Trois fois deux font six pieds légers |
Dans notre jardin vit un écureuil. Nous ne le prenons jamais en photo : sa pudeur n'a d'égale que sa rapidité et nous sommes pétrifiés de joie contemplative lorsque nous l'apercevons. Nous le regardons de toutes nos rétines, sans bouger. Je ne suis donc pas en mesure d'illustrer cet article avec une photo d'écureuil : il vous faudra l'imaginer.
La sieste d'Hyde Park
Cet écureuil est une fenêtre ouverte sur mon enfance : Hyde Park, l'automne, les écureuils apprivoisés par des promeneurs toujours curieux, jamais envahissants. Oui : c'était avant les selfies qui gâchent l'instant et le paysage.
Je ne vois plus l'écureuil de mon enfance dans le brouillard londonien de ma mémoire. Mais c'est pourtant l'image qui se dessine la première dans mon esprit quand j'évoque ma prime enfance.
Je suis né outre-manche, dans une chambre du St Mary's Hospital du cœur de Londres. Les souvenirs de mes premiers pas à Hyde Park, marchant d'un pas maladroit vers les écureuils, courant après mon équilibre, ce sont mes parents qui me les ont racontés. Ils sont lointains, trop lointains pour que j'eusse pu les garder en mémoire. Je les ai longtemps cru noyés dans la brume.
Pourtant mon jardin m'en a restitué la saveur - par un de ces petits miracles que seule la nature est en mesure de nous offrir. Cet écureuil que j'admire aujourd'hui, je sais l'avoir vu hier. Je ne le vois plus mais il m'est familier. C'est certainement son arrière-petit fils qui habite aujourd'hui le même jardin que moi. C'est lui qui m'offre de revivre mes premiers émois poétiques.
Poésie vient du grec ποίησις, poíêsis : l'action de créer. Enfant, je courais vers la beauté pour ne jamais la saisir : cette définition de la poésie me convient.
Hier, le ciel nous offrait le spectacle de ses nuages régulièrement percés par un soleil timide et doux. Avec mes enfants, nous aimons ces conditions propices à la promenade. Et j'aime personnellement ces conditions qui appellent à faire la sieste entre deux promenades. Nous nous sommes répartis les tâches : l'ainée faussement exemplaire et les sœurs copines se promèneraient dans le jardin pendant que je ferais la sieste, allongé sur la pelouse.
Surpris en pleine activité |
L’œil au trois quarts clos, j'attendais que le tableau s'animât. Que mon écureuil en forme de souvenir grimpât sur mon liquidambar... ou plutôt son liquidambar, allez, disons : qu'il grimpât sur le superbe liquidambar qui n'appartient qu'à lui même. Hyde Park (c'est le surnom que je donne au sympathique rongeur) l'affectionne particulièrement. De son sommet, il a une vue imprenable sur les noisetiers qui constituent l'essentiel de son garde-manger.
Je voulais couper ces noisetiers avant de rencontrer Hyde Park : à présent que je le connais, j'en ai sanctuarisé chaque branche, au même titre que le Falgus sylvatica que j'ai planté de mes blanches mains. Je crois qu'ils me survivront tous les deux.
J'attendais, donc, et j'attendais vainement. Je surveillais mon petit jardin aromatique à gauche, le liquidambar à droite, ma cabane devant.
Cabane sur cabane : le liquidambar surplombe la maison des sœurs copines |
Au dessus-de mes yeux, la voute ennuagée veillait sur notre monde. J'avoue m'être légèrement assoupi sous ses yeux bleus nimbés de flocons blancs.
Voûte ennuagée veille sur dormeur des trois vallées |
Hyde Park devait être occupé lui aussi à faire la sieste. En tout cas il ne s'est pas montré.
La cueillette en catimini
Les trois sœurs se sont emparées d'un joli panier (en fait de panier, elles ont paré au plus pressé et chipé le panier vapeur dans lequel je concocte de délicieux Bao). Elles ont filé au bord de la rivière. Là, elles ont sauvé quelques pommes de la noyade. Un fort joli pommier se déploie jusqu'au dessus de l'eau. Si l'on y prend garde, il offre à ses fruits de découvrir les joies de la navigation.
Heureusement, la bande des sœurs y prend garde. Point de croisière pour les pommes : elles s'en iront nourrir les appétits acérés des aventurières qui sont venues les sauver de la noyade.
Aucune pomme ne peut rêver plus noble destin. Sustenter la bande des sœurs, quelque part, c'est assurer au jardin tout entier d'être bien traité. Un enfant n'oublie jamais la main qui le nourrit.
C'est à ce moment, j'imagine, que l'idée a été lancée.
Si je devais proposer un scenario du déroulé des faits, je dirais qu'ils ont certainement dû être initiés par la sœur copine numéro 1 - que l'on connaît dans le royaume des trois vallées sous le nom de Princesse du Grignotage Sabbatal. Princesse dont le pas a dû être rapidement emboîté par celui de sa petite sœur. Enfin, l'aîné faussement exemplaire a dû oublier d'être exemplaire et surenchérir d'un : "Papa dort comme un nouveau né, on peut piquer toutes les noisettes".
D'un commun accord elles ont alors entrepris de ramasser les noisettes qu'Hyde Park s'était certainement réservé pour le goûter.
Quand papa dort, les princesses dansent sous les noisetiers |
De mon côté, je m'étais réveillé de ma sieste de père faussement oisif. J'ai ainsi eu le privilège d'entendre cette merveilleuse conversation :
- Sœur copine n°1 : On va faire un sacré goûter.
- Sœur copine n°2 : J'en ai trouvé une !
- Sœur copine n°1 : La question c'est : on mange tout ou on en garde une pour papa ? Une demi peut-être ?
- Sœur copine n°2 : J'en ai une autre !
- L'aînée faussement exemplaire : Papa planque le casse-noix, on va devoir composer avec lui.
- Sœur copine n°2 : J'en ai une autre !
- Sœur copine n°1 : Le casse-noix est dans le placard du haut. En mettant la chaise sur le marchepied je peux l'attraper. Ou alors on les casse avec un gros caillou.
- L'aînée faussement exemplaire : Papa est derrière la haie, il t'a entendue.
- Sœur copine n°1, d'un ton se voulant naturel : Non, grande sœur, on ne mangera pas tout, on va donner la moitié à papa. Ah, il est là ? Vraiment ? Je ne l'avais pas vu.
- Sœur copine n°2 : J'en ai une autre !
- Sœur copine n°1 : Tu savais très bien qu'il était là, traîtresse !
- Sœur copine n°2 : J'ai tout ramassé, il n'y en a plus !
- Moi, d'un ton badin : Salut les filles, il reste des noisettes pour un ventre affamé par l'activité physique ?
- Les trois, en chœur : Mais au fait, il faut en laisser pour l'écureuil !!!
Pour une poignée de noisettes |
C'est ainsi qu'une bonne partie des noisettes a fait l'aller-retour entre le sol et le panier - sans passer par mon ventre.
La loi de Dame Nature
Ensuite, nous sommes allés ensemble glaner quelques pommes supplémentaires. Nous sommes passés par le petit potager des fruits rouges et la bande des sœurs y a découvert le principe de réciprocité : de la même manière qu'elles avaient su être parcimonieuses dans leur cueillette, le bec acéré de la nature leur avait laissé... une framboise.
Dame nature rend la monnaie de son fruit |
Elles ont partagé leur pépite d'or rouge, et l'aînée faussement exemplaire a déclaré : "Vous pensez que si l'on avait oublié de cueillir quelques pommes, les oiseaux auraient laissé une framboise pour chacune d'entre nous ?"
Tiens ! Il faut que j'aille voir si des noisettes sont tombées !
RépondreSupprimerNous avons aussi un écureuil qui vient régulièrement faire le tour des noisetiers mais comme toi, je n'arrive pas à le prendre en photo.
Les petites filles doivent être heureuses de ces belles cueillettes. Cela me rappelle des souvenirs d'enfance !
Bonne soirée
Bonsoir Sylvaine,
SupprimerC'est un privilège d'avoir un écureuil visiteur régulier de nos jardins, n'est-ce pas ! Mes filles ont également celui de pouvoir cueillir leur goûter en rentrant de l'école...
Je te souhaite une très bonne soirée !
Geontran.
Délicieux tout simplement.
RépondreSupprimerMerci ! Un article qui parle d'écureuils et de noisettes ne peut qu'être délicieux ! Nous avons mangé nos pommes sous forme de clafoutis au lait d'amande, ce soir, pour mettre un point final à la cueillette.
Supprimervous êtes chanceux d'avoir un écureuil au jardin..ce serait mon rêve d'avoir un locataire de ce type au jardin, mais depuis 20 ans que nous sommes ici, on n'en a jamais vu..il y a certainement des écureuils, mais discrets..nous habitons en lisière de forêt, alors..
RépondreSupprimerles écureuils d'Hyde Park sont familiers, mais j'en ai vu encore plus coquins au Canada, qui venait manger sur nos genoux pendant nos pique-niques, j'hallucinais..
qui a mangé la framboise? je ne connais pas la recette du clafoutis au lait d'amande???ça doit être délicieux!
tu peux lire ma réponse sur ton dernier commentaire..
bonne journée! et je vous souhaite de belles récoltes encore
Bonjour Catherine. Et bien le destin de la framboise aurait tout à fait pu être intégré à mon histoire : elle a été partagée en 4. Nous nous sommes régalés de ce rien délicieux.
SupprimerOui, j'utilise beaucoup le lait d'amande. Son goût délicat se marie très bien avec nombre de fruits.
Un jour l'un des écureuils de la forêt voisine viendra te rendre visite. Tu ne t'y attendras pas et la surprise sera d'autant plus belle.
Bonne soirée !
Geontran.
Mon aîné Liam et moi avons lu ensemble ton article ce matin. La conversation des 3 sœurs nous a bien fait rire :-)
RépondreSupprimerIci nous avons 5 noisetiers, 1 noyer, 2 amandiers. J'ai bien découvert qu'il y avait quelques larcins... Mais je n'ai pas encore eu le privilège de voir un écureuil filer à toute vitesse ;-)
Lorsque j'étais enfant, ce n'était pas les écureuils, mais les Babouins. Mais là ce n'était pas pour rassurer nos parents qui craignaient les morsures et la rage.
Noah a fait sa rentrée au CP ce matin. J'en ai encore un poids dans la poitrine. Mais j'ai été forte et n'ai rien montré !! ;-)
Liam ce sera cet après-midi pour la 5ème.
J'espère que la rentrée s'est bien passée pour les tiens.
Bonne journée Geontran
Bonjour Estelle,
SupprimerJe suis ravi d'avoir fait rire Liam. À côté de mon blog, j'écris des histoires pour mes enfants. Elles ne sont (absolument) pas sérieuses tout en racontant une (certaine) forme de sagesse. C'est ce que j'aime le plus écrire ; et je suis profondément touché quand elles plaisent ou simplement font rire mon jeune et difficile public.
Ma fille E. est rentrée elle aussi en CP. J'ai moi aussi été - très - ému en la voyant partir sourire au lèvres vers les joies de l'école élémentaire. Je suis resté souriant et confiant, comme toi. C'est important pour eux de nous voir sereins au moment où ils franchissent des étapes. Ils marchent vers leur liberté, d'un pas qui d'allonge avec l'âge.
Immédiatement après avoir accompagné mon aînée au collège, je suis allé marcher 10 minutes sans but. Et là, pendant que je la laissais prendre son envol, une vague de larmes m'a submergé. Ça n'a duré que quelques secondes, mais c'était irrépressible. C'était les mêmes larmes qu'à sa naissance. Larmes de joie, d'amour, d'histoire qui se poursuit, de passage vers un nouveau monde ; larmes d'émotion tout simplement.
Où as-tu grandi pour avoir fait craindre à tes parents les morsures de babouin ? C'est plus singulier encore que mes écureuils so british jouant à m'apprendre à courir ! À ce propos, je suis sûr que tes noisetiers aujourd'hui font le bonheur d'un écureuil - cousin de mon cher Hyde Park. Tu l'apercevras un jour où il abandonnera un instant sa timidité.
J'espère que la rentrée de Liam s'est bien passée elle aussi. Je te souhaite la plus paisible des soirées parmi les tiens.
Geontran.
Entre mes 3 et 8 ans, j'ai vécu dans le désert en Arabie Saoudite. Mon père travaillait là-bas pour un chantier. Une enfance "Club med" pour mon frère et moi. Un peu plus dure dans la réalité pour mes parents.
RépondreSupprimerLa rentrée de Liam s'est très bien passée. Il est d'un naturel plus sociable que moi au Noah. Je ne m'en fait plus trop pour sa capacité à affronter l'inconnu. Mais je me rappelle que pour son entrée en 6ème il était anxieux. Et moi j'avais délégué cette rentrée à son père, de peur de lâcher une larme devant lui :-)
Belle soirée Geontran.
Quelle belle sororité ! J'ai adoré les dialogues ! Dans ma maison des Alpes, tout a gelé y compris les pommes et les noisettes, c'est très triste ! Par contre, je me souviens d'un écureuil canadien, sottement appâté par un "tss tss" alors que nous n'avions rien à lui donner, qui nous a suivi sur plusieurs mètres en nous engueulant, si, si, je t'assure !
RépondreSupprimerOui, leurs répliques paraissent parfois avoir été répétées tant elles sonnent justes. J'adore les écouter se parler. En ce moment, la soeur copine n2 aiguise son sens de la répartie sur mes (vaines) tentatives de lui suggérer deux ou trois instructions. Je ne parviens pas à ne pas rire quand je devrais gronder (gentiment).
SupprimerLes écureuils canadiens ont décidément leur caractère ! À Londres, ils sont comme tous les londoniens : d'une extrême politesse.
Je te souhaite une belle soirée - presque nuit.
J'ai des écureuils au jardin , ils passent souvent le matin avant le lever du soleil !
RépondreSupprimerj'ai plusieurs fois passé de longues minutes appareil en main , mais ils sont trop rapides !!
Régulièrement sur le chemin de leurs passages , ils perdent des noisettes , mais en général le lendemain matin , elles ont été récupérée ....
J'espère que tes filles ont bien repris e chemin de l'école !
Belle soirée à toi et ta famille .
Oui, je crois qu'ils égarent leurs noisettes. Parfois elles forment comme un chemin - qu'on aimerait suivre. Je crois qu'il va droit vers les arbres, leurs cimes, la liberté.
SupprimerBonne soirée aoûtienne.
Geontran.
Bonjour Geontran
RépondreSupprimerTout d'abord merci du commentaire laissé sur notre blog .
Vous avez de bien jolies petites filles et vous parlez d'elles admirablement .
J'ai aussi des écureuils dans le jardin et je n'ai aucune récolte de noisettes car tout est mangé par les écureuils .
J'ai planté deux noisetiers qui donnent de grosses noisettes et les écureuils les mangent lorsque l'intérieur est encore " vert " .
Nous n'avons pas de chance avec les fruitiers .
Bonne journée
Bonjour Marithé,
SupprimerJe crois que nous avons la chance d'avoir un écureuil doté d'un petit appétit. Ou d'un grand sens du partage !
Oui, les fruitiers ont ceci de frustrant qu'une récolte peut être dévorée en quelques heures par la faune gourmande. Mes groseilliers ont produits en quantité... mais ce sont les oiseaux qui en ont profité ! Je pense mettre des filets, mais j'oublie. L'année prochaine... si je n'oublie pas !
Mais je m'en voudrais de chasser mon écureuil du jardin, alors je tolère qu'il prélève sa dîme sur la récolte. Les tiens sont moins bien élevés, et leur impôt abusif !
Bonne journée automnale.
Geontran.
Tu me fais rire avec ton histoire de Hyde Park! Je me demande si l'écureuil de ton souvenir d'enfance et celui de ton jardin sont de la même espèce. L'écureuil natif de l'Angleterre est/était roux, comme en France, mais petit à petit il a été obligé de monter dans le nord du royaume, chassé par l'écureuil gris, venu d'outre-Atlantique. Ce dernier dernier qui n'est pas du tout sauvage et qu'on trouve partout est considéré comme une nuisance tandis que le'écureuil roux est une espèce menacée. Merci pour cette belle histoire de complicité de tes filles. Bonne journée
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