mercredi 27 janvier 2021

L'esprit du jardin

Tu es l'enfant conjoint de mon histoire et de l'oubli. Tu as pour marraine mon imagination, qui veille sur tes cheveux dorés - dont l'ambre jouant avec le soleil évoque l'hiver des graminées. Tu fus foudre, feu, flammes, frappant hier un chêne qui se croyait invincible, et dont tu fendis les branches charpentières. Tu es à présent l'eau qui alimente, l'humus qui amende.

Tu es l'alme du jardin. 

Tu as su d'abord te faire minuscule. Tu t'es glissé dans mes cartons sans déranger aucune de mes affaires. Je t'ai emporté partout sans le savoir. Tu as resurgi avant que n'éclose le printemps, au joli mois de février, soudain éclat sur une nappe de nuages gris, étourdissant mon hivernation parisienne. Tu as ranimé mes rêves d'une petite maison épinglée sur un jardin de couleurs. 

Un déménagement plus tard, tu t'es posé à mes côtés sur la terre fraîche, comme le font les oiseaux qu'enhardit le travail du sol. Je t'ai reconnu tout de suite, mais je n'ai pas tourné la tête. J'ai continué de bêcher et tu ne t'es pas envolé.

Tu es là chaque fois que je sors goûter la beauté alentours. Niches-tu dans le recoin d'un arbre recouvert par le lierre ? Tu t'es installé dans mon jardin sans l'envahir. Je n'ai plus regret de toi ; je suis heureux de te trouver chaque fois que je pense à la beauté-valise des vies invécues.

Quand mes enfants font la ronde sur la pelouse, je te perçois, invisible au milieu du cercle, qui danse avec eux. Je suis heureux de t'avoir à mes côtés après avoir été triste de perdre l'idée de toi. Tu es songe enterré mué en terreau précieux. J’aime aujourd’hui tellement, et tout ce qui m’entoure ; mais j’aime aussi être riche d’un peu d’hier détricoté.

Alors, j’écris ton nom du bout de mon sécateur, sur la terre nue, au pied des roses, avant d'y passer la griffe : C-ô-m-e, esprit espiègle du jardin.

Je ne te pleure pas ; tu es un rire dans le vent d'ouest.

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(Je vais vous faire un aveu. Cet article sibyllin, auquel je tiens comme à la prunelle de mon jardin, devait servir de point final à ce blog. Mais non : agapanthes & camphrier va repartir, comme une vivace joyeuse, pour une nouveau cycle de saisons. Nous vivons une époque aux prétentions moroses, et je crois profondément à la vertu balsamique de l'écriture. Par ailleurs, j'ai trop de sourires dans mes plates-bandes pour ne pas les partager !)

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(Enfin, rendons à Aguado ce qui appartient à Aguado : la jolie pièce qui attisa la passion de ma joueuse de guitare est la très belle étude en A mineur de Dionisio Aguado.)








jeudi 21 janvier 2021

And the winner is...

Alors que janvier soufflait le chaud et le froid, le jardin barytonna sa ritournelle d'une voix enjouée : qui percerait le premier ? En d'autres termes, qui parmi les bulbes de printemps offrirait au flâneur le ravissement de la première floraison ?

Sur la ligne de départ se pressaient les sempiternels concurrents : perce-neige, iris réticulaire, narcisse, muscari, crocus, iphéion... 

Iphéion ? 

Hélas non. Pardonne-moi, l'iphéion : tu seras disqualifié, comme de coutume. Tu es tombé dans la potion magique quand tu étais petit. 

Allons ! tu t'affranchis des saisons ! Tu n'es pas le premier bulbe du printemps, mais le dernier de l'hiver, qui fait grasse matinée jusqu'aux abords de l'été. Ton frais feuillage se réveille à l'automne. Tu es un couche-tard qui se donne l'allure d'un lève-tôt. Un redoux, et l'étoile de ta fleur jaillit des premiers frimas. 

Cette année, tu es venu nous visiter le soir de Noël ! Nous te remercions pour cela, mais comprends qu'une telle faculté invalide ta participation à la course des premières apertures. Retourne à ta plate-bande, illumine-la, illumine-nous ; mais laisse les bulbes printaniers danser autour de toi sans chercher à leur voler la vedette.

L'iphéion ayant été remercié, la question demeurait : qui offrirait à nos cornées impatientes le présent de la première efflorescence ?

Les premiers à s'élever hors du sol furent les narcisses. Une poignée de jours plus tard, leurs tiges s'ornaient de boutons floraux. La fin de partie semblait sur le point d'être sifflée. Les narcisses étaient partis à point ; ils avaient donc la fable pour eux. 

Partir à point...

C'était sans compter la neige. Qui réveilla Perce-Neige, le bien nommé, dont la réputation de pionnier n'était plus à faire, et à laquelle il se conforma, surgissant d'une blanche clochette au-dessus d'un manteau de poudreuse. 

La réponse était donc là, dès le début, dans les termes de la question... qui percerait le premier ?

Sourire perçant

À l'heure où je vous écris, le narcisse n'ose toujours pas poindre le bout d'un pétale dans l'air venteux de janvier. Il doit maudire La Fontaine, constatant avec nous que parfois, rien ne sert de partir à point, il faut mieux courir - du sol jusqu'aux yeux.












vendredi 15 janvier 2021

Le sourire, cet inconnu

Beaux et douloureux sont les sourires sous les masques. 

La nue vérité, c'est que nous pleurons les sourires d'hier. Leur disparition nous laisse orphelins d'un surplus de joie ; celui qui précisément faisait pencher, côté cœur, notre petite balance intérieure. Un réconfort, menu bonheur de rien du tout, rendu de monnaie en pièces d'or et de joie. La bonté tout bonnement.

Les sourires nous manquent comme l'eau à l’assoiffé.

Faute de mieux, nous avons appris à reconnaître les rides au coin des yeux. Nous avons rééduqué nos regards, qui aimaient tant flotter vers les visages amis pour y chercher, qui un sourire à pleines dents, qui l'esquisse discrète du sourire. À présent nous guettons d'insignes indices : le coin d'un œil frisé ; un sourcil qui s'abaissant courbe doucement ; quelque fossette égarée haut sur la pommette. 

Hélas, d'économes nos moissons se sont faites rares. Raser les murs est devenu la règle ; s'en écarter l’exception. L'époque est à la crainte.

Certains au moment de croiser leurs semblables rentrent la tête dans la carapace de leurs épaules pour se faire discrets en même temps que se donner de la force. C'était déjà le cas avant, bien sûr ; mais avant, on avait le cœur à s'en amuser. À présent que nous pleurons nos sourires égarés, c'est là une larme de trop.

Le sourire d'une inconnue

Mais toi ! toi mon inconnue tu ne voulais rien savoir de ces larmes pleutrement pleurées ! Tu ne voulais rien entendre de ces deuils lâchement consentis. Toi que j'ai croisée à la volée de l'hiver, tu n'avais cure du régime sec et triste auquel nous avons communément acquiescé. 

C'était un mercredi. Le mercredi, après avoir déposé ma progéniture (presque) enthousiaste au solfège, je m'en vais marcher près du cimetière. Si j'étais cynique, je dirais que les morts aujourd'hui font preuve d'une fantaisie que les vivants ont abjurée. Surtout, j'ai une fâcheuse tendance à chercher le réconfort loin du bruit ambiant.

Enfin... C'était un mercredi aux ailes dorées.

Quel sourire que ce sourire ! que ton sourire, chère inconnue ! Un sourire adressé à rebours des angoisses intestines. Un sourire reçu en pleine crainte. Un sourire pour changer mes mondes intérieurs. Un sourire imprimé à l'envers de mes paupières, durablement, comme ces crus de Bourgogne dont la persistance dépasse l'espérance. Je le vois encore alors que j'écris, un œil à demi-clos et l'autre rivé aux mots qui te racontent.

C'était un sourire aux ailes enchanteresses.

Tu avais un bonnet blanc qui surlignait ton regard lumineux. Tu m'as regardé droit dans les yeux, à tel point que je n'ai pas douté une seconde que ce sourire ne me fût adressé. Et puis tu as dit bonjour, sans un mot, retroussant tes lèvres joyeusement arquées dans une adresse d'une délicieuse simplicité. J'ai entendu distinctement ce silence me dire : "merci de me croiser, cher inconnu ; merci de sourire avec moi de l'instant partagé."

Sais-tu, chère inconnue ? Au moment de perdre contact avec ton sourire, je me suis cru dans le jardin du Luxembourg du poème de Nerval : "mon bonheur passait, - il a fui !"

A contrario du narrateur de ce poème illustre (qui n'avait, c'est manifeste, pas eu le bon goût de lire Nerval),  j'ai osé me retourner après avoir compté dans ma tête. Un, deux, trois... trois secondes, pour découvrir ravi que tu t'étais retournée toi aussi. Avais-tu compté en même temps que moi ? En tout cas, tu t'es retournée de concert et nous nous sommes souris, encore une fois, pareillement amusés du tour que nous jouions à cet hiver long de plusieurs saisons.

Je n'ai pas osé retenir ton sourire par la manche. J'ai préféré continuer mon chemin en me promettant de ne jamais l'oublier. Mon bonheur passait, ne l'ai-je fui ?... Si je te recroise, peut-être te demanderai-je, à défaut de ton sourire, ta main - juste pour accompagner mes pas de promeneur du mercredi, cela va sans dire.

La magie des choses, c'est qu'à présent tu n'es plus une inconnue, car un sourire échangé vaut présentation.

Beaux et balsamiques sont les sourires sans les masques. Ils sont un baume qu'absorbe la peau et restitue au cœur sans détour.

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Lectrices, lecteurs, chers inconnu(e)s, rassurons-nous : nous nous sourirons demain à visages démasqués. Le mercredi, bien sûr - et pour faire bonne mesure le jeudi, vendredi, samedi, dimanche, lundi et mardi.

Et pour finir (en sourire) voici...

Quelques sourires malgré les masques ;

Et quelque sourire hors le masque :


dimanche 10 janvier 2021

Que ne suis-je la fougère ?

Il était une fois un jardin dans lequel les fleurs poussaient avec une joie féroce et délicieuse. Le jardinier ne les avait certes pas toutes plantées, mais il savait prendre soin de chacune, et chacune s'efforçait de se montrer à la hauteur de ses attentions. 

Nourris à l'engrais de la simple bonté, les astres de ce jardin dessinaient une constellation fertile, clémente et généreuse. Les arbres veillaient en bons pères de famille sur les massifs colorés ; ralentissant le vent de leurs branches déployées, faisant terreau léger de leurs feuilles déposées. Les fleurs se succédaient sans se pousser de l'épaule. 

Un monde vivait ici en harmonie - qui n'oubliait aucun.

Aucun ? Pas tout à fait : au fond du jardin, dans la fraîcheur ombragée du sous-bois, les fougères murmuraient leur détresse à leurs voisines les mousses.

"Avec nos frondes en guise de feuilles, triste camaïeu, et foisonnant sans far aux joues, nous sommes les oubliées de ce jardin. Nos spores feraient notre fierté s'ils voulaient bien s'offrir à la vue du voyageur. Au lieu de quoi ils nous ornent à revers, où le regard ne saurait accéder.

Que ne sommes-nous des plantes à fleur !... 

Corolle ou calice, peu nous importerait le flacon pourvu que nous eussions l'ivresse...! voyez ! même les orties et les conifères tissent des inflorescences - filandreuses pour les premières, insignes pour les seconds, mais qu'un œil avisé saura apprécier.

Et nous ? Nous sommes d'invisibles monochromes. Les abeilles nous ignorent ; les hommes nous méprisent.

Notre royaume  ! notre royaume pour une anthèse !"

Les mousses restèrent indifférentes à leur plainte. Car les mousses, les jardiniers en savent quelque chose, nourrissent un dessein profond dont elles eussent voulu qu'il demeurât secret : recouvrir le gazon - et ce aussi discrètement que possible. Aussi ne pouvaient-elles pas comprendre qu'on pût désirer se faire remarquer.

Nos ondines ptéridophytes continuèrent donc de souffrir dans une solitude silencieuse. Les fougères bruissent plus qu'elles ne vocifèrent - ainsi va la nature. Nul ne les entendaient maugréer à petit bruit. Le jardin continua donc de vivre en ignorant la part de ses habitants qui verdoyait sans fleurir. 

Mais dans son dos certaines prières avaient été entendues. Plic, ploc ! ploc-ploc-ploc ! voilà qu'à présent, l'heure sonnait à l'horloge des cieux en colère ! 

Ainsi l'orage éclata-t-il d'une fureur vengeresse. La grêle se mêla à la pluie à mesure que grondait le tonnerre. En quelques minutes les fleurs furent aspergées, mouillées, trempées jusqu'à l'usure. Les roses perdirent leurs pétales, les sauges s'aplatirent dans la boue, les cosmos burent la tasse jusqu'à la noyade, les graminées dégoulinèrent jusqu'au sol. 

De leur gloire passée ne subsistait qu'un vague souvenir. Le jardin souffrait de toutes ses fleurs ; tandis que dans le sous-bois l’ambiance était à la fête.

Les fougères aiment la pluie. Ou plutôt elles l'adorent. Elles frétillent sous l'orage, resplendissent au plus fort du déluge. À contre-pluie, elles se dressent fièrement ; face aux éléments déchaînés, elles ruissellent avec élégance. 

Dans le jardin, les visiteurs, hommes et animaux, avaient fui les plates-bandes pour se réfugier sous les arbres. Autour d'eux resplendissait l'immense et généreuse famille des fougères. Enfin, ils remarquèrent la beauté cachée sous l'apparente simplicité. 

Quelle élégance ! Ce feuillage, mon cher, on s'y draperait ! Les femmes et les hommes s'approchèrent, et firent l'effort de renverser le regard, découvrant les petits éclats d'or qui sertissaient les frondes. Jouant avec la pluie, les spores faisaient scintiller la scène toute entière, comme le rire d'enfant illumine la flaque d'eau. Tous firent la promesse de faire installer un banc en ces lieux, où l'on s’assiérait à l'entracte d'une visite, pour reposer les jambes et les yeux.

Au même moment, dans une plate-bande inondée, sa majesté la rose, pétales retournés, regardait son pied, pleurant comme tombe la pluie. 

Alors tout le jardin - ou presque ! - partagea le long sanglot d'une reine découronnée : 

- Que ne suis-je la fougère ?...



Que ne suis-je la fougère ? chanson traditionnelle celte interprétée par Mlle E. Geontran (sur une guitare du luthier Antonio Picado)






Au pied du camphrier

Chères lectrices, lecteurs, Après bientôt quatre ans, agapanthes & camphrier va fermer sur ces dernières lignes. J'ai décidé de mig...