dimanche 6 août 2017

Le papillon romanesco

Il était une fois un buddleia qui avait dû être majestueux un jour et qui l’était encore pour qui savait voir. L'homme le trouvait terni par les ans et promettait chaque année de le remplacer par un lilas. Les papillons, eux, se contentaient de l'adorer. Toute la belle saison, ils dessinaient autour de lui un halo bigarré. Alors, l'homme le trouvait beau et remettait à l'année prochaine l'heure - et l'heur - de le déraciner. Il faut dire que les papillons, en plus des yeux de velours qui sertissent leurs ailes - appelées ocelles -, possèdent un œil multiple et un odorat affuté comme une lame de Tolède, l'un et l'autre sensibles aux cadeaux de la nature. Particulièrement au charme des buddleias, qui sont de vrais pièges à papillons. 

Celui dont je vous parle n’échappait pas à la règle. Il les collectionnait sans partage, en bon séducteur. Il les avait tous. Tous les papillons du jardin... sauf un. Un petit papillon blanc étrangement entêté. Une âme de déserteur surmontée de deux ailes diaphanes piquées de petites ocelles noires.


papillon chou romanesco liberté
Libre, libre de tant de grâce, et où bon lui semble
Ce matin, en allant arroser mon potager avec ma fille, je l'ai vu qui se détachait dans le gris ensoleillé de l'aube. Impossible de le rater. Il volait à contre-vent autour de mon tout petit carré potager. Pendant que ses pairs s'enivraient des nectars buddleiesques, lui s’entêtait à tourner autour d'un très jeune chou Romanesco comme s'il avait voulu l'enturbanner d'un fil invisible ; il tournait, tournait encore, jusqu'à connaître par cœur chaque détail de la tige, chaque dessin du feuillage. Sur la plante objet de toute son attention, point de méristème ; non, simplement une tige un peu maigre et quatre feuilles : pas de quoi concurrencer un buddleia au sommet de son art. Pourtant le petit papillon blanc restait irrémédiablement fidèle à son chou. Je l'ai regardé presque une heure durant. Il y avait dans ce spectacle quelque chose de superbe et pathétique dont je ne pouvais me détacher. Le papillon est passé sous une feuille et s'y est arrêté un instant pour mieux reprendre son ballet. Je ne savais pas quoi penser de ce boléro absurde. Ma fille sourit et me pris la main : "c'est si gentil de décorer notre chou qui n'est pas encore arrivé".

Et soudain j'ai compris. Ce papillon danserait à cet endroit jusqu'à sa mort. S'y éteindrait de fatigue. Alors, la nature érigerait le plus beau des mausolées : du centre de la plante naîtrait une phyllotaxie de fleurettes assemblées en spirale. Un dessin unique pour un papillon atypique. Tout près, un buddleia veillerait sur sa mémoire, saison après saison, année après année. 

La morale de cette fable que m'a offerte mon jardin est la suivante : dans la nature, la permanence et l’éphémère, la fleur des champs et celle que l'on plante, le végétal et l'animal, ont une chose en commun, qu'il connaissent sans avoir besoin de la contempler, parfois même avant qu'elle ne naissent : la beauté, beauté classique ou beauté sauvage, attendue ou surprenante. 

La graine recèle la même beauté que la fleur épanouie. 

Nous, qui nous sommes émancipés de notre état de nature, nous qui nous croyons au dessus de la beauté, en réalité, nous ne faisons que courir après son mouvement.  

Mais nous avons le devoir de le faire au mieux.

(Et oui, j'ai beau aimer les choux, je ne parviens pas à détester leur pire ennemi : le redoutable Piéride du chou, qui est aussi et surtout une merveille de papillon, à la beauté sobrement somptueuse).

6 commentaires:

  1. les piérides du chou sont légion aussi ici depuis quelques années, c'est très bizarre!

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    1. Oui, leur beauté d'une simplicité parfaite me fascine. Les choux sont décidément de vrais charmeurs !

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  2. Le jardinage m'a en effet réappris cela, un peu oublié, un peu enfoui: savourer la beauté de la nature, pas forcément un grand paysage impressionnant, plutôt une petite fraise qui rougit ou un bouton qui éclot. ça réapprend la patience, l'humilité, l'observation, le mode pause.
    Aude.

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    1. C'est amusant, je suis resté assis en tailleur pendant un quart d'heure devant une fraise des bois ce soir. Quand je ferme les yeux, je la vois encore ! Dans notre monde tout de vitesse et d'empressement, la nature a ce pouvoir étrange de remettre les émotions à leur juste place. Je n'ai jamais autant appris, ni autant pris mon temps, qu'en cette première année passée dans mon jardin.

      Merci de ta visite, Aude. Ici, tout est en mode pause. Reste et reviens autant que tu veux. À bientôt chez toi (les hydrangeas m'attirent comme le chou sa piéride) !

      Belle soirée d'été tourmenté,
      Geontran.

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  3. Magnifique récit, je sus bien d'accord avec toi. Le jardin nous apprend tant. La patience, les cycles de la vie mais surtout j'ai l'impression qu'on renoue (enfin?)avec soi-même.
    A plus, je continue la lecure.

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    1. Merci !

      Renouer avec soi-même, oui, enfin. Il n'est jamais trop tard... ni trop tôt pour le faire ! C'est vrai que ma vie a pris un tournant différent depuis que je retrouve en moi l'enfant qui s’émerveillait devant une pensée sauvage ou un minuscule pied de pois de senteur. Quand j'étais à Paris, j'avais le jardin des plantes, je pensais que ça suffisait ; mais je me rends compte aujourd'hui que j'ai besoin de mettre les mains dans ma terre et d'en sentir l'odeur, presque de la goûter.

      Merci encore de ta visite, et bon week-end.
      Geontran.

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