Un automne carabiné.
Nous étions en septembre et j'avais derrière moi une pleine année d'échauffement. Saison après saison, j'avais travaillé mes bêchage, sarclage, semis, plantation, arrosage, palissage. J'avais potassé mes classiques, répété ma gestuelle face au miroir. Je m'étais préparé comme pour un marathon.
Derniers éclats de l'été déclinant |
Jusqu'à me juger prêt et fin prêt, au milieu de l'été. Jusqu'à attendre la rentrée comme on attend le top départ de la course de sa vie. Jusqu'à attendre l'automne avec l'impétuosité d'une abeille guettant les signes du printemps. Inutile de vous dire que j'ai surveillé la première feuille morte qui se détacherait de l'arbre pour choir à mes pieds. Le doigt sur le manche de la bêche, prêt à faire feu de tout bois. Les yeux grand ouverts, sans ciller - pour ne pas rater le moment. LE moment. Celui qui réunirait les conditions météos, la texture de la terre, l'hygrométrie idéale ; le moment qui contiendrait dans l'éternité d'une seconde l'étincelle de l'instant.
Attentive, patiente, efficace... |
Quand il est arrivé, cet instant entre les instants, j'étais prêt. Fin prêt. Affuté comme ma meilleure serpette. L'âme, le corps et l'esprit dirigés vers un même objectif : faire de la friche de mon jardin un œuf prêt à éclore. Impatient à l'idée de m'attaquer à la réalisation d'un "avant-après" comme on aime en admirer sur les blogs.
Cet instant aux airs de faux-départ, croyez-moi, je ne l'ai pas loupé.
À vos bêches, prêt, partez ! C'est arrivé un soir. Un soir, j'ai su que le matin qui dormait dans la pénombre était le bon. Qu'au saut du lit la lune dirait au soleil : "Bon courage pour ta journée : c'est LA journée, il va falloir être à la hauteur".
Et que frémissent les feuilles |
Ce soir-là, tiré par la manche de l'intuition, je m'en suis allé trainer mes souliers dans le baldaquin des astres assoupis, d'un pas délicat, en prenant garde à ne pas réveiller le jour qui dormait. Une balade comme une retraite aux étoiles. Pour apprécier le calme avant la tempête qui bientôt se lèverait. Dans le velours de la pénombre, j'ai apprécié la souplesse de la terre, respiré à plein poumons l'humidité parfaite, goûté de mes pupilles gourmandes la lumière des cieux dénudés. Les nuages étaient partis se promener et j'ai suivi leur exemple.
J'ai glissé dans la nuit. J'adore la nuit. Certaines fleurs dorment sagement et d'autres restent ouvertes comme si elles défiaient le mouvement des planètes. Les marguerites qui gardent l'entrée de ma maison sont ainsi : rien ne saurait les impressionner - surtout pas l'obscurité, qu'elles caressent de leurs pétales.
Nocturne pour jardinier et sa chienne |
Alors voilà... le matin, j'ai adressé un clin d’œil à la lune déclinante et j'ai plongé dans l'automne. Et l'automne m'a englouti. Nous sommes le dix-sept décembre et je refais surface après une apnée jardinière de plusieurs semaines, un effort d'une vingtaine d'arbustes, d'une cinquantaine de vivaces, deux pelouses, trois allées de graviers, une dizaine de rosiers, huit massifs, deux-cents bulbes, quelques pots savamment disposés, une poignée d'arbres fruitiers prêt à satisfaire l'appétit d'
Sous le soleil de la lune |
Cette année l'automne a certes animé la flamme de ma joie intérieure, mais il m'a également apporté un peu de lassitude, un goût de terre un rien écœurant, quelque chose comme une goutte amère d'obligation dans le verre sucré du plaisir. Cet automne, j'ai jardiné à l'excès. J'ai aimé cela, mais j'aime tout autant la perspective du repos qu'annoncent les premières gelées.
Au boulot ! |
Pour un automne, ce fut un automne.
Un automne un peu trop dosé.
Mais aussi une promesse de printemps éclatants.
Il est venu, enfin, le temps d'hiverner gentiment, entre écriture de ce blog, feux de cheminée, chocolats fumants et promenades entre les mahonias qui illumineront l'hiver comme un nuage d'été dans le gris des glaces matinales. Avec tant et tant de choses à raconter dans ma besace d'apprenti-scribe.
En attendant le chocolat |
Chaque saison recèle dans son déclin le germe de celle qui lui succèdera.
bon retour parmi nous! je me demandais où tu étais passé (heureusement une amie de blog commune m'a rassurée)
RépondreSupprimerla dictature du jardin, je connais aussi, et lorsque je me rends compte que plus rien ne compte que de finir au plus vite les plantations en attente des plaisirs futurs, je dis stop, et je me renfonce dans ma coquille..tu as raison, le jardinage doit être un plaisir, pas une obligation!
bon j'ai l'impression que le printemps et l'été seront superbes chez toi, hâte de voir ton petit paradis!!
bon dimanche devant le feu avec le chocolat et les petits gâteaux de Noël..
bonnes fêtes à toi et à ta petite famille
Je me reconnais tout à fait dans ta description, c'est fou cette passion pour le jardinage. Mais parfois qui nous casse... tous les ans je me dis qu'après j'arrête ce travail de forçat à l'automne... et je recommence et j'accueille l'hiver avec un ouf de soulagement.
RépondreSupprimerJ'ai hâte de voir au printemps les changements effectués.
Bon repos!
Enfin ! ;-)
RépondreSupprimerMais tu as raison, on ne peut pas tout faire en même temps...
Au moins tu peux te dire que le repos est enfin arrivé... Moi je dois encore planter les derniers rosiers et une tripotée de bulbes. Je vais profiter de cette belle journée pour filer au jardin.
Bon dimanche ensoleillé. Bises
Je me réjouis de vous lire à nouveau. Moi qui n'ai que quelques jours par an le bonheur d'un jardin... mais quel jardin, 50 ha, comment, ça n'est pas un jardin mais une exploitation agricole ? Certes mais j'y ai un hamac et un potager à désherber, moi, donc, qui envie si fort votre jardin et votre feu de bois, j'empaquette du Giono à déposer dans les souliers de mes enfants et j'ai rapporté d'Amsterdam des tulipes qui attendent sagement dans mon réfrigérateur qu'il soit l'heure de les planter en terre, enfin, en jardinière !
RépondreSupprimerEn attendant, je vous lis et m'en délecte, autant des pousses vertes que des têtes blondes !
Bonjour,
SupprimerJ'ai affreusement honte de répondre aussi tard ; trois saisons m'ont avalé... Mais je m'en voudrais plus encore de ne pas répondre. Les têtes blondes, parfois, offrent plus d'inquiétude que les pousses vertes.
Quelques jours par an du bonheur d'un jardin, c'est déjà l'assurance de souvenirs, non ?
A très bientôt j'espère.
Mince alors et dire que j'avais loupé ce post ! ta prose toujours aussi poétique et magnifique, un vrai cadeau merci à toi. Comme Catherine j'ai hâte de voir le jardin que tu as préparé avec tant d'amour. En attendant je vais te relire avec tellement de bonheur.
RépondreSupprimerEt moi j'avais loupé ce commentaire adorable. J'en suis désolé. Je suis pourtant toujours très touché - et surpris - qu'on me lise avec autant de plaisir, et qu'on me l'écrive.
SupprimerCoucou,
RépondreSupprimerDit, quand reviens tu nous raconter si joliment ton jardin, tes aventures au clair de lune, tes remues ménage dans la terre fraîchement arrosée, la plénitude dans la béatitude l'âme perdue au milieu des fleurs perlées d'une brume matinale, du soleil qui au petit matin darde ses rayons joyeux au travers des persiennes de bois, réveillant les début d'une nouvelle journée prémices à de nouvelles aventures dans le potager ou les fruitiers se gorgent de sucre pour s'offrir aux gourmands lorsque le temps sera venu
Revient, revient nous raconter les saisons comme tu sais si bien le faire
@ te lire avec bonheur et toujours avec plaisir
Je suis bien d'accord avec Christine !!! ;-)
SupprimerChris, Estelle, merci et pardon de mon retard.
SupprimerJe crois que ça y est, j'ai repris le fil des saisons ; assez pour entreprendre de les raconter à nouveau. J'y reviens donc avec plaisir, car c'est ainsi n'est-ce pas que l'on doit écrire...et jardiner !
A très bientôt.