dimanche 4 novembre 2018

Un jour, deux plantes #3 - Persicaria maculosa et Polygonum filiforme

Quelle différence y a-t-il entre l'artiste qui ne joue que pour lui, seul face au miroir de l'âme, et celui que son public réclame ? Entre la plante qui ose à peine pousser, de peur de se faire arracher, et celle dont la floraison sera saluée comme une première d'Opéra ?


mizuhiki
Persicaria filiformis peint sur toile d'acer


Parfois, il n'y a là que l'épaisseur d'une feuille de renouée.

Nos deux héroïnes du dimanche appartiennent à la grande famille des Polygonaceae. Nonobstant cette incontestable parenté, les deux cousines, qui ont poussé sous des latitudes éloignées, ne se fréquentent guère. Elles sont - c'est étrange - aussi disparates qu'analogues. 

Si vous le voulez bien, levons sans plus attendre le voile sur l'identité des protagonistes de notre petite scénette :

À ma gauche, sans façon ni fausse manière, simple comme au réveil des nuits estivales : Persicaria maculosa, que vous connaissez certainement sous son nom vernaculaire, qui fit trembler plus d'un jardinier, de Renouée Persicaire. Peut-être même l'avez-vous maudite quand elle se faufilait habillement entre vos rangs de vivaces ou germait dans un sourire au milieu de votre pelouse. Il faut reconnaître que notre renouée tient à sa liberté, jusqu'à en faire un usage tout à fait inconsidéré lorsque les conditions lui siéent ! 

Elle donne alors l'impression de bondir devant la main, une nouvelle pousse émergeant quelques centimètres plus loin, à l'instant où la précédente est arrachée. Même pour un flegmatique amoureux des herbes folles comme votre serviteur, c'est parfois troublant et - je pèse mes mots - un brin agaçant. Mais on lui pardonne malgré nous, à ce beau brin de fleur, au rose de ses joues ; on lui pardonne aussi vite qu'hélas elle repousse... sans parvenir à se montrer totalement repoussante.


Au détour de mon gazon : Renouée Persicaire, la bondissante

À ma droite, le port altier, la taille mannequin et la fleur raffinée : Persicaria filiformis. Ses origines japonaises n'altèrent aucunement son exceptionnelle faculté d'adaptation à nos jardins les plus revêches. Elle apprécie l'ombre, qu'elle éclaire délicatement de son filament framboise, mais goûte également la caresse d'un soleil tempéré. D'une éducation irréprochable, elle se tient, docile, à l'endroit que l'on a voulu pour elle. Elle s'y multiplie sans excès - juste assez pour entretenir la grâce des lieux. 

On en fait des bouquets d'une finesse incomparable. Enfin, pour ceux - dont je ne suis pas - qui oseront la couper...


mizuhiki dans sa plate bande
Vous avez dit filiforme ? Assurément !

Vous l'aurez compris : nos deux amies sont aussi différentes qu'on peut l'être dans le joyeux petit monde d'une famille recomposée à l'envie. 

La première est une annuelle hyperactive qui prospère à l'abandon des friches joyeuses... et au-delà... ; la seconde, une vivace de bonne sève qui ne saurait mentir. On qualifie l'une d'adventice, et c'est bien ce qu'elle est ; et l'autre de plante d'ornement, ce qu'elle mérite résolument au-delà des apparences.

On découvre la renouée en grimaçant, sise au milieu d'un gazon qu'on eût rêvé anglais ; à l'inverse, on installe Persicaria filiformis à sa place de choix, au cœur de notre plus belle plate-bande - celle que l'on montrera à nos visiteurs illustres avant de les inviter à entrer.


mizuhiki vu du ciel
Feuilles de Velours et instants de soie

Pourtant, l'image que je retiens de nos deux Polygonaceae de soie et d'émoi est celle d'une improbable harmonie sororale. 

Elles sont certes des cousines éloignées - à tel point que nos jardins seuls ont le pouvoir de les réunir ; mais à l'envers de leurs robes de tout et de rien, grâce souterraine et parfaite, se cache le chant de l'Orphéon.

C'est ainsi qu'à mieux les regarder, sans façon et avec indulgence, le jardinier verra en elles deux sœurs de sève marquées du sceau de l'unisson. Il traquera l'une et plantera l'autre, mais restera frappé par leur étrange parenté.

L'harmonie, c'est simple comme un papillon végétal

Ce sont leurs inflorescences en épis, étirés dans un cas, ramassés dans l'autre, qui zèbrent avec une même acuité nos cœurs attendris. Et surtout : sur leurs feuilles de pêcher, une marbrure étrangement commune, accent sombre sur regard clair, nous chuchote combien elles appartiennent, sans distinction, au-delà de la main qui décide de leur sort, au vacillement de notre jardin vagabond, qui dans une valse à deux instruments se rêve virgule entre les mondes.




(Je dois tout de même préciser que, pour jolie qu'elle soit, la Renouée Persicaire se montre dans des conditions d'humidité favorables particulièrement envahissante. Toutefois son pouvoir de nuisance n'est pas comparable avec une autre cousine : la Renouée du Japon, abominable envahissante, à arracher sans hésitation ni relâche. 

A contrario, Persicaria filiformis n'est aucunement débordant malgré son allure de persicaire. Il se contente d'être très joli et a toute sa place dans un massif d'ombre !)


12 commentaires:

  1. coucou Geontran
    Je me méfie toujours des persicaires même si je trouve qu'elles ont un charme fou, leur seul défaut, s'installer là où le vent les poussent, enfin poussent leurs petites graines qui elles s’accommodent tellement bien de leur nouveau lieu de villégiature qu'à peine installées elles s'étendent encore et encore, tu sais que dans certaines régions anglaises les jardiniers leur font la chasse sans parvenir à les exterminer, leur système racinaire est paré à toutes tentatives de destruction renforcées qu'elles sont par leur grande facilité à résister à presque tout, un peu comme les glycines et les... frelons asiatiques
    N'empêche c'est vrai qu'elles sont jolies
    Belle et douce soirée et bon courage pour le job demain
    @ bientôt de te lire

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    1. Bonjour Chris,

      Je partage ta méfiance des persicaires.

      J'ai précisé plus explicitement dans l'article : si la renouée persicaire se montre souvent envahissante (même si elle s'arrache facilement), ce n'est pas du tout le cas du Polygonum filiforme, qui est une vivace tout à fait recommandable dans un jardin !

      Le persicaire que tu évoques est sans doute la renouée du Japon. C'est une adventice absolument terrifiante qui colonise des zones entières sans laisser la moindre chance aux plantes indigènes.

      Je te souhaite une douce reprise,

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  2. Bonjour Geontran,
    ha encore une dangereuse que je laisse fleurir dans mes parterres... elle est si mignonne et maintenant je peux lui donner un nom: renouée persicaire! Elle comble un trou dans un nouveau massif mais pour être sûre je vais lui tirer le portrait et faire un avis de recherche d'identité! Tu as une bonne connaissance de la botanique, je l'avais constaté dans différents articles ;-)Bon lundi Geontran!

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    1. Bonjour Nathalie,

      Comme toi, j'ai une faiblesse avérée pour la Renouée persicaire... Que je n'arrache, lorsqu'elle visite mes massifs, qu'après la floraison et avant la fructification, dans un souffle. Par ailleurs, je n'en n'ai pas parlé dans l'article mais c'est une médicinale non dénuée d'intérêt.

      Pour la botanique, j'essaie, j'apprends ; je suis en tout cas passionné ! Pour tout te dire, j'ai même repris des études dans ce sens. J'en parlerai dans un prochain article.

      Amitiés, Nathalie, en ce début de semaine.

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  3. Bonjour Geontran,

    Je découvre cette jolie fleur et j'aime beaucoup ses feuilles aux motifs si réguliers. Merci pour tes explications et ce beau partage.

    Je te souhaite un bel après-midi et un bon début de semaine.

    Amitiés

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    1. Bonjour Denise,

      Oui, les feuilles des renouées font leur charme autant que leur grappes de fleurs minuscules.

      Je te souhaite une bonne fin de semaine et une belle soirée.

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  4. je suis bluffée par tes connaissances! j'ai appris encore quelque chose ce jour..
    j'aime beaucoup les persicaires, mais chez moi, elles ne sont pas très développées..par contre la renouée du Japon, je n'en veux pas..
    bonne soirée et à bientôt

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    1. Bonjour Catherine,

      Je suis ravi que tu aies trouvé matière à apprendre dans mon article. Je suis fasciné par la botanique. J'ai repris des études dans ce sens et je suis comme un gamin qui étudie enfin ce qu'il aime...

      La renouée du Japon est absente de mon village, heureusement ! C'est une vraie plaie, quasi impossible à chasser quand elle est installée, car elle peut renaître d'un rien de racine.

      Joli week-end d'automne, Catherine,

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  5. Bonjour Geontran, j'ai la chance, oui oui la chance, d'avoir les deux au jardin! L'une est arrivée toute seule bien sûr mais pousse de façon très raisonnable, donc je la laisse se mettre où elle veut. L'autre, je l'ai ramenée du joli "Jardin d'Angélique", elle se ressème aussi et permet ainsi d'alimenter les différents trocs de plantes auxquels je participe...
    Bonne journée, Véro

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    1. Oh, comme ça me fait plaisir de lire cela !

      Je partage cet amour pour les renouées persicaires. La douceur de leur couleur, le mystère de leur feuillage... vraiment, ce sont de tendres envahisseuses. Je leur ai laissé toute une partie du jardin, et j'attends qu'elles soient en fleurs (mais pas en graines !) lorsqu'elles s'invitent dans les massifs, avant de les arracher.

      Le polygonum filiforme est une merveille de finesse. J'ai hâte de le voir se ressemer chez moi !

      Belle soirée de fin de semaine,

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  6. Véro m'a offert 2 pieds de ce Polygonum filiforme. Je n'ai pas encore eu l'occasion de leur trouver une place, étant donné que je ne peux toujours rien planteeeeeeer !! Si si je deviens hystérique ! Après la sècheresse, c'est moi qui suis immobilisée ! Enfin, je ne désespère pas ;-)
    Belle fin de journée.

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    1. Bonsoir Estelle,

      Ne t'en fais pas, c'est une vivace très rustique. Elle peut attendre un peu pour être plantée. Je suis sûr que bientôt ton dos te rendra ta liberté en même temps qu'il cessera de t'imposer la douleur. Et tu planteras tranquillement.

      En attendant, goûte la tiédeur d'une cheminée et de quelques chocolats chauds maison.

      Amitiés

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