mardi 19 février 2019

Dans le creux de ses pas

Après avoir longtemps pensé l'inverse, je suis à présent convaincu que ce sont les pas qui font le chemin. 

D'un chemin l'autre


Mais trêve de propos sibyllin ! Commençons, une fois n'est pas coutume, par le commencement : laissez-moi évoquer ici le bonheur vibrant d'une journée de sable et de vent, qui donna à la plus simple des plantes, d'une formule magique, des allures de comtesse.

L'histoire se déroule en hiver, évidemment. Évidemment, oui, car le gris du ciel est un excellent révélateur des bonheurs endormis. On y peint de petites touches de joie, vives et colorées, qui s'offrent jusqu'aux regards lointains.

C'était il y a une poignée de semaines. Nous respirions ce curieux parfum de doute qui caractérise la fin des vacances, l'humeur un peu vacillante. Nous avions donc décidé de partir vers l'ouest regarder le soleil se coucher. Les voyages prolongent les vacances en même temps qu'ils forment la jeunesse. 

(J'avais en outre d'excellentes raisons de prendre la route : je suis l'heureux parrain de deux jeunes nièces, toutes deux bretonnes, dont l'une est venue embellir notre monde l'année dernière en même temps que tombaient les dernières feuilles des arbres.)

Il avait été arbitré que mon aînée aux yeux de tempête et mon benjamin aux yeux d'eau douce m'accompagneraient. Une demi-famille, donc, mais qui constituait un équipage complet, car l'amour ne se divise pas. Nous avions précédé l'aube et nous étions levés en veillant à ne pas réveiller la journée dans son sommeil. Après trois heures - de conduite pour l'un, de sommeil pour les autres - nous sommes arrivés à destination. Nous avons profité des nôtres, goûté cette paix tumultueuse qui unit les frères et sœurs et les cousins. C'était bon de se retrouver.

Et puis, alors que nous conversions, tout doucement, mille sourires d'un certain hier m'ont tiré par la manche, comme de gentils fantômes. Cela m'a saisit comme une évidence : à quelques kilomètres de là, un bord de mer jadis connu, habité et aimé, attendait ma visite. J'ai proposé à mes enfants de répondre à cet appel. Ma grande fille a préféré à cette perspective la joie d'une journée complète avec son cousin. Mon fils m'a répondu oui, d'un sourire plus large que son visage. 

Alors nous avons repris la route, lui et moi.


Le regard parle à l'horizon muet


Une petite heure plus tard nous courions sur la plage, les cheveux décoiffés et le cœur ébouriffé. Dans ce petit port d'un petit bout du monde, rien n'avait vraiment changé. Les cailloux attendaient l'enfant qui les jetterait dans l'eau. L'eau chatouillait le pied des falaises sans parvenir à les faire rire. Les cèdres veillaient sur les phares ; les phares veillaient sur les hommes ; les hommes ne veillaient que sur eux-mêmes. 

Choisir la pierre entre les pierres

Capitaine du "Présent retrouvé"

J'avais, comme la dernière fois que je m'étais tenu sur ce sable, une main dans la mienne, qui me rappelait que seule compte la grâce de l'instant.  

J'avais, comme la dernière fois que je m'étais tenu sur ce sable, une petite voix pour me poser des questions, qui me rappelait que seule importe la sincérité des réponses.


Monsieur Fucus aux yeux vésiculeux

"C'est quoi ça, papa d'amour ?
- Un cryptogame non vasculaire, fiston d'amour. Dans le cas d'espèce, nous avons affaire à un digne représentant des phaeophyceae, probablement un Fucus vesiculosus. Mais tu peux dire des algues ou du goémon si tu trouves ça plus joli !
- J'aime fucus.
- Alors va pour fucus ! 
- Et ça ?
- Une Asteracea. Sonchus oleraceus, pour te servir, prince de la mer et de ses rivages ! 
- Mais non, c'est une belle fleur !
- Fleur, c'est bien aussi. Et tu as raison, elle est belle comme tes boucles.
- Ben oui !..."

Madame la belle fleur. Tout simplement.

Le verbe est magique. Abracadabra, fucus vesiculosus sonchus aleraceus... Et soudain, algue et fleur de rien se font éclats de tourmaline et d'or ! 

Sur cette plage, dans le froid doux de l'hiver, nous avons partagé la joie des mots qui dansent et chantent - mezzo-voce - ; bégaient, trébuchent, se relèvent, dansent, chantent à nouveau ; chantent encore, et encore, et encore. Nous avons chanté avec eux. Mieux : nous les avons chantés.




Ce jour-là, alors que mon fils courait devant moi, j'ai ramassé un p'tit bout de bonheur qui semblait égaré sur le sable. Il était posé à mes pieds, sans façon, comme s'il avait été enfoui longtemps avant que ne l’exhume le pas de mon enfant. J'ai imaginé qu'il était tombé là, un certain hier d'un certain hiver, dans le souvenir de mes propres pas.  

Alors, après une brève hésitation, je l'ai ramassé, ce morceau de bonheur ; et je l'ai jeté en l'air ; et je l'ai rattrapé du bout de mon sourire. 

Ce jour-là, à nouveau, j'ai su être radieux.

Et le plus surprenant, c'est que la sensation a perduré jusqu'au lendemain. Mieux : le surlendemain, elle était toujours là ; et le jour suivant, son souvenir demeurait

À l'heure où j'écris, sa silhouette légère se tient près de moi, sautillant sur le bord de ma fenêtre comme le font les moineaux : à cloche-patte, d'un pas léger, d'une demi-plume.

Prélude d'un printemps retrouvé

18 commentaires:

  1. Ta prose est toujours aussi enchanteresse, mon cher Geontran ! Merci de nous faire partager ces tranches de vie tout aussi malicieuses que savoureuses. Bien à toi ! Istariel

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    1. Et tes commentaires sont toujours aussi délicats, chère Istariel !

      Ces tranches de vie ont un bon goût de brioche... et la brioche est faite pour être partagée, n'est-ce pas ? Et tu as mille fois raison, il y a toute la malice du monde dans les yeux d'eau douce de mon benjamin.

      Je te souhaite un très beau mercredi, savoureux et ensoleillé.

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  2. Tes mots sont remplis de tendresse Geontran et te lire est un vrai bonheur. Tu goûtes le moment présent avec ton petit amour et c'est si simple d'apprécier ces doux moments avec un joyeux retour.
    Mes amitiés.

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    1. Bonjour et merci, Denise,

      Oui, mille fois oui. Ce sont ces moments qui restent, comme un présent qui se fait passé sans se faire oublier.

      Mes amitiés en retour,

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  3. papa-poète, tes mots sont doux comme le sable qui coule entre les doigts..
    ton petit benjamin a de la chance de courir sur la plage et d'avoir un papa savant qui lui raconte les plantes de bord de mer,
    bonne journée, la mienne sera meilleure, avec cet intermède poétique..merci!
    à bientôt!

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    1. Merci Catherine,

      La douceur est pour moi le plus beau des compliments.
      Je te souhaite une douce journée, donc, jusque dans la fraîcheur du matin et du soir.

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  4. Quel bonheur de lire ton post rempli de poésie et d'amour pour la vie et pour cet enfant aux boucles blondes que le vent fait virevolter, tu transcendes les mots en les rendant chaque fois plus beaux
    Le bord de mer à ce charme qui attire et émerveille, j'ai pris un bon bol d'air ce matin grace à toi
    Belle journée sous le soleil, ici la brume enveloppe le paysage et donne à mon village des airs mystérieux
    Bises Geontran, passe une très belle journée

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    1. Bonjour Chris,

      Tu as de la chance. S'il y a une chose que j'aime, c'est bien les villages aux airs mystérieux ! J'adore découvrir le paysage sous la brume le matin. On s'y attend rarement et tout s'en trouve transformé !

      Belle et brumeuse journée, Chris !

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  5. c'est toujours un réel plaisir de te suivre je l'avoue
    merci pour ce bon moment

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    1. Bonjour Nanie,

      Merci pour cet aveu qui me fait très plaisir !

      À bientôt ! Amitiés

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  6. C'est drôle, chez moi, la plage et l'océan me donnent des sentiments similaires. Je n'ai pas les mots pour le décrire aussi bien que toi mais je comprends ça.

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    1. J'aime bien le mot que tu utilises, "sentiments". C'est exactement ça : l'océan me donne des sentiments, plus encore que des sensations. En fait, c'est comme si mon corps ne faisait plus office de filtre entre mon environnement et mon cœur. C'est très étrange et unique.

      Je t'envoie mes amitiés par dessus les toits de Paris,

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  7. C'est une bonne nouvelle que tu sois venu au pays du soleil couchant, te ressourcer et t'emplir les poumons de ce bon air iodé. Je te sens joyeux de mettre un nom sur les plantes de bord de mer et de les transmettre à ton petit garçon, si curieux d'apprendre les formules magiques de la nature. Que la mer te berce encore longtemps de son chant vivifiant, Geontran... Amitiés

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    1. J'ai quelques commentaires en retard...

      La mer donne un sentiment unique, à la fois familier et étrange. On la reconnaît, pourtant elle n'est jamais tout à fait la même. Cet été j'ai loué un gîte en Bretagne. Je passerai à Brest : ça fait si longtemps, plus de cinq ans !

      Mes amitiés confiées au vent breton.

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  8. Merci de partager cette belle journée. Engranger de tels souvenirs, c'est un atout magique pour les enfants.
    Bon dimanche.

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    1. Bonjour,

      C'est curieux, je n'ai jamais conscience d'engranger un souvenir. Parfois le présent demeure du présent, infiniment, parfois il devient du passé. Et ce n'est pas moi qui choisis ! Cet aller-retour au bord de la mer, lui, s'est inscrit dans chacune de mes journées, présentes et à venir.

      Belle journée !

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  9. Comme c'est beau ce que vous avez écrit. Vous avez une façon toute personnelle de décrire ces moments intimes. Le petit garçon prend les mots ou ne les prend pas, c'est lui qui choisit. La mer est belle aussi en dehors de l'été. Ce sont de chouettes moments en famille. Bon week end.

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    1. Bonjour Élisabeth,

      Merci ! J'aime le mot : intime. L'intime se partage comme on chuchote. Alors seulement, il s'offre sans cesser pourtant de nous appartenir.

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