mardi 31 mars 2020

Si...

Mon fils, mon fort-fragile, mon enfant,
Mon plein de larmes - d'un sourire effacées,
Mon petit grand, 
Qui n'appartiens qu'à toi-même,


Et tu seras un tendre, mon fils...

Peut-être apprendras-tu en grandissant ce poème de Kipling aux airs de défi : "if". A croire ses vers éloquents, tu devras te parer de toutes les qualités, et jusqu'aux qualités de tes défauts, pour un jour espérer devenir un homme. Enfant, j'ai lu cet inventaire homérique, et il n'y avait personne pour me dire combien que ses prescriptions, aussi bien tournées fussent-elles, étaient parfaitement illusoires. Pire, j'en percevais l'écho, comme autant d'injonctions, dans chacune des paroles de mon père - ton grand-père, qui n'a pas toujours été doux et indulgent

Mon fils ; toi qui aimes ce qui est beau, toi qui crois déceler la vérité dans la musique des poètes ; sache que ce texte, au demeurant magnifique, est parfaitement impraticable.

Enfin... tu le liras et tu te feras une idée, mon grand.  Mais peut-être te souviendras-tu de mon présent murmure qui, alors, n'aura pas été vain. Plus simplement, ce qui m'amène à t'écrire ma tendre vindicte aujourd'hui, c'est le goût amer du souvenir, et l'espoir de t'en épargner la douleur.

Pour ne rien te cacher, j'ai longtemps cru à toutes ces conditions absurdes qui devaient faire de moi un homme.

Heureusement, de ce mur infranchissable la vie m'a offert l'antidote ! Il faut dire qu'en matière de réussite, les débuts de ma vie d'adulte ont été furieusement contre-exemplaires ! Aussi voulais-je profiter de l'heure de ta sieste pour t'en bredouiller l'expérience à l'oreille endormie. Comme le ferait le gentil fantôme de l'enfant trop sensible que je fus - et que je suis toujours.

Pour ne rien te cacher, si l'on devait considérer le plus célèbre poème de Kipling comme une succession de conditions cumulatives pour être un Homme... et bien je resterais scotché au starting-block de la première strophe.

Vraiment ! de ce poème trop grand pour moi, je ne cocherais aucune case ! Pas l'ombre d'une ! Comment pourrais-je... moi qui suis à ce point faillible, souvent faible, parfois lâche, toujours fragile...?

Le plus drôle, c'est que je m'en contrefiche éperdument

Vois-tu, fiston, je n'ai pas grande considération pour les petits trucs que j'essaye de bâtir ici et là - mon jardin, mes bouquets, mes poèmes du dimanche. Ils m'occupent et me ressemblent un peu, et de cela je sais me contenter ! Cependant, en matière d'ouvrage, je considère que j'ai mon mot à dire... Tu ne devines pas ? Allons, regarde un peu ton nombril, pour une fois. Oui, s'il est un ouvrage qui peut être distingué à l'aune d'une vie pleine, c'est bien ton sourire, et celui de tes soeurs, et le vôtre, nourri du plaisir de grandir ensemble. Cet ouvrage-là m'est plus précieux que ma propre existence.

Quand la rose figée par l'hiver raconte l'homme et son printemps endormi
Je ne suis pas de ces héros qui impressionnent. Je n'ai rien arraché des mains du destin. Je n'ai pas conquis de grandes terres, ni gagné de batailles ; mais à mes pieds j'ai trouvé un royaume. Je ne comprends pas grand chose des hommes - à part qu'ils me font un peu peur.

Je n'ai pas goût ni talent pour les combats, les joutes, les exploits.

Mais je sais le bruissement des feuilles, le parfum des essences sauvages et le nom des fleurs. Lorsque je tombe, je ne me relève pas toujours. A quoi bon ! Il y a tant à voir à même la terre

Je ne rêve pas de grandeur. Je n'aime rien autant que de me sentir insignifiant et terriblement vivant en même temps. Un petit jardinier, un roi de rien du tout - d'une moitié de rivre, d'une parcelle de terre plus ou moins fertile... que je n'échangerais contre aucune fierté, nulle réussite éclatante.

Surtout...
Surtout, à vos côtés,
J'ai appris à cueillir sans blesser.

Après tout...
A bien y songer,
Peut-être est-ce cela aussi être un homme, mon fils.

Sur le toit du monde...
Si... et seulement si...

9 commentaires:

  1. Coucou Geontran
    Waou, alors je t'épargnerais encore les mêmes mots qui peuplent la plupart du temps mes commentaires mais j'avoue que là, là, tu m'as mis les larmes aux yeux
    Tant de coeur et de passion dans ces mots si doux d'un papa à son enfant, tu es un homme, un papa, juste un être vivant, comme tous tu n'es pas parfait mais perfectible, tu apprends à tes enfants à ne pas subir ce qui fait mal mais à mieux le contourner car même si c'est douloureux on guérit un jour de toutes ces cicatrices laissées au fond du coeur par un être cher qui s'est interdit d'aimer... brise les chaines s'il le faut, pleure, crie, guérit de tes blessures, pardonner c'est s'accorder la délivrance, celle d'une croix que l'on a plus à porter, dire pardon c'est comme se délester d'un mal qui ronge, on apprend ça avec l'âge et croit moi sur parole, ça fait tellement de bien
    Vous êtes adorables tous les deux si proches, une jolie photo d'un papa et son piou
    Amitiés printanières pourvu que le soleil soit présent au dessus de vos têtes bien pleines

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    1. Bonjour Chris,

      C'est vrai, pardonner apaise et soulage. De ce point de vue, j'ai eu beaucoup de chance : les êtres qui ont pu me blesser jadis ont eu le courage de poser le genou à terre. Alors tout a été plus facile. Restent les cicatrices ; parfois douloureuses, toujours sensibles.

      Belle journée d'un printemps un peu fou, Chris !

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    2. et les cicatrices ne font pas rempart au chagrin ni aux regrets mais elles sont là pour témoigner du passé, à nous de savoir les regarder autrement et de ne pas faire les mêmes erreurs que ceux qui nous ont blessé ou fait du mal...
      Laisse le passé à ce qu'il est, il t'accompagne, il ne t'accapare pas, regarde le sourire de ton enfant, c'est le plus joli des présent, il appartient à ton présent, à tes maintenant...
      Avec des si et des peut-être on pourrait refaire le monde, si seulement ces si n'étaient pas des peut-être

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  2. Qui a dit que l'homme devrait être un surhomme ? Etre soi en toute humilité suffit déjà amplement ! Et c'est tout un programme !

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    1. Ah ça, quel programme ! Mais quelle réjouissance également, que d'être soi !

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  3. Magnifique une fois de plus ! Quel âge a ton petit bout d'homme Geotran ? Aaaah le goût amer du souvenir, qui ne le connait pas et c'est bien là que l'on reconnait l'importance des mots qui blesse pour la vie. Je me reconnais beaucoup dans tes ressentis et j'imagine qu'il est plus ou moins le cas pour toutes et celles et ceux qui te suivent. "Cueillir sans blesser" une formule superbe et tellement essentielle que d'aucuns feraient bien de faire leur. Les propos de Chris m'interpellent aussi , le pardon notamment, mais empêche t-il le souvenir amer ? Je n'en suis pas certaine ou bien alors il deviendrait doux amer peut-être. En te souhaitant ainsi qu'aux tiens une douce journée.

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    1. Il a quatre ans, mon fiston. Doux et tendre, amoureux de géraniums et des asters, et de la vie !

      Comme toi je pense que le pardon apaise mais n'empêche pas le souvenir. Doux-amer, oui, c'est exactement ça. la blessure persiste sous la peau réparée. Mais les larmes ne sont plus douloureuses.

      Douce, belle journée ! profitons-en malgré le confinement !

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  4. Bonjour Geontran,

    Quel billet émouvant, cathartique à bien des égards et nourri de tant d'amour et d'espoir... Je ne sais rien de ton vécu, de tes fêlures et pourtant je les sens poindre à travers ta plume. Nos existences sont bien complexes et il nous est souvent difficile, à travers les épreuves de la vie, de trouver du sens, de trouver un point de mire, de se sentir en phase avec ce tourbillon incompréhensible qui nous aspire et nous recrache aussitôt. Le jardin permet un décrochage, il fait du bien, nous place à hauteur de l'infiniment petit, du tout silencieux qui semble si paisible... Et puis il y a aussi ces petits bouts d'éternité que sont nos enfants. Ils nous donnent une force incommensurable et nous nourrissent à bien des égards. Je t'envoie toute mon affection. A bientôt de te lire, toi le papa sensible au coeur d'enfant.

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    1. Bonjour Istariel,

      Papa sensible au coeur d'enfant, ça me va ! Je m'y retrouve assez. Les fêlures aussi me vont - un bien joli mot, à peine amer, presque doux.

      Je t'embrasse au milieu de toutes tes couleurs.
      Amitiés,

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