jeudi 6 mai 2021

De Brest à Luzy - partie I : Brest - Paris


 

 

 

 

 

 

 

 

Avant de redevenir un enfant, j'ai été un jeune homme.

Je garde de cet entre-temps le souvenir de limbes acrimonieuses. J'en perçois encore la sensation sarcastique, semblable à celle que provoquent ces breuvages qu'on avale avec un petit rictus... avant de se resservir. Ainsi cette époque a-t-elle parfois eu de la liqueur de gentiane l'amertume fleurie. C'était bon et mauvais entremêlés. 

J'avais pris l'habitude de naviguer quelques pieds en dessous de l'étiage. L'esprit en apnée. Je m’enivrais de tout et de rien, d'une goutte ou d'un tonneau. Je traversais l'existence en funambule débutant, maladroit, gauche à chaque geste, cherchant l'équilibre dans des prises qui s'effritaient, me rattrapant pour mieux tomber. Je m'écorchais les genoux et l'âme à l’âpreté du sol, comme on se lime le cœur - pour ne pas trop pleurer. L'existence me semblait un poison dont le cynisme était l'antidote.

 

Leur été ; mon automne

 

Au milieu de cet océan tourmenté subsistait un îlot de sérénité : la maison de ma grand-mère. Mes cousins s'y retrouvaient l'été ; j'y allais donc de l'automne au printemps. Mon aïeule habitait un vaste domaine dans le sud du Morvan, quelques maisons sises au milieu des bois, à quelques kilomètres de Luzy, petite ville dont le PMU et l'église demeuraient les seuls lieux de vie. D'inclination résolument sauvage, je m'y sentais à mon aise. Le voyage de Brest à Luzy était une expédition dont je chérissais les péripéties, embrassais rituels et imprévus avec une égale gourmandise.

 

Quitter Brest, et revivre

 

La première partie du voyage était la plus ingrate à mes yeux. Cinq heures de TGV étaient nécessaires à me transporter jusqu'à la gare Montparnasse. Tout commençait par une jeu de pile ou face : qui échouerait sur le siège voisin ? Généralement, face l'emportait - au choix : un fâcheux ou une enquiquineuse - ; alors je m'en allais voyager debout entre les wagons, le pied droit à plat contre la paroi, le pied gauche en avant, les yeux clos. Je les rouvrais avidement au moment où mes oreilles se bouchaient, lorsque le train s'enfonçait dans les tunnels de banlieue. Je ne voulais rien perdre de ce moment : l'aventure commençait. Je descendais le premier sur le quai, anonyme et heureux, mon épais sac à dos intercalé entre moi et le voyageur qui me suivait.

Paris m'avalait. 

Je me rendais à pied à la gare de Lyon, de l'autre côté de Paris. Je traversais le jardin des plantes au ralenti. Le lieu m'attirait comme un aimant et je ne luttais pas contre cette force qui me dépassait. Je déambulais pendant une heure entre les massifs, comme si j'étais dans un musée, puis déjeunais sur un banc d'un sandwich forcément délicieux. C'était beau et j'étais libre. Enfin. J'oubliais la course folle des horloges d'ici-bas dans le jardin alpin. 

Je finissais mon périple au pas de course - déjà les fleurs me mettaient en retard. Je sautais dans le train quelques secondes avant la fermeture des portes. Le corail s'ébranlait vers le sud. 

Paris me recrachait.

 

 

 

 

 

 

 

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13 commentaires:

  1. Coucou Pierre
    haaaa que vas t'on apprendre de toi cette fois ??
    Alpes, Paris, Morvan...une sacrée aventure déjà
    Je comprends mieux pourquoi tu as l'esprit en voyage ;-)
    Passe une très belle journée sous le soleil qui ne réchauffe pas grand chose en ce moment sauf les impressions qu'il laisse en attendant mieux
    des bises

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    1. Oui, c'est bien dit, ce soleil fait pâle figure. On attend qu'il nous réchauffe, et c'est le vent qui l'emporte.

      Bon week-end Christine,
      Pierre

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  2. L'âme d'un voyageur ! "déjà, les fleurs me mettaient en retard", j'aime bien cette formule.. et ce périple si bien écrit

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    1. Merci ! J'avais l'âme d'un voyageur, devenu casanier de mes fleurs.

      Bon week-end - entre soleil timide et fraîcheur de l'air.
      Pierre.

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  3. A cette période, les fleurs savaient que tu les aimerais et cela c'est avéré.

    Merci Pierre pour cette belle première partie.

    Bon week-end et les fleurs sont heureuses d'être arrosées mais il fait frais.

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    1. Les fleurs me l'ont depuis bien rendu.
      C'est vrai, le soleil peine à nous réchauffer la peau... Mais il rassure le cœur sûrement.

      Bon week-end Denise,
      Pierre

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  4. Un tableau, "comme si on y était", de l'adolescence quêteuse d'elle même. Une expédition où souffle un vent de liberté, où je me reconnais (le voyage vers la maison de la grand-mère !)

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    1. Le vent est bien le meilleur symbole de cette liberté comme une quête, comme on respire, comme on court.

      Bonne journée Capucyne,
      Pierre

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  5. Bonsoir Géontran,

    Vous nous posez un décor sur les chemins de traverses de votre mémoire qui nous ramène à un temps (si présent dans vos souvenirs) comme dans les nôtres par rapport à notre histoire personnelle...Une belle échappée à travers ce jardin des plantes, avant de partir vers une expédition qui si chère à votre cœur, tout comme l'est si chère, notre propre évasion vers un lieu, qui nous ramène toujours à nos racines... Un lieu si cher à notre mémoire que le temps ne peut effacer... Dans cet instant-là, ce moment vécu, le temps s'arrête : fini une vie faite de stress, nous allons passer d'agréables moments auprès de ceux et celles qui nous tiennent vraiment à cœur, au sein d'un cocon, ivre de moments de bonheur, tout comme l'est ce moment de bonheur que l'on partage dans un jardin, toucher la "terre" et sentir "le ciel", vivre en parfaite harmonie avec nous-mêmes sans que l'horloge du temps nous rappelle à notre vie quotidienne... Besoin de s'évader, fuir un monde qui va trop vite ! Poser notre valise et savourer l'instant présent, en partage de valeurs si simple au cœur et à l'âme...
    Nous gardons tous et toutes, une âme d'enfant et la mémoire des souvenirs. L'innocence d'une enfance et adolescence sur le chemin de la vie qui se construit avec des fondations qui ne pourront jamais être détruites, car elles sont solides, bâties sur le socle de l'Amour, même si le temps passe si vite, dans l'instant même, ce souvenir est si présent, qu'il s'ancre dans notre présent...
    Merci, pour ce beau partage, gardons toujours notre âme d'enfant, afin de voir l'innocence dans les yeux de nos enfants et les faire rêver avec nos souvenirs pour leur apprendre à se construire...Notre monde à tant besoin de se ressourcer aux vraies valeurs universelles, sans la terre, le ciel, sa faune et sa flore, nous ne pouvons survivre, c'est notre sanctuaire !

    N'effaçons point nos racines, notre arbre de vie Géontran.
    Je vous souhaite un très beau week-end, parfumé de l'odeur de la terre et du ciel.

    Ma rose d'amitié.

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    1. Merci pour la rose et les mots. Je crois qu'être adulte c'est souvent faire semblant. Nous avons tous une âme d'enfant, mais perdons notre temps à la dissimuler. Heureusement, elle demeure - intacte. À nous d’apprendre à la raviver ! Les enfants nous y aident volontiers !

      Une pivoine pour une rose, d'amitié.
      Geontran.

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  6. C'est vrai qu'il faut passer par Paris pour aller de la Bretagne à une autre partie de la France, même si c'est au sud... ce qui n'est pas normal. Merci pour ce petit bout de ta vie d'avant.

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    1. Ainsi est organisé notre pays, oui, et comme toi je le regrette.

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  7. Que j'aime ce récit, magnifiquement raconté, si vivant qu'on est dans le train, on traverse Paris avec toi, pressés d'arriver tout en goûtant chaque instant.Je vais vite lire la suite...

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