samedi 19 décembre 2020

Conte cruel au jardin

Le jardinier se souvenait du jour où il avait planté le rosier. 

Le jardin avait accueilli l'arbuste d'une terre fraîche, le ciel d'une fine pluie, et l'homme avait pensé : oh, ce sont là de gentilles attentions ! Sous ces heureux auspices, le rosier avait vite prospéré. Ses racines plongeaient en terre au pied d'une butte, où l'eau affluait régulièrement par la grâce du relief. Le soleil le visitait longuement le matin ; puis disparaissait au plus chaud de la journée derrière le rideau d'un arbre bienfaiteur ; pour revenir le bercer de tiédeur en fin d'après-midi. Le jardinier l'avait arrosé, nourri, chéri.

Le rosier avait fleuri tout l'été, par marées successives d'une intensité égale.

Soucieux de ne léser aucun de ses enfants, il fleurissait en ombelles : des pédoncules d'une longueur identique distribuaient harmonieusement les roses à l'extrémité d'une tige. Ainsi toutes échoyaient à une même hauteur, nulle ne pouvant être reléguée au rebours de la beauté des autres.

Les premiers mois d'une automne généreuse, le rosier avait fait florès sans s'économiser. Puis décembre était arrivé dans son dos, nuitamment, à pas de givre. Au premier froid, le rosier avait enjoint à ses enfants de ne plus sortir. L'heure était venue de remiser rêves et sève dans la tiédeur du sous-sol. 

Le temps de la vie souterraine commençait. Rameaux et racines grandissent en miroir : le sablier des saisons est retourné deux fois l'an.

Les bourgeons s'étaient réfugiés en eux-même, renonçant à se faire fleurs. Seule, une ombelle avait décidé de braver le couvre-froid. Voulait-elle offrir à la main qui l'avait planté la flamme d'un dernier bouquet ? Exprimait-elle un excès de confiance doublé d'un pied de nez à l'hiver ? Peu importe ; l'ombelle osa.

Cinq boutons avaient jailli, et tous étaient sur le point d'éclore. Un feu d'artifice - le dernier - s'apprêtait à illuminer la voûte terrestre. Le jardinier passant devant le rosier pensa : cinq roses sœurs seront là demain pour accueillir l'hiver. Quelle belle promesse ! et combien je vais être chanceux d'en contempler l'efflorescence !

Le lendemain, le jardinier laissa passer la matinée et une partie de l'après-midi. Une heure avant le crépuscule, il s'en alla à la rencontre du spectacle que le jardin avait programmé pour lui. Son cœur battait à chaque pas un peu plus fort tandis qu'il approchait du rosier.

Soudain, surgit une tâche rose sur fond d'un manteau vert ! Le jardinier s'approcha doucement, ému, le cœur oscillant entre la joie et la tristesse. C'était une rose magnifique. Une rose unique.

C'était une rose magnifique mais unique, car à son pied gisaient ses sœurs, toutes mortes-nées d'avoir été privées de sève. Il avait fallu choisir : partager entre cinq, au risque ne voir fleurir aucune ; ou offrir à une le privilège de vivre. Avec beaucoup de courage - et un soupçon de cruauté -, le rosier avait choisi cette seconde solution.

Quatre avaient été sacrifiées afin que le rosier, d'une ultime rose bravache, illuminât l'entrée du jardin dans l'hiver.



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Ce conte nous fait entrer dans l'hiver, entre émerveillement et tristesse. L'optimisme demeure de mise dans mon jardin, et dans le monde, qui est notre jardin à tous. Car la promesse du printemps est là, autour de nous ; dans les bourgeons, qui dorment d'un sommeil battant ; et dans les racines, invisibles à nos yeux, mais qui, s'exaltant sous la terre, feront bientôt danser la vie sur cette même terre. 

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À toutes et tous qui me faites le très grand plaisir de me lire, je vous souhaite de très douces et tendres fêtes. Si le miracle du printemps se renouvelle, ce blog fleurira à nouveau l'année prochaine.

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17 commentaires:

  1. Coucou Pierre
    Quel joli billet avec une pointe un tantinet mélancolique, peut-être l'hiver qui va revenir te fait t'il comme ce rosier choisir la chaleur d'un foyer douillet où il fait bon se réchauffer plutôt que la fraicheur toute relative d'un automne qui s'en ira avec l'arrivée du solstice prévu demain, l'hiver lui ravira sa place pour mieux s'imposer
    J'aime beaucoup tes textes, ils sont plein de ravissement et de tendresse pour ce jardin que tu aimes tant
    Passe de belles fêtes entouré des tiens au gré du scintillement des guirlandes de noël et des cris joyeux de tes enfants
    Des bises automnales (les dernières avant un moment)

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    1. Merci Christine,

      C'est vrai, j'ai une infinie tendresse pour la vie de manière générale, et un ravissement sans borne pour la nature. Merci, passe toi aussi de bonne fête dans un cocon de douceur.

      Amitiés,
      Pierre.

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  2. Un brin de cruauté ou beaucoup de sagesse...? Les deux peut-être....j'aime l'hiver, ce moment de sommeil, et la neige comme une page blanche ou va s'inscrire, plus tard, les fruits de l'alchimie secrète...

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    1. Parfois la cruauté est simplement l'autre nom de la sagesse, n'est-ce pas ? Moi aussi j'aime l'hiver. Il fait si bon d'attendre le printemps pendant que tout se joue sous la terre...

      Belle journée et joyeuses fêtes,
      Geontran.

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  3. Bonsoir Geontran,

    Quel magnifique conte d'un jardinier qui aimait tendrement ses roses et je suis certaine que l'an prochain, elles t'offriront toute leur beauté souhaitée.

    Je te souhaite de très belles fêtes entouré de ta jolie famille, de la joie dans les coeurs et des étincelles dans les yeux de tes enfants, c'est le plus beau cadeau.

    Mes amicales pensées ♥


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    1. Merci Denise,

      J'espère que toi aussi tu as passé et passe de joyeuses fêtes, chaleur douce et ravissement du cœur.

      Toutes mes amitiés,
      Geontran.

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  4. Le fleurissement de toute fleur est toujours un cadeau quelle qu'en soit l'histoire. mais ta prose en est tellement un aussi ! Je n'ai pas eu le temps de commenter depuis quelques uns de tes posts, mais ils m'ont tous ravie à leur manière et toujours émue, et quand ils parlent de notre Finistère ils franchissent encore en mon cœur un degré supplémentaire moi qui n'en suis que l'adoptée. Nous patienteront donc jusqu'à ton retour. Que l'hiver te et vous soit doux et serein, qu'il nous amène tout doucement à garder l'espoir. Passe d'agréables fêtes cher Geotran entouré des tiens. Des Bizzzzzh du bout de la terre.

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    1. Merci Maryline,

      Oh, je sens toujours ta présence de lectrice, fût-elle silencieuse ! Merci infiniment. Passe toi aussi de très belles fêtes parmi les tiens.

      Des bises lancées au vent !

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  5. Tant d'espérance dans votre texte. Merci.
    Bonnes fêtes !

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    1. Merci ! L'espérance est présente partout autour de nous, jusque dans chaque brin d'herbe. Seul l'homme l'oublie parfois.

      Bonnes fêtes à vous aussi !

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  6. Un joli conte pour Noël si bien écrit!
    J'espère que tu passeras de belles fêtes de fin d'année avec toute ta famille. Je t'imagine au coin du feu en train de raconter des histoires magiques à tes enfants qui t'écoutent et te regardent avec leurs petits yeux pleins d'émerveillement. Toutes mes amitiés.

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    1. Merci Judith,

      J'ai toujours aimé les contes. C'est vrai, je suis un grand raconteur d'histoires !
      Les yeux de mes enfants, public émerveillé, sont la plus belle des récompenses.

      Mes amitiés, de douces et heureuses fêtes.

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  7. Dans ton joli texte la sagesse a triomphé pour nous apporter l'espérance. Joyeux Noël à toi et les tiens qui te sont précieux. Toutes mes amitiés et à l'an nouveau.

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    1. Oh, merci ! Je te souhaite en retour de fort joyeuses fêtes. Nul doute que l'an nouveau sera heureux de nos lectures et nos échanges.

      Amitiés,
      Geontran.

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  8. Quelle sagesse dans la nature !
    Plus on l'observe plus on se dit qu'on a tant à apprendre d'elle.
    Alors ici les rosiers sont taillés avec amour et soin.
    Passez agréablement ces derniers jours de l'année Géontran, et merci pour cette superbe rose.

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    1. Merci Colo,

      Et merci à mon jardin de nous l'avoir enfantée. Une rose de presque Noël vaut un bouquet, n'est-ce pas ?

      Je vous souhaite des fêtes ensoleillées - soleil du ciel et soleil du cœur.
      Geontran.

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  9. Les roses sont des amies fidèles, j'avais encore des fleurs avant les froids mordants de ces jours et déjà, les premiers bourgeons apparaissent. finalement, la rose ne nous quitte jamais.

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