Je n'avais pas encore vu les hortensias de Plouha, mais ils étaient déjà là quelque part en moi, en bourgeons - dans les rencontres que je m'apprêtais à faire, dans la fraîcheur solaire de cet automne 2007, dans les promesses que je n'allais pas tenir. Ces trahisons infligées à la vie me rendent encore parfois visite quand je suis seul et que l'acidité de mon sol remonte jusqu'à la sève de mes rêves abîmés. Mais quand tes yeux plongent dans la buée des miens pour me dire qu'avec toi je n'ai pas failli, que ça va, que je suis encore et toujours là, solide malgré mes erreurs ; alors les douleurs s'atténuent.
C'était il y a onze ans, presque ton âge. Tu marchais comme au ralenti, obstinément, économisant tes efforts ; et chacun de tes pas me semblait une victoire sur le sort que les médecins avaient prévu pour toi. Tu revenais d'un périple sur la tranche de la vie. Tu avais vu cet endroit étrange où nul ne sait de quel côté la pièce va retomber. Tu t'étais tenue face à cette porte qui nous est commune à tous et que nous aimerions ouvrir le plus tard possible. Tu avais eu ta main sur sa poignée, mais tu n'avais pas appuyé. Tu étais restée longtemps ainsi avant de trouver la force de rebrousser chemin, et tu avais marché face au vent qui te soufflait d'abandonner. Tu avais marché dans la douleur et le courage. Tu étais revenue en héroïne. La vie allait voir ce qu'elle allait voir !
Et c'est bien ce qui s'est passé.


Toi, mon enfant, ma petite fille, tu as préféré rester parmi nous et contre moi.
C'était il y a onze ans. On s'apprêtait à cheminer à deux, ta main dans la mienne. On s'était arrêté pour regarder des roses dans un jardin à Paris et tu avais voulu les sentir, puis les toucher. Pour toi, elles étaient de velours. La vie t'apprenait avant l'heure que les épines souvent protègent la douceur en-dedans. Et j'apprenais avec toi.
Nous entrons à présent dans ton treizième hiver, mon enfant, et il y a bien longtemps que j'ai renoncé à mesurer combien cela me bouleverse.
Car en vérité, en fermant ta porte au nez d'un infini, tu m'en as tout simplement offert un autre : celui de t'aimer.

