jeudi 10 août 2017

Prêles-des-Champs et chant des prêles

deux paires de bottes et une pelle semblent attendre leur propriétaire
Grandes bottes pour grand bêcheur, petites bottes pour adorable petite bêcheuse...

L'attente


J'ai regardé mon jardin vivre quatre saisons durant. 

C'est long, quatre saisons, quand on a attendu quinze ans pour avoir un jardin. Ou plutôt, c'est ce que je pensais en entrant dans ce qui me paraissait une interminable antichambre des joies botaniques. Je le confesse : j'étais impatient d'en découdre avec ce jardin, mon jardin, conquis de haute lutte contre les mauvaises raisons qui m'avaient trop longtemps maintenu enfermé à l'intérieur du périphérique parisien. J'avais été comme un jardinier en cage. C'est pourquoi je trépignais dans mes bottes rutilantes. 

J'avais emménagé dans ma presque campagne à l'aube de l'automne, saison ô combien propice à l'enracinement des hommes et des plantes. Naïvement, je croyais rater ipso facto l'occasion de gagner une année. En réalité, j'étais en train d'en gagner plusieurs mais je ne le réalisais pas encore. J'attendais fébrilement que la terre bouclât son tour réglementaire de soleil pour m'élancer en courant dans mon nouveau terrain de jeu. Il m'arrivait de me réveiller la nuit avec une envie soudaine de bêcher pour faire jaillir quelques massifs multicolores du sol abandonné. Je me réveillais en sueur et lisais une douzaine de numéros de l'ami du jardin pour me remettre de mes émotions. 

Oui, j'avais des fourmis dans les mains et l'appel des fleurs résonnait chaque nuit dans mes rêves. Bon sang ! J'aurais vendu mon âme pour planter une simple marguerite.

Sonate en quatre saisons et cinq sens


Pourtant, j'ai su résister aux charmes vénéneux de mon impatience. Comment ? Et bien, en la promenant par la main. Ensuite, j'ai gentiment égaré cette impatience dans le courant de la rivière qui serpente sur le fil de mon jardin. Cette rivière dont je suis tombé amoureux, qui parfois menace de déborder et qui plus rarement met sa menace à exécution, grondant alors de fureur à l'unisson avec le ciel... et nourrissant ma terre de ses précieux passagers clandestins : les fertiles sédiments. 

une rivière s'apprête à déborder pour mieux nourrir la terre
La colère des cieux fait d'une rivière un fleuve...
Au bord de ma rivière, en écoutant la pluie battante sur l'eau claire, en regardant les feuilles naviguer comme des bateaux, en me saoulant du reflet du soleil à la surface, je les ai regardé passer, ces quatre saisons, l'une chassant l'autre, doucement, d'une averse conquérante, d'un flocon timide ou encore d'un rayon de lumière délicat sur un crocus endormi. 

Mieux, je les ai contemplées. 

Les mains dans les poches de mon tablier et le sourire aux lèvres. Je n'avais plus à aller au devant de mes rêves ; à présent, ils s'offraient à moi ; je les cueillais au hasard d'une promenade de rien du tout, d'une flânerie matinale, à la faveur d'un petit tour de mon petit monde. 

Au début, je faisais semblant d'avoir appris les vertus du temps qui s'étire, je me forçais un peu ; et puis, découverte après découverte, soleil après pluie et pluie après soleil, la joie la plus simple est venue remplacer les bonheurs complexes que je m'étais sottement promis. Sans y avoir été invitée, simplement parce que j'avais laissé la porte grande ouverte. La quiétude de cette nature, qui ne m'avait pas attendu pour s'épanouir, a su courber l'arc de mon sourire. 

Millimètre par millimètre, jusqu'à plisser le coin des yeux. 

Le chant des prêles


Devais-je à mon tour attendre ? 

Non, simplement regarder, sentir, écouter le vent ôter les feuilles de son chemin et dévoiler ça et là quelques merveilles.

Contempler. 

Contempler à pleins yeux, à nez curieux, à peau touchante. Écouter les bruissements des bambous chatouiller mon oreille. Le chœur de l'eau rencontrant continuellement les mêmes pierres, sans jamais se lasser. Goûter chaque instant. C'était la seule façon de savoir ce qui se cachait sous les feuilles. 
une capucine adorable et timide se cache derrière le foulard de sa feuille
Qui va là ? Je te vois, gracieuse capucine.

C'est ainsi que j'ai rencontré une charmante famille d'iris au détour d'un parterre de chardons, surpris des pivoines qui s'abritait pudiquement derrière un laurier palme pour enfiler leur vêtement de printemps, admiré une capucine jouant à cache-cache derrière ses feuilles ; c'est ainsi que j'ai vu, de mes yeux vu, s'abattre sur le flanc de mon jardin une vague de fraises des bois ; c'est ainsi que je me suis baigné dans cette mer de merveilles, sur le dos, découvrant la cime d'un frêne colonnaire dissimulé entre un épicéa malpoli et quelques aubépines mordeuses de chevilles, trop timide pour que je le visse d'un autre point de vue.
Vous l'entendez ? Oui, le chant des prêles...!

Oh, bien sûr, pour observer tout ça, il m'aura fallu supporter de laisser pousser quelques adventices, beaucoup de prêles et autant d'orties. Quelle importance ? Non, quelle aubaine ! 

Reminéralisantes, anti-inflammatoires, diurétiques, prêles et orties sont des trésors que nous offre la nature (et je ne cite là qu'une de leurs nombreuses indications, communes ou particulières, qui pourraient faire l'objet d'articles spécifiques).
Les prêles ont une voix de sirène pour qui sait les écouter. J'en avais assez pour transformer le plomb en or - vert - : bientôt, je mijotai fièrement assez de purin pour satisfaire mes plants de tomate, dont l'adolescence aiguisait l'appétit. Par un de ce ricochet dont la nature a le secret, la prêle est ainsi devenue tomate et je me suis vu magicien. 

L'alchimiste, témoin du monde qui s'étire


Il y a dans le cœur de chaque jardinier(e) un(e) alchimiste qui feint de s'ignorer. Qui sait voir la poudre d'or dans le ciel, par-delà la cime des arbres, qu'il pleuve, vente ou que le soleil étincelle. Et aussi - mais là je ne parle que pour moi - un contemplatif contrarié que seule la nature saura révéler. 

de la poudre d'or comme un feu d'artifice dans le noir du ciel
Pour une poudre d'or, c'est une poudre d'or !

Je m'efforcerai de ne pas oublier le chant des prêles quand la tentation de me montrer trop directif envers mon jardin me tapera sur l'épaule. 

Je m'en fais ce soir, devant témoins, la promesse solennelle : je consulterai toujours la nature avant de l'infléchir - ou simplement de la réfléchir.

4 commentaires:

  1. le jardinier se doit d'être patient, tu l'as déjà compris..joli billet! et la promenade du matin entre les massifs encore sertis de rosée vaut tous les trésors du monde...
    bon vendredi!

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    1. Ah ça... Pour paraphraser - très librement - le poète Hafez, je ne troquerais ma promenade aux quatre coins de mon jardin, le matin seul avec l'aube, contre aucune joie, présente ou à venir. En ce moment, la rosée perlant sur la remontée charmante de mes maigres rosiers suffit à mon bonheur.

      C'est toujours un plaisir de te lire.
      Douce soirée,
      Geontran.

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  2. Belle prose Geontran ! et quel papa attentionné ! Bonne journée

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    1. Merci ! Ah, mes enfants méritent toute l'attention du monde, et même un peu plus. Je ne pourrais pas me contenter de les voir grandir de loin : ils sont l'élément premier du sens de ma vie, mon évidence.

      Bonne journée en retour, à bientôt !
      Geontran.

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