lire avec bonheur. Tu es si délicat dans tes mots, c'est de la poésie pure. Je te souhaite un très bon week end.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Elisabeth ! Je suis très touché par le choix de tes mots. La délicatesse est sans doute la vertu qui me touche le plus intimement

      Supprimer
  6. Les fleurs sont comme nous, elles ont besoin de racines.
    Bon week end.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci. Toute la délicatesse de la vie est de nous suspendre entre racines et fleurs.

      Supprimer
  7. Bonjour Geontran, ton billet est doux, si doux et tes mots me comblent de bonheur. Les fleurs font bien des miracles pour se rapprocher des siens. Une vie sans fleur, c'est triste mais toi tu reçois l'épanouissement de tes fleurs et les sourires des tiens.
    Bon week-end et mes amitiés.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Denise,

      Ah oui ! Le miracle des fleurs est bien d'accomplir des miracles sans un mot. Les fleurs enseignent la vertu du silence en amour.

      Bonne semaine,

      Supprimer
  8. Bonjour Geontran,

    On perçoit à travers tes mots à quel point tu es attaché à la terre-mère, cette terre nourricière sans laquelle il n'y aurait nulle vie.
    J'entretiens un lien fort avec les plantes de mon jardin. J'ai récupéré des éclats de pivoine ainsi que des primevères du jardin de l'arrière grand-mère de mes fils, et je peux te dire que ça représente beaucoup pour moi, de veiller sur ces plantes.

    J'aime lorsque, au petit matin, mon aîné de 4 ans me chuchote qu'il a bien dormi et rêvé de mes fleurs et de leurs si jolies couleurs.

    Jardiner apprend mille vertus : l'humilité face à l'implacable force de Dame Nature, la patience, le respect des toutes petites choses. Et donne lieu à mille et mille émerveillements. Car ce sont bien ces toutes petites choses, ces pousses de rien du tout qui, à force de soins et d'amour, donnent naissance aux plus beaux bouquets...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Istariel,

      Tes mots me touchent beaucoup.

      Je crois que je suis d'autant plus attaché à la terre-mère qu'en la matière je souffre au fond d'être apatride. Je ne retourne jamais là où j'ai grandi ; paradoxalement, je ne m'y sens pas chez moi. J'y ai pourtant appris à aimer les fleurs, mais quelque chose un jour s'est abimé et le lien s'est rompu.

      Alors je me suis inventé des racines ailleurs, plus tard, douloureusement. Parfois pas si loin de ma terre-mère disparue.

      J'ai également pris conscience d'être aussi de la terre de ma grand-mère, dans le Morvan. Beaucoup de mes vivaces viennent de là-bas et j'en prends un soin infini. Car si ma mère m'a appris à aimer les fleurs, ma grand-mère m'a appris à les nommer, les cueillir et les soigner.

      Je suis lié comme toi aux plantes de mon jardin, viscéralement. Et comme toi je suis émerveillé d'entendre mes enfants rêver notre jardin, le raconter à leurs maîtresses, et même à leurs copains et copines. J'ai l'impression d'accompagner un monde du bout du sécateur, et ça m'apaise infiniment.

      Je te souhaite une douce et joyeuse semaine,
      Des amitiés comme des éclats de pivoine.

      Supprimer
  9. Merci pour ce moment très touchant
    c'est ce qui me rapproche de mes parents
    même si ils ne sont plus là ... je prends soin de leur maison
    et de leur jardin
    je suis sur qui me suivent et son toujours à mes côtés

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Nanie,
      Prendre soin d'un jardin, d'une maison, qui ont appartenu à nos disparus les plus chers, c'est veiller d'ici-bas sur ceux qui veillent sur nous de la-haut.

      Supprimer
  10. Voilà des fleurs dont les racines sont profondément ancrées en toi, Geontran. Je suis touchée de lire que les fils embrouillés se dénouent du côté de Brest... Le pouvoir des fleurs est immense, il me permet de garder un contact serein avec ma mère dont la mémoire s'enfuit. Même si leurs noms lui échappent, elle aime que je les lui raconte grâce au blog. Une visite du jardin serait même envisagée quand ce sera un bon jour... Alors oui, Geontran ne coupe pas tes racines et souviens-toi des belles choses que tu as vécues, laisse celles qui t'ont blessées, nos parents vieillissent et nous, nous sommes assagis. Tu nous as cueilli un bouquet d'espoir, aujourd'hui. Je l'ai trouvé apaisant. Bises de Brest

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Nathalie,

      Oui, le pouvoir des fleurs est immense. Elles sont un langage quand les mots se font rares ou difficiles. Nous avons cette chance de le parler un petit peu ; il faut cultiver et transmettre ce bonheur.

      Un jour, je reverrai Brest (et découvrirai ton jardin avec un immense plaisir !). Le pouvoir des fleurs, toujours !

      Belle journée en Finistère !

      Supprimer
  11. Magnifique ! Tellement heureuse pour toi, pour vous, que se renouent les fils du passé, tendrement. Il ne devait en être autrement, tant d'amour sous jacent. juste du temps, juste le temps. Et que vivent toutes les fleurs de ta vie !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Maryline,

      C'est bien cela : tendrement. Je crois que la tendresse a ce pouvoir inouï de réparer. C'est si précieux ! L'amour sans tendresse se meurt parfois sur lui-même.

      Je te souhaite un dimanche de fleurs, de douceur, d'un peu de soleil, juste ce qu'il faut.

      Supprimer

Au pied du camphrier

Chères lectrices, lecteurs, Après bientôt quatre ans, agapanthes & camphrier va fermer sur ces dernières lignes. J'ai décidé de mig...