mercredi 28 octobre 2020

La fleur au fond du jardin

Il y a, au fond de mon jardin, une fleur qui du regard des hommes ne connait guère la caresse - ni l'affront. 

Au fond de mon jardin, une fleur qui a grandi loin des yeux, mais au cœur affleurant. 

Une fleur qui a échappé au zèle désherbeur du jardinier.

Dont la mère fut une abeille et le père le vent.

Il y a, au fond de mon jardin, une fleur sauvage, bonne graine et mauvaise herbe, qui s'épanouit sur un tas de terre abandonné.

Comme une pâquerette à la conquête du ciel

Plus tard, il y aura là un cabanon en bois, dans lequel l'auteur de ces lignes déménagera son bureau. En attendant, les quelques mètres carrés du futur chantier sont laissés sous main de nature. 

Notre invitée a fait de ce lopin un refuge, où grandir de toutes ses forces. 

C'est ainsi qu'elle m'a appris que je pouvais aimer les vergerettes. 

Je vous dois confession : dans mon monde ordonnancé de jardinier, les vergerettes étaient détestée de facto, qu'elles fussent du Canada ou de Sumatra. Avec leur floraison insigne, doublée d'une propension à se reproduire plus vite que je ne saurais jamais biner, les pauvrettes étaient rangées dans une catégorie soigneusement étiquetée : "à virer vite de nos vertes allées". 

Cette allitération aux accents guerriers connait à présent une exception : la Vergerette annuelle, fleur du fond de mon jardin devenue fleur du fond de mon cœur.

À sa décharge, il faut reconnaître qu'elle n'est pas à botaniquement parler une Vergerette : Erigeron anuus est - comme son nom savant l'indique - un Erigeron, genre dont elle arbore la simplicité et la subtile floraison. Mieux : la finesse de ses ligules fait penser à certains asters - et parmi les plus beaux s'il vous plaît ! 

Quelque chose d'un Aster

Sous la lumière matinale, ses fleurs blanches s'enrichissent du reflet d'un lilas délicat aux accents malvacés. À cet instant, sa beauté se fait scintillement. 

Il y a alors, au fond de mon jardin, toutes les étoiles du ciel en porte-manteau de fleurs.

De la mauve le reflet


...


Comme certains tiroirs, mon jardin est à double fond. Et donc à double fleur. 

La fleur au fond du jardin, c'est aussi ce Geranium qui trouve le courage de fleurir à l'aplomb d'un Épicéa. On l'appelle Geranium noueux ; pourtant il sait dénouer l'inextricable questionnement du jardiner : que planter à l'ombre sèche, là où rien ne pousse ? 

Au pied de mon arbre, je vivais heureux

Geranium nodosum s’accommode de l'inconfortable. Mieux, il s'y plaît. Il est la vie invincible, la fertilité infatigable. Sa puissance est étonnamment cousue de grâce : une fleur divinement dessinée, finement veinée, délicieusement colorée ; et des feuilles d'Astrance charmante, belles à orner un drapeau.

Et l'étincelle fut

J'aime tous les géraniums, sans exception. Mais l'insolente santé du sieur nodosum, la délicatesse qui couve sous la vitalité de ses veines sybarites, font de lui une espèce à part.

Il y a, au fond de mon jardin, une fanfreluche de modestie qui court sur le sol, illumine mon regard d'un éclat sauvage et paisible.


Quelques veines battantes de vie







14 commentaires:

  1. coucou Geontran
    Une vergerette contée avec tant d'élégance qu'il lui fallait un compagnon, un ami Géranium qui est d'humeur à s'étendre comme bon lui semble, d'un jardin ils font toute une histoire et que leur demander de plus si ce n'est de ravir les jardiniers (père et fils) et tant qu'il n'y a pas de cabane, la nature peut bien continuer à enchanter ces lieux oubliés, comme dit la citation : "loin des yeux, près du coeur"... comment ça c'est pas la bonne, bah, si, aujourd'hui je l'ai décidé
    Belle et douce soirée d'automne, c'est encore chez soit que l'on est le mieux
    des bises

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    1. Jardiniers, père et fils. Cette formule me plaît beaucoup ! Merci !

      Loin des yeux, près du cœur, me convient aussi.

      Les soirées d'automne sont un peu folles en ce moment. Mais l'air est doux et les bulbes seront plantés plus vite que prévus. J'ai le temps, à présent... Nous avons le temps.

      Bises, Christine, et bon week-end.

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  2. Quel beau texte, entre poésie et réalité nature.
    Ces fleurs qui passent souvent inaperçues, qui sont tenaces et parfois même envahissantes...elles qui pourtant ne nous demandent aucun effort, qui s'offrent à nous chaque année.
    Merci pour ce joli récit et ces belles photos!
    Bonne journée.

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    1. Bonjour Colo,

      Merci. J'aime ces envahisseuses ! Elles doivent le sentir, car elles se laissent désherber quand leur appétit se fait trop pressant.

      Je suis heureux de vous lire ici. Votre blog est un jardin magnifique, où poussent poèmes et délicatesse. Je m'y promène souvent depuis que je l'ai découvert.

      Je vous souhaite une belle journée. Les feuilles tombent, ici et ailleurs - comment s'en lasser ?

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  3. Bonjour Geontran,
    Parfois une petite fleur insignifiante que l'on remarque à peine et un beau jour, elle nous fait un clin d'oeil et la magie opère, on la regarde de plus près et qu'elle est belle avec ses délicieux reflets et le géranium, lui, prend ses aises au pied de l'arbre pour la plus grand joie des heureux jardiniers qui nous offrent une douce poésie.
    Mes amitiés et bel après-midi.

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    1. Denise, oui, c'est exactement ça : c'est la rencontre qui fait la fleur et le jardinier. L'instant parmi tant d'autres.

      Mes amitiés en retour, une belle journée.

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  4. Au fond de mon jardin j'ai aussi découvert un petit pied de coronille, un pied de lilas d'Espagne et un gros pied de volubilis. Comme je mets toujours des déchets de végétaux dans ce coin, je comprends que ça pousse par surprise. Ton géranium noueux, j'en ai aussi dans le fond du jardin mais je ne savais pas que cela s'appelait ainsi. S'il n'y avait rien au fond des jardins, ce ne serait pas possible, il y aurait de l'herbe. Un jardin c'est toujours en mouvement d'une année à l'autre. Bonne soirée.

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    1. Bonjour Elisabeth,

      Un jardin est beau de son mouvement, exactement.
      J'aime la coronille. C'est un petit soleil de plate-bande.

      Bonne journée !

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  5. Elles sont si jolies, les fleurs sauvages ! Elles ont droit de cité, je pense, comme ces "mauvaises" herbes. Après tout, elles étaient là, j'en suis sûre, avant nous tous !
    Bon week end.

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    1. Ah oui, elles nous ont précédés - et de beaucoup ! Puis nous sommes arrivés, et nous nous sommes (auto)proclamés arbitres des élégances naturelles... Heureusement, elles sont bien plus costaudes que nous, et nous survivrons de longtemps !

      En attendant, quel plaisir que de, nageant à contre-courant, les admirer !

      Merci pour votre passage. Je vous lis, chez vous et chez moi, avec un immense plaisir.

      Bon week-end !

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  6. Alors ça c'est marrant, je ne pensais pas que tu ne puisses aimer la vergerette fut un temps. Voilà une fleurette qui couvre nos parterres avec son côté sauvage, plein de liberté et qui fleuri si longtemps. Mais chose est réparée maintenant ;-)
    J'aime aussi les géraniums et pourtant... je n'en ai aucun dans mon nouveau jardin. Je craignais la terre sableuse, le soleil si violent. Il me faudra y remédier. Peut être cet automne, sur le sol de ma nouvelle roseraie que je vais devoir créer à mi ombre ? A voir...
    Belle journée

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    1. Ah, tu as certainement raison : fut un temps, la vergerette m'aurait laissé de marbre - dans le meilleur des cas. Mais aujourd'hui je m'émerveille d'un rien ! Les fleurs sophistiquées n'ont plus ma préférence. Ce sont les fleurs sauvages qui m'émeuvent le plus.

      Les géraniums sont les plantes préférées de mon fils. Il a bien raison ! Il y a un géranium pour chaque situation !

      En terre sableuses, même au soleil, tu peux planter tous les sanguineum (il y en a de très délicats), les cinereum, les endressii, les renardii (au feuillage magnifique) et de nombreux hybrides ('nimbus', 'terre franche', 'brookside', etc.).

      Tu as raison : je ne connais pas meilleur compagnon pour les rosiers. Ils habillent leur pied souvent dégarni et font chanter leurs fleurs.

      Belle journée, Estelle !

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    2. Merci de tes conseils... je vais pouvoir me pencher plus avant sur la question :-)

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  7. Je comprends bien ! Mon jardin, en toute saison est plein de ces sauvageonnes que je regarde fleurir comme si c'étaient des perles ,rares ! Quand on y regarde de près, elles sont belles ces sauvages, comme sont beaux les insectes (puisque tu me parles de la mante qui est venue me rendre visite). Les insectes de près, sont des mondes étranges, des chevaliers en cuirasses, des elfes facétieux, que sais-je !

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