vendredi 23 octobre 2020

Journal de trois saisons

Avril 2020

Sortir de terre, et fleurir, et sourire

Le temps ne me manque plus pour contempler combien le printemps est beau. C'est là un doux confinement ; et je mesure ma chance. Peut-être aurais-je toutefois pu me dispenser de me blesser : cela complique mes activités de papa-jardinier.

Quelle tuile, ce coup de hachette mal placé ! Enfin, mon moral est sauf. La douleur demeure certes vive, car j’ai tranché un os en plus de l'artère et des tendons - ce qui faisait au moins trois mauvaises idées d'un seul coup.

J’ai revu le chirurgien qui m’a opéré ; il est confiant pour l’avenir. Il a l'air d'un homme sage alors je vais l'imiter. Il a un sourire gentil et des gestes d'une singulière tendresse. 

Pendant les trois heures qu'a duré l'opération, j'ai écouté sa musique, qui passait comme un nuage, et dont la tranquillité a fini par me gagner. C'est un peu fou, mais j'ai aimé ce moment. J'avais confiance. 

Parfois, je réécoute "Alone in kyoto" de Air. Ma mémoire s'active dès les premières notes ; je suis de retour au bloc, allongé sur le dos, et je ressens intensément combien un homme peut vous sauver la main des deux siennes.

C'est contagieux, l'espoir ! Je commencerai la rééducation dans un mois. Je suis convaincu de récupérer un jour tout mon feu et une partie de ma flamme. À défaut de déraciner ce fichu Juniperus, ma maladresse aura réussi à m'enraciner un peu plus dans une terre d'optimisme.

En attendant je m’occupe du jardin de ma main disponible. 

Les fleurs font d’incomparables compagnons pour garder les idées joyeuses. Les bouquins itou ! Alors, quand le moral vacille, vaille que vaille, je fais « ceinture - bretelles » : je lis un Wodehouse au milieu d'un tapis de phlox, et tout va mieux - forcément mieux.

Surtout, je suis bien entouré. C’est facile d’être optimiste dans ces conditions. J'ai presque l'impression de tricher.

Un jardinier assis va plus vite qu'un citadin pressé qui marche

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Mai 2020

Ceci n'est pas un bugle

Le petit Ajuga sauvage est en fleurs dans le pré qui jouxte la forêt voisine. Il accompagne un groupe de Stellaires holostées que j’aime beaucoup.


C’est bon pour le moral, toutes ces fleurs qui frappent à notre huis avec un peu d’avance ! 

L'Ajuga... Bonne-Maman adorait l'Ajuga. On l'appelle bugle dans les jardineries ; c'est beaucoup moins heureux... bugle... ce nom vernaculaire ne sied pas à son ancienne noblesse - de bandit des bords de chemin.

Dans mon jardin, évidemment, point de bugle ! il n'y a que des ajugas d'un bleu charmant, bougies jolies, qui éclairent les jours gris d'une flamme folâtre !

J’adorais faire le petit tour du jardin avec Bonne-Maman le soir. J’aimais l’entendre parler de ma maman et de ses fleurs avec une égale tendresse. Elle me manque. Elle est là, dans chacune des fleurs de mon jardin, mais la bienveillance opaline de son regard me manque.

Quand je suis allé à Brest cet hiver, j’ai amené et planté un pied d’Aster 'Asran', à côté de l’if, là où rien ne pousse. Bientôt on pourra dire que rien n’y pousse... sauf l'intrépide Asran. J’ai également repiqué une verveine de Buenos Aeres derrière la maison, entre deux morceaux du ciment craquelé de la petite cour. Elle y fera des petits, qui feront des petits.

Avec ces deux invitées robustes et délicates, un petit bout du Morvan aura transité par le Hurepoix avant de venir s’installer à Brest ! Maman avait l'air contente et Papa aussi - du moins l'ai-je deviné. Ses sourcils fâchés comme les phares des voitures allemandes n'avaient pas l'air si sévères, et sa voix grave était enturbannée de velours.

Il aime les fleurs, même s’il laisse les autres les planter, les arroser, et jusque les cueillir pour lui. Il y avait toujours un bouquet dans un vase au coin de son bureau. Enfant, je trouvais là une raison de penser qu'on avait quelque chose en commun. 

Quand il est venu nous visiter, l'année dernière, j’ai planté un hibiscus à fleurs bleues avec lui. Enfin, avec lui... à côté de lui. Il est resté assis à quelques mètres de moi ; il semblait un spectateur inquiet à l'idée que le magicien lui demande de le rejoindre sur la scène. 

Il n'a pas plongé ses mains dans la terre comme j'aime tant le faire. Pourtant il me demande toujours de ses nouvelles, alors je pense qu’il a aimé se salir les mains par procuration. 

Moi qui ne suis pas magicien, j'ai aimé sentir son regard veiller sur mes gestes.

C'est étrange. Finalement, on peut devenir pleinement père plus de trente ans après la naissance de son enfant. Je ne l'aurais jamais cru ; je me trompais. Chaque jour semble le rendre meilleur et chaque jour j'apprends à l'aimer un peu plus. La vie m'offre là un bonbon dulcifié au sucre de la surprise.

On peut donc également devenir un fils, à trente ans passés. C'est une belle découverte. Décidément, j'aime me tromper si souvent !

Ciel ! ma terre !

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Juin 2020

Rose timide et nigelles audacieuses

Le ciel est bleu comme un citron. Le soleil est à ce point vif qu'il colore tout en jaune pâle. C'est une couleur sans pigment : sépia abîmé. L'été ne s'est pas fait attendre, cette année encore. Je le préfère en retard, honteux et discret. Hélas ! il triomphe et flamboie !

Le confinement se fait souvenir. C'est heureux ; c'est dommage aussi. J'ai aimé me confondre avec mon jardin. Mon costume de jardinier m'allait comme un gant... de jardinage. Il va falloir remiser mon tablier et sortir une cravate. Un foulard lâchement noué fera l'affaire ; ainsi je respirerai un peu mieux.

À mon cœur défendant, je ne crois pas au monde d'après ; mais mon monde intérieur est neuf de chaque jour qui se lève, et de mon ravissement qui s'accroît.

Une question me mord les mollets : arriverai-je à nouveau à faire semblant ? J'ai une demi-vie d'entrainement, certes ; mais un fil de mon déguisement s'est défait au printemps. Si je tire dessus, ne vais-je pas effilocher le tissu tout entier ?

J’aimerais avoir plus de courage ; devenir pépiniériste, vivre de ma passion, malgré les risques, les jours sans pluie. Mais peu importe. Je ne suis pas cet autre. Je suis un humain très humain - et sans doute un peu trop -, voilà tout. Mais j’ai un jardin plein de plantes, et c’est pour moi une fierté inédite. 

C’est dans le Morvan que j’ai appris à faire quelque chose de mes mains quand j’étais plus jeune. À les salir utilement. N'aurais-je pu réaliser concomitamment que je pouvais en faire un métier ? Non, je n'ai pas su ; à la place, je suis passé à côté d'une partie de moi-même, benoîtement, comme on snobe un plus heureux que soi, en levant bêtement le menton pour se donner une contenance.

Le soleil brûle plus qu'il ne brille. Le printemps s'est couché avec les poules, en abandonnant sa chaise vide à un été pressé.

Nous avons branché la pompe et commencé à arroser. Quel mois de juin étrange, qui voit ma terre craqueler comme s'il s'était changé en août. Heureusement, les enfants adorent arroser. Nous emplissons une grande brouette d’eau, à ras bord ; ainsi je peux remplir un petit arrosoir, et arroser moi-même les plantes les plus fragiles de ma main la moins fragile.

La douleur est un peu moindre, et j’ai pu dormir d’une vraie nuit. Ce qui m’ennuie le plus, c’est que je ne sens plus rien entre la moitié du pouce et le poignet. C’est à cause d’un nerf que j’ai malhabilement sectionné. Quel idiot ! Mais ce n’est pas si important que ça, pourvu que je puisse un jour retrouver assez de dextérité et de force pour désherber. Et puis c’est la main gauche ! moindre mal pour un droitier ! Il faut essayer de voir l'arrosoir à moitié plein, n'est-ce pas ?

J'espère un été moins féroce que le précédent.
Même d'un seul souffle ; même d'une seule pluie.

La vie - un peu moins féroce : c'est là un rêve à ma taille.

De l'ombre ! de l'ombre !

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Août 2020

Menthe cherchant sa rivière...

Le vœu pieux d'un été clément est resté dans l’œuf. Depuis plusieurs mois, nous rôtissons - thermostat 10. L'herbe s'est réfugiée en elle-même, dans ses racines, et nous ne voyons plus d'elle qu'une sorte de grande biscotte oubliée dans un grille-pain.

Pourtant, l'heure est, sinon à la satisfaction, du moins à l'optimisme. 

D'abord, je me félicite d'avoir planté en octobre quelques résistantes vivaces, des dures de dures, qui parviendraient à fleurir entre deux cailloux dans un coin de désert. L'eau du ciel - un mirage - semble leur suffire. 

Ensuite, après quelques mois de rééducation, ma main gauche raccommodée fait illusion. Mon pouce manque certes de souplesse, ce qui, lorsqu'on a imaginé perdre l'usage de ses cinq doigts, relève du détail. C'est amusant comme tout est relatif !

Je remercie chaque jour l'intuition qui a été la nôtre au moment d'acheter cette maison. Ou plutôt ce jardin, car nous avons choisi un jardin. Un jardin et sa rivière. 

L'Orge divin ! Dans cette rivière coule un trésor ! Grâce à elle, je parviens à cultiver une belle rangée d'hydrangeas, qui me saluent chaque matin quand je poursuis sur la rive une fraîcheur à la dérive.

Décidément, j'ai de la chance... de parvenir à cultiver un peu de chance. C'est un bon terreau pour faire pousser des sourires.

D'un teinte à faire pâlir l'été

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Octobre 2020

Voilà l'automne, dit le sedum

Nous l'aurons attendu. Espéré. Appelé, prié, convoqué. Nous avons cru le débusquer sous la baisse des température matinales. Mais las : à peine pensions-nous le tenir que déjà il s'évaporait sous la puissance du soleil de midi. Nous avons maudit son fichu retard. 

Il est survenu dans notre sommeil.

Cette nuit, l'automne s'est installé au jardin, comme on s'affale dans une chaise longue. De tout son poids, de toute sa fraîcheur. De son eau qui délivre.

Avec lui, mes affaires reprennent. Mon travail de paysan d'un coin de terre limoneuse. Quand je pense à tous les bulbes qui comptent sur moi pour être plantés, j'ai les genoux qui tremblent et l'allégresse qui frétille.

Mais cette tâche qui m'attend contient dans le creux de sa peine la promesse d'être bien vite effacée, d'un trait de râteau : ici-bas, ici-beau, la fatigue est balayée par la générosité d'une nature qui rend au centuple.

J'aime l'automne. Ses couleurs, sa terre attendrie, ses grands travaux. Son vent délicat de nostalgie délicieuse. 

Cet automne est plus beau encore, car j'ai retrouvée une amie, dont je serre contre mon cœur chacun des mots d'amitié. J'ai posté une lettre vieille de cinq ans et elle m'a répondu. Il y a à nouveau un peu de demain dans mon hier.

Son bonheur délicatement acquis a conforté le mien. Deux familles en miroir, c'est une joie en double.

Avec cette amitié, c'est le monde tout entier qui révèle une saveur nouvelle - délicatement saupoudré de pensées réconfortantes.

C'est l'automne. Et quel automne ! 

Je m'assied sur un tapis de feuilles, je respire le vent des rives, et je ris et pleure du même œil.


Cueillir l'automne



Une rose remonte ; une amitié l'accompagne














6 commentaires:

  1. Coucou Geontran,
    Bon à ce que je découvre à la lecture de ce nouveau post c'est que tu n'y es pas allé avec le dos de la cuillère, mais qu'est-ce qui t'a pris de vouloir abattre ce junipérus avec une machette, humm tu es imprudent même si tu es un poète hors pair, fait attention à toi c'est mieux que de vouloir te découper en petits morceaux
    Tu as bien fait d'envoyer ta lettre, une autre page peut s'écrire, différente mais pleine d'élans d'amitié, je vous souhaite à tous les deux de pouvoir y trouver du réconfort
    La vie réserve de belles surprises et plus souvent qu'on ne le croit, j'en vis une belle depuis plusieurs semaines, gageons que les mois à venir vont être surprenant
    Je te souhaite un week-end rempli de jolis mots et de belles histoires
    des bises automnales

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    1. Je crois que je préfère user de la plume que de la machette...

      C’est vrai, la vie est pleine de belles surprises... pour qui sait les voir ! Nul doute que tu es de ceux-là. Profite bien de ces mois surprenants.

      Belle soirée, d’une liberté en demi-teinte. Ce mois de novembre sera bien étrange.

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  2. Bonjour Geontran,
    J'espère que ta main va beaucoup mieux et je souhaite que tu puisses profiter encore de merveilleuses journées dans ce bel automne flamboyant avant que le vent décide de faire voler les feuilles pour en faire de beaux tapis au sol, ce qui est agréable aussi.
    Merci pour ton très beau billet et je te souhaite un prompt rétablissement.
    Doux week-end avec mes amitiés

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    1. Bonsoir Denise !

      Merci pour tes mots gentils. Oui, ma main à présent va bien. J’ai eu la chance immense d’être opéré par un chirurgien extraordinaire. Je lui dois de pouvoir jardiner presque comme avant !

      Tu as raison.
      L’automne est magnifique, alors que nos portes se ferment à nouveau. Nous en profiterons dans nos jardins.

      Douce soirée,

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  3. Je passais de temps en temps sur le blog mais je voyais qu'il n'y avait pas de nouvelles notes depuis un an. Maintenant je sais pourquoi. Un grand malheur a été évité et j'espère que la rééducation va permettre de reprendre une vie au jardin, normale, comme avant, ou presque. Bonne semaine et bonne soirée.

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    1. Bonsoir Elisabeth,

      Merci ! Oui, je jardine à nouveau ambidextre. J’ai perdu des sensations, mais la mobilité et la force sont revenues - presque intactes. Ça tombe bien : quelques centaines de bulbes m’attendent pour être plantés !

      Bonne soirée, heureux week-end qui se profile doucement.

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Chères lectrices, lecteurs, Après bientôt quatre ans, agapanthes & camphrier va fermer sur ces dernières lignes. J'ai décidé de mig...