dimanche 9 septembre 2018

Les ombelles vagabondes

De peu de chose...

 

le torilis veille sur la ville
Torilis japonica veille sur le village

On ne me demandera jamais de choisir une fleur parmi toutes. Bien heureusement. Mais s'il m'était donné d'en emporter une, et une seule, pour m'en aller voyager dans les profondeurs d'une ville sans jardin, je crois que j'opterais, après une hésitation longue comme un jour de juin, pour une Ombellifère. Les botanistes aujourd'hui disent : une Apiaceae. Je cueillerais donc une Apiaceae, d'une caresse, en veillant à ne pas abîmer la plante. Je la choisirais au hasard et l'accrocherais à mon cœur. Au hasard, oui, car je les aime toutes. Sans exception. 

Je la renommerais aussitôt Ombellifère - n'en déplaise aux érudits - pour les deux ailes qu'elle donnerait à mon âme. Des ailes qui me protègeraient du sable devenu béton, de la terre tassée par les immeubles, de la fureur des fantômes enfermés dans les couloirs du métro. Ma fleur entre toute m'offrirait son ombre minuscule, et je me promènerais le long des rues sans craindre ce soleil mêlé d'asphalte qui étreint les villes jusqu'à l'étouffement.

...naît la candeur...


Les Ombellifères ont en commun une délicatesse naturelle et une âme de transformiste. Elles sont à l'aise sur le bord d'un chemin autant que dans un massif sophistiqué. Elles sont des fleurs de peu de chose et de beaucoup de grâce. 

petite ciguë dans le potager
Une Petite Ciguë, charmante, s'est invitée dans mon potager - danger !


Leur spectre s'étend de la gourmandise tranquille au danger vénéneux ; de la douceur d'une carotte sauvage, simple comme au saut du lit, les rayons en bataille ; à l'attraction vénéneuse de la ciguë, grande ou petite, empoisonneuse de philosophe et inspiratrice des poètes ; en passant par le charme musqué d'une angélique promenant sa saveur discrète dans un jardin de curé.



si belle, la carotte sauvage
Les très belles bractées (à la naissance des rayons) de la carotte sauvage (Daucus carota)

charmante... et dangereuse
Les non moins belles bractéoles (sous les ombelles d'ombellule) de la Petite Ciguë (Aesthusa cynapium)


Elles incarnent la spontanéité. J'aime savoir que le vent et le hasard seuls se sont entendus pour envoyer une graine d'ammi fleurir un carré de terre inculte de mon jardin où seule une vipérine avait osé pousser. Les Ombellifères sont ainsi : on ne les plante pas, on les reçoit du vent.

ammi majus et vipérine
Reçu du vent : Ammi majus, ami de sa vipérine
 

...de la candeur, naît la douceur


Merci, mes chères Ombellifères, qui balisez chaque jour, de vos ombelles d'ombellule, le parcours au goût d'allitération qui me mène de ma maison à la gare. Un Torilis japonica d'abord, fin et perché ; puis l'une de ces berces qui blessent parfois la peau qui les cueille ; un Buplèvre en faux, enfin, qui n'a de faux que le nom. 

gracieux et adorable torilis japonica
Torilis japonica, à la silhouette chaloupée
heracleum sphondylium
Délicieuse Heracleum sphondylium, Berce commune
 
en faux ? non mais oh !
Bupleurum falcatum, Buplèvre en faux. En faux ? Non mais oh ! et toi donc, travailleur du matin !

Oh ! il y a là de quoi oublier la parenthèse parisienne qui m'attend, pavée de rêve et d'évasion, jusqu'au moment du passage en revue effectle soir venu dans l'ordre inverse du matin. 

Où que l'on soit, il y a toujours un compte à rebours pour nous offrir de nous retrouver. 3, 2, 1, exit la ville, place à la vie ! 

jolie feuille comme un chêne
Que j'aime ta feuille, ma berce !

Car c'est bien la vie, la vie seule et la vie victorieuse, qui vient à pas d'ombelle embellir chaque seconde de chacune de nos journées. 

La vie, tout simplement ; la vie qui nous dit : heureux, les jardiniers, jardinières, passantes et promeneurs, flâneuses et vagabonds, qui savent voir les trésors qui éclairent chaque mètre de leur marche !

14 commentaires:

  1. Bonjour Géontran, ta dernière phrase est juste. Quand je suis en voiture, je laisse mon regard vagabonder le long des talus, attiré par ces belles ombellifères. Il m'arrive de m'arrêter à l'entrée d'un champs, pour cueillir l'une d'elles, l'imaginant dans un bouquet, côtoyant les roses et autres fleurs domestiques du jardin. Je me dis à chaque fois, qu'il faudrait avoir une paire de ciseaux dans la voiture car elles ne se laissent pas prendre si facilement! Qui mieux qu'un poète pouvait les avoir remarquées et leur rendre un si bel hommage :-) Bonne journée Géontran

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    1. Je ne sais pas si je suis poète ; mais je suis certain d’être un rêveur, comme tu es une rêveuse ! J’ai toujours une serpette, toute petite mais affûtée, dans ma poche. Au cas où ! Et quand je déprime un peu je mets la main dans ma poche, et je suis - un peu - dans mon jardin.

      Bonne journée brestoise, Nathalie !

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  2. Coucou Géontran
    C'est ce que je préfère dans une journée, découvrir, sentir, toucher d'une main frivole la douce parure d'une jolie fleur fut elle un danger, il n'y a rien de plus joli qu'une fleur dans toute sa simplicité
    Belle et douce journée, le compte a rebours est déjà bien entamé

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    1. Coucou en retour !

      Il n’y a pas une journée sans que je fasse comme toi. C’est comme respirer. Quand on regarde bien, il y a des merveilles partout à nos pieds.

      Et j’aime réhabiliter les plantes vénéneuses, à mauvaise réputation ; comme j’aime raconter les fleurs simples, qu’on ne remarque plus.

      Douce et belle journée ! J’emporte avec moi l’image de la tanaisie que j’ai admirée sur le bord du chemin.

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  3. Quel bel hommage à cette ombelle !! j'aime beaucoup

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    1. Merci ! Je remercie les ombelles autant que je leur rends hommage.

      Belle journée fleurie !

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  4. Moi aussi je les adore. Cela me rappelle, de l'enfance à nos jours, les ballades le longs des vignes chez ma grand-mère en Gironde. J'adore y confectionner des bouquets aux gré des fleurettes trouvées. Les ombelles ont l'élégance et la légèreté dont nous avons besoin :-)
    Belle journée Geontran

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    1. Bonjour Estelle !

      C’est exactement ça : élégance et légèreté... et simplicité. Quoi de mieux pour une belle journée, qu’en emporter une parcelle ?

      Je te souhaite un heureux et simple mardi, Estelle.

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  5. je ne les distingue pas bien entre elles, alors je les appelle toutes des carottes sauvages..j'aime leur odeur lorsqu'on les coupe..
    encore de jolis mots pour des plantes somme toute pas vraiment recherchées..
    bon après midi
    à bientôt!

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    1. Bonjour Catherine,
      Si l’odeur est fétide, légèrement, il y a de grande chance que ce soit une ciguë ! La carotte sauvage est un régal, belle et bonne.

      Je crois que ma passion pour les fleurs sauvages est née de ce fait que tu soulignes : de loin, vingt apiaceae différentes apparaissent quasiment identiques. Ça m’a fasciné et donné envie de les regarder de plus près. Et de les aimer plus encore !

      À bientôt !

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  6. Bonjour Géontran, je suis venue admirer ta magnifique ombrelle. J'aime beaucoup cette fleur et j'en vois dans les champs avec d'autres fleurs. Enfant, avec mes parents, je faisais de beaux bouquets des fleurs des champs. Merci pour ton joli billet et tes mots très poétiques. La nature est si belle, il suffit d'ouvrir les yeux.
    Bel après-midi avec mes amitiés Géontran.

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    1. Bonjour et bienvenue, Denise !

      Comme tu l’écris, il suffit d’ouvrir les yeux. Aujourd’hui on est abreuvé d’images ; on regarde, on scrute, et on oublie parfois de simplement voir. La nature est un cadeau. Elle est la vie, elle est plus beau des cadeaux.

      À bientôt, avec mes amitiés en retour, Denise.

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  7. Un article charmant sur ces ombellifères dont les ombellules me ravissent aussi.
    Bon dimanche.

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    1. Bonjour et merci de ce gentil commentaire. Ravissant, oui, c’est le mot qui convient ! Bon lundi !

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