samedi 24 novembre 2018

La dresseuse d'infini

C'était il y a onze ans. Ta naissance était venue bousculer ma vie l'année précédente et je n'avais pas fini de me frotter les yeux pour y croire. Nous avions eu peur, cette année là ; à tel point que la vie avait fini par prendre le goût d'un cadeau inespéré. C'est fou, quand j'y pense ; combien d'une peur apprivoisée peut naître un sourire. Car c'était ainsi : chaque matin venait nous rappeler le goût délicat du réveil. Et chaque soir était une petite fête doublée d'une grande joie.




C'était il y a onze ans, un jour mi-rieur mi-grave, comme tu savais seule les faire. Un jour qui te ressemblait, qui nous rassemblait. Tu vivais ton printemps en automne. Tu avais écarté les ombrages d'un geste vif et profitais de l'horizon nouveau. Et moi je t'accompagnais. Nous nous tenions corolle contre calice et faisions verticille commun. Réunis sur une même fleur, toi et moi. Ta tendresse sucrée-salée et mes feuilles douces-amères.

Je n'avais pas encore vu les hortensias de Plouha, mais ils étaient déjà là quelque part en moi, en bourgeons - dans les rencontres que je m'apprêtais à faire, dans la fraîcheur solaire de cet automne 2007, dans les promesses que je n'allais pas tenir. Ces trahisons infligées à la vie me rendent encore parfois visite quand je suis seul et que l'acidité de mon sol remonte jusqu'à la sève de mes rêves abîmés. Mais quand tes yeux plongent dans la buée des miens pour me dire qu'avec toi je n'ai pas failli, que ça va, que je suis encore et toujours là, solide malgré mes erreurs ; alors les douleurs s'atténuent.

C'était il y a onze ans, presque ton âge. Tu marchais comme au ralenti, obstinément, économisant tes efforts ; et chacun de tes pas me semblait une victoire sur le sort que les médecins avaient prévu pour toi. Tu revenais d'un périple sur la tranche de la vie. Tu avais vu cet endroit étrange où nul ne sait de quel côté la pièce va retomber. Tu t'étais tenue face à cette porte qui nous est commune à tous et que nous aimerions ouvrir le plus tard possible. Tu avais eu ta main sur sa poignée, mais tu n'avais pas appuyé. Tu étais restée longtemps ainsi avant de trouver la force de rebrousser chemin, et tu avais marché face au vent qui te soufflait d'abandonner. Tu avais marché dans la douleur et le courage. Tu étais revenue en héroïne. La vie allait voir ce qu'elle allait voir ! 

Et c'est bien ce qui s'est passé.



Toi, mon enfant, ma petite fille, tu as préféré rester parmi nous et contre moi

C'était il y a onze ans. On s'apprêtait à cheminer à deux, ta main dans la mienne. On s'était arrêté pour regarder des roses dans un jardin à Paris et tu avais voulu les sentir, puis les toucher. Pour toi, elles étaient de velours. La vie t'apprenait avant l'heure que les épines souvent protègent la douceur en-dedans. Et j'apprenais avec toi.

Nous entrons à présent dans ton treizième hiver, mon enfant, et il y a bien longtemps que j'ai renoncé à mesurer combien cela me bouleverse. 

Car en vérité, en fermant ta porte au nez d'un infini, tu m'en as tout simplement offert un autre : celui de t'aimer.

20 commentaires:

  1. Un bel hymne à la vie, à la tendresse, à l'amour, à cette délicieuse enfant !

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    1. Merci Capucyne,
      Je réponds tardivement, mais n'oublie pas combien ton commentaire est arrivé à peine ma plume sèche, et combien cela m'a fait plaisir !
      Amitiés,
      G.

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  2. Coucou Geontran
    Toujours des écrits bouleversants et si empreint de tendresse, cette enfant à une chance incroyable d'avoir un papa qui dit son amour avec tant de beauté, comme j'eu aimé avoir cette chance là
    On ne se rend jamais compte à quel point cela influe sur nos vies, sur nos choix, sur ce qui nous construit en tant qu'être humain
    Je rejoins capucyne, c'est un hymne magnifique
    Belle et douce journée sous le brouillard d'une météo chagrine

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    1. Bonjour Chris,

      Je suis très heureux d'avoir pu transmettre un petit brin de la tendresse infinie que m'inspire ma fille. À tel point que j'ai eu besoin d'un peu de temps pour revenir à l'écriture !
      Amitiés,

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  3. B o u l v e r s a n t. L'écriture plus sûrement qu'une psychanalyse, ou douleur et douceur se confondent à l'infini, où l'on puise à la source du ressenti la force de renaître à la vie. Si sublimement décrit, ce tendre échange au-delà des mots. Qui m'a aussi donné l'envie de relire "Plouha". Doux week-end à toute la petite famille.

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    1. Merci Maryline,

      Ton commentaire m'a beaucoup touché. Parce que Plouha, ma fille et mon envie d'écrire ont toujours été liés, sans que je sache exactement dans quelle mesure... L'écriture fait sens en même temps qu'elle en donne.

      Belle soirée sous la pluie...
      Geontran.

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  4. Bonjour Geontran, c'est avec beaucoup d'émotion que je lis tes mots, des mots de tendresse, d'amour pour ta douce enfant de bientôt 12 ans. C'est magnifique.
    Bon week-end avec ta petite famille.

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    1. Bonjour Denise,

      Je les écris avec la même émotion je crois. Ils sont ma vérité, que je ne parviens pas toujours à faire émerger au quotidien, et qui couve et vit en moi. Mais à force d'écrire, j'accepte de mieux en mieux cette sensibilité qui hier m'effrayait et contre laquelle j'ai cru devoir me protéger.
      Geontran.

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  5. Je suis très touchée en te lisant ce matin, c'est ça la vie, l'amour la tendresse .. apprécié le moment présent sans oublié ... ces moments là .. A jamais gravé ... dans nos coeurs
    passe une agréable journée

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    1. Merci Nanie,
      Je suis touché de lire ta gentillesse et la sagesse de tes mots. Le cœur n'oublie jamais, je crois, à la différence de l'esprit.

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  6. J'ai retenu mon souffle jusqu'au dernier mot, bouleversée à la pensée de ta petite fille, vacillant sur le fil de sa jeune vie et choisissant de le suivre poussée par l'amour de ses parents. Il y a aussi des fils qui s'entremêlent, ce sont les tiens. Tu as l'envie de desserrer ce noeud, j'espère que l'écriture te libèrera de cet étau. Et puis, il y a ces deux sourires et ces regards bienveillants sur la dernière photo, c'est bien ainsi que je t'imaginais :-) Mes amitiés Geontran

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    1. Bonjour Nathalie,

      Tu n'imagines pas combien de fois j'ai retenu mon souffle à côté de ma grande fille. Combien je le retiens à présent pour le simple bonheur d'entendre le sien.

      C'est vrai qu'il y a plein de fils encore qui s'entremêlent en moi. Je défais doucement les nœuds, les uns après les autres, sans jamais me presser : il n'y a que de cette manière qu'on peut les démêler sans en faire de nouveaux...

      Ce blog et votre gentillesse, à toutes qui me lisez et m'écrivez, est une bonne manière d'éclairer mon ouvrage !

      Je te souhaite une très belle soirée, de pluie - et de soleil derrière les nuages.

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  7. Quel bel article pétri d'amour... Les mots me manquent tant cela m'a bouleversée. On sent que tu es son oxygène tout autant qu'elle est cette balise qui t'éclaire et t'aide à ne pas t'égarer ni trébucher. Vous vous nourrissez l'un l'autre et c'est tellement beau... J'embrasse très fort ta vaillante puce ! Belle et douce soirée chez vous !

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    1. Bonsoir et merci, Istariel,

      C’est exactement ça : on se donne et reçoit, à égal infini. Oh, j’ai trébuché souvent, mais je n’ai jamais été dans l’obscurité depuis sa naissance. Alors j’ai repris mon chemin, en lui donnant mes forces quand elle en a besoin. On ne s’en sort pas si mal, je crois. Et maintenant qu’on peut souffler, on en profite pour respirer.

      Bon week-end, doux sous la pluie.

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  8. J'ai pas compris tous les mots (pardonne mon manque de vocabulaire) mais j'ai bien senti l'émotion :-)
    La vie pose des épreuves sur notre chemin mais elles nous rendent plus forts. Ta fille est une super héroïne ;-)
    Belle journée G. et bon week-end !

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    1. Bonsoir Estelle,

      Ah, ça, c’est l’effet verticille ! Un si joli mot, qui décrit la disposition circulaire de feuilles autour d’une tige. Par exemple sur le Gallium odorantum (qui pousse très bien sous les arbres !)

      Plus généralement, on qualifie de verticille tout ce qui est disposé sur une plante autour d’un axe, comme certains pétales ou sépales (par exemple les géraniums.

      Belle et bonne soirée, Estelle. Il fait presque trop doux pour faire un feu !

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  9. Bonsoir, je n'ai pas non plus tout compris mais tes mots sont si émouvants. Je vous souhaite à tous les deux encore de bons moments à partager. Bon week end.

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    1. Merci Elisabeth. S’ils sont émouvants, je crois que c’est simplement à la mesure de mon émotion. Nous dévorons la vie, elle et moi, et chaque moment compte !

      Bonne soirée,

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  10. je me rappelle que tu avais rendu un bel hommage à ta fille déjà, ah, l'amour paternel, on en fait peu cas mais il est si présent et si important..
    tes mots ne sont que douceur..
    bonne journée !

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    1. La vie n'est que douceur sous l'épine, au fond. Car on ne devrait retenir d'elle que la caresse.

      Je t'embrasse.

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