lundi 30 novembre 2020

La valse et le tango

Plus que les saisons qui se succèdent j'aime quand, s'entrecroisant, les calendriers sursoient aux solstices. Aux retours à la ligne qui séparent les paragraphes du jardin ; printemps, été, automne, hiver ; je préfère les points de suspension, qui entremêlent les phrases et mélangent les pigments.

Entre l'hiver qui s'avance et l'automne qui s'efface, rougissant à feuilles de velours, pourquoi faudrait-il choisir ? Je m'y refuse ! Le prix de la liberté augmente jour après jour, alors usons jusqu'à la corde chacun de ses appendices. Et puis, rien n'est plus beau ni émouvant qu'un pas de danse commun, long de plusieurs semaines, valsé entre deux saisons que l'homme voudrait ranger dans des tiroirs cloisonnés, isolées, datées, étiquetées - mais qu'il finira par abroger s'il persiste à anéantir la nature. 

L'homme a demandé aux saisons de lui obéir avant d'entreprendre de les massacrer. La vérité, c'est que les saisons se connaissent, flirtent et parfois s'embrassent. On peut aimer tout seul ; mais il faut être deux pour se chérir. Ainsi vont automne et hiver. 

Une seule fleur vaut un discours : feuilles d'hiver et fleurs d'automne

Un peu de givre le matin, et nous voilà prudents, progressant poco largo, esquissant sur la pelouse glacée un tango prudent : lent, pause, vite, vite - mais mesuré, allegro ma non tropo ! -, lent ; avant qu'irisés du doux soleil de midi, nous voici tournoyant, presto, accelerando, à en faire flamboyer les arbres ! 

Le jardinier craint l'hiver, qui lui volera peut-être quelques plantes gélives ; en même temps qu'il l'attend, secrètement, car il lui offrira un peu de repos.

Alors, à l'heure où l'hiver applaudit silencieusement l'automne, je me sens le droit de ne pas choisir ma saison, avec mes chaussures qui jouent les chasses-feuilles et mon nez qui rosit dans l'aube réfrigérante. J'aime ça. J'aime l’entre-deux. J'aime les entrechats ; sautiller, joyeux, sous les charmilles échues et les caducs déchus ; pour ensuite goûter - d'une seule cuillerée - les entremets de l'hiver.

Je me croyais jardinier, en réalité je suis paysan : je cultive de la joie. Je la cultive à petite dose, entre les allées de mon modeste jardin de village. Je fais ainsi partie de la nature qui s'ébroue. Je serpente avec ma brouette, plantant ici une ancolie jolie et là une lavande élégante : de loin je dois ressembler à un animal étrange - mais très occupé ! 

Au fond, j'aime penser que je suis une feuille qui tombe ; verte, ocre, rouge ; jusqu'à se recroqueviller, brune et sèche. Allongé, attendant la pluie pour m'en retourner nourrir ma terre. Je n'ai pas peur de lui revenir un jour - à elle qui me donne tant !

L'hiver est le joaillier des fleurs d'automne

Pour l'heure, malgré le soleil qui retarde la bascule des saisons, malgré les couleurs éclatantes qui paradent dans les bois, malgré la nature qui rame à contre-courant, l'hiver nous offre ses premiers présents. À nous de les cueillir sans craindre la morsure du froid : il sait se faire délicat. On l'oublie parfois, mais ses premiers signes sont aussi ses premiers soins : sans lui, pas de printemps ni d'été ! La nature a besoin de l'hiver, comme la musique a besoin du silence.

Ce matin l'herbe craqua sous mes semelles. Je me pensais ouate et plume ; je me découvris plomb teinté d'étain. Sous l'effet de mon propre fracas, je m'arrêtai, contemplatif ébloui. Le gel avant d'abîmer embellit. Le jardin était beau comme une fumée sans feu.

J'ai retenu mon pas et j'ai marché sur la pointe des pieds. J'ai réalisé :

Notre devoir est de jouer délicatement du givre, comme d'un instrument, car le jardin nous écoute.


Entre l'automne et l'hiver, je choisis l'été ! (Penstemon égaré...)

Micro couleur framboise : le jardin nous écoute...

Quand il fait froid, Stella la campanule ferme son manteau violet

Les fuchsias, bien qu'un peu frileux, ignorent les premiers gels !

À l'aube d'hiberner en famille : Hydrangea involucrata et Cardiandra formosana

Aussi beau fané qu'au feu de sa fleur

Quand le jardin s'endort, les véroniques se réveillent...

Le givre aurait-il été inventé pour magnifier les graminées ?

Encore un fuchsia jouant de ses couleurs pour braver l'avenir 

Une feuille d'Acanthe, c'est déjà beau ; ainsi habillée, c'est la larme du jardinier
Une feuille s'est endormie sur le lit des ses sœurs éveillées

À l'arrière-plan, dort une acanthe dorée...

La plante qui attendait le gel en grelottant de chaud : Muhlenbergia capillaris, belle d'hiver

Quand les scabieuses s'éteignent...

... les hellébores s'animent



18 commentaires:

  1. Coucou Geontran
    comme il est joli ton article rafraichi de cet automne qui finit et de cet hiver qui arrive, s'invite, repart et revient telle une vague s'abandonnant sur le sable
    Ici les gelées ont été belles, elles ont saupoudré de sucre glacé les plantes et les arbres du jardin créant de jolis bijoux avec les toiles des araignées parties se cacher comme pour se protéger du froid soudain
    Souhaitons que l'hiver soit bien là et qu'il dure un peu, avec les saisons changeantes et la météo qui ne sait plus où donner de la tête il faut s'interroger sur le sens de tout cela... notre producteur de volaille nous l'a encore dit, il va faire froid cet hiver, les taupes ont fouillé..
    Croix de bois, croix de fer s'il ment je lui offrirais un présent, son épouse adore les plantes et son jardin en est rempli
    Passe une très belle semaine, au jardin et sous le givre soudain, il y a de belles choses à découvrir
    des bises glacées

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    1. Bonjour Christine,

      Merci ! Oui, il faut admirer la beauté quand elle est là devant nous qui s'étale. Même si l'hiver me fait toujours un peu peur. Quelques sauges, quelques fuchsias, qui ont entendu fouiller les taupes et auront besoin d'un petit manteau de paillis délicat...

      Bises givrées !

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  2. Ici aussi le froid glacial s'est installé. J'ai pris une série de photos au jardin et toutes m'enchantent. Je leur trouve tant de poésie à ces végétaux glacés.
    Les saisons s'entremêlent et parfois même celles qui ne se suivent pas... On ne sait plus trop ce que cela veut dire tout ça mais je sais une chose, je les aime toutes à leur façon (bon pas trop longtemps l'hiver hein !? ;-)
    Bises G.

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    1. Coucou Estelle,

      Oui, c'est magnifique. On dirait que la vie a été surprise dans un mouvement que nous ne voyions pas, figée dans sa beauté profonde. Je ne m'en lasserai jamais. Je vais développer quelques photos et m'en faire un petit tableau.
      On est d'accord pour l'hiver : point trop n'en faut. Un nuage de de lait frais dans un thé délicieux de tiédeur, ça m'irait très bien...

      Belle journée Estelle ! Un peu de pluie, pas trop de froid, et mes rosiers seront plantés.

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  3. Bonjour Geontran,
    Qu'il est beau ton jardin déjà givré. Chaque petite plante a son étole blanche et c'est de toute beauté. Le givre fait de magnifiques décorations alors comment ne pas être heureux et chanter pour ce bel automne qui nous étonne chaque année en attendant que l'hiver dépose de jolis flocons. La décoration sera parfaite.

    Bon début de décembre avec mes amitiés

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    1. Merci Denise,

      Ici, chaque petite plante est aimée comme sa voisine - pas plus, pas moins (bon, d'accord, certaines se donnent des airs de reine).

      L'hiver s'annonce et s'avance ;
      Quelques petits flocons nous enchanterons !

      Bonne journée Denise.

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  4. Me voilà émerveillé.
    D’abord par votre texte, si délicat et attentif à tout.
    Ensuite par la variété de plantes et fleurs par ces temps plutôt frisquets, si ce n'est vraiment froids !
    Un vrai plaisir à vous lire, à admirer, muchísimas gracias.

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    1. Vos quelques lignes déposées ici me laissent sans voix ni mot.
      Mais débordant de joie et de sourires.
      Merci, merci mille fois.

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  5. J'ai l'impression que ce pas de danse entre les saisons devient de plus en plus fréquent au fil des ans...Une saison quitte à regret semble t-il...Un très beau texte , comme toujours...

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    1. Merci Capucyne,

      C'est vrai, cette valse devient un rendez-vous.
      (J'ai un faible pour l'automne, mais si je serais incapable de choisir une saison préférée...)

      Douce journée, Capucyne - d'automne assurément.

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  6. Bonjour Geontran, je viens te dire que j'ai écouté la merveilleuse musique "un dia de noviembre de Leo Brouwer". C'est magnifique, si doux. Je ne connaissais pas. Merci.
    Belle journée

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    1. Je suis très heureux d'avoir pu contribuer à cette découverte. Ce morceau est une merveille ! Ma fille cadette me joue souvent Brouwer le soir et je pleure ainsi doucement avant d'aller me coucher : c'est délicieux.

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  7. Merci pour cette belle balade dans ton joli jardin givré.
    Douce soirée.

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    1. Merci de t'y être baladée !

      Les balades qui s'écrivent, se racontent et s'écoutent, ont ce petit sel en plus qui fait briller le givre.
      Et l’œil de l'auteur avec lui.

      Bonne soirée !

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  8. Bonsoir Geontran: votre texte est pure poésie. Il me ferait presque adorer l'hiver en dentelle de givre sur les vitres de ma chambre les matins de janvier. Mais finalement je préfère les douces arrières saisons de l'automne et les premiers rayons d'un soleil printanier. Bonne soirée Geontran

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    1. Merci Canardjaune. L'hiver est pure poésie, alors j'essaie de lui en emprunter un peu.

      Mais au fond, le jardinier que je suis préfère également l'automne et le printemps.

      Bonne journée !

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  9. Un superbe texte sur les saisons. J'aime beaucoup les surprises que nous réservent les saisons comme la floraison d'Alice Hindley ...sacrée Alice! Tout se mélange et on entend souvent dire sur un air mécontent qu'il n'y a plus de saison. Mais finalement cette incertitude devant ces saisons entremêlés nous oblige à rester humble devant la nature. Bon dimanche à toi et à ta famille Geontran

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    1. Merci Judith !

      C'est vrai, que serait un jardin sans surprise, où les saisons seraient les saisons, à la date attendue, dans l'intensité souhaitée, pas plus, pas moins ? Certes tout serait joli et propre... et sans surprise.

      Il y aurait assurément là une joie en moins.

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