Tu es l'enfant conjoint de mon histoire et de l'oubli. Tu as pour marraine mon imagination, qui veille sur tes cheveux dorés - dont l'ambre jouant avec le soleil évoque l'hiver des graminées. Tu fus foudre, feu, flammes, frappant hier un chêne qui se croyait invincible, et dont tu fendis les branches charpentières. Tu es à présent l'eau qui alimente, l'humus qui amende.
Tu es l'alme du jardin.
Tu as su d'abord te faire minuscule. Tu t'es glissé dans mes cartons sans déranger aucune de mes affaires. Je t'ai emporté partout sans le savoir. Tu as resurgi avant que n'éclose le printemps, au joli mois de février, soudain éclat sur une nappe de nuages gris, étourdissant mon hivernation parisienne. Tu as ranimé mes rêves d'une petite maison épinglée sur un jardin de couleurs.
Un déménagement plus tard, tu t'es posé à mes côtés sur la terre fraîche, comme le font les oiseaux qu'enhardit le travail du sol. Je t'ai reconnu tout de suite, mais je n'ai pas tourné la tête. J'ai continué de bêcher et tu ne t'es pas envolé.
Tu es là chaque fois que je sors goûter la beauté alentours. Niches-tu dans le recoin d'un arbre recouvert par le lierre ? Tu t'es installé dans mon jardin sans l'envahir. Je n'ai plus regret de toi ; je suis heureux de te trouver chaque fois que je pense à la beauté-valise des vies invécues.
Quand mes enfants font la ronde sur la pelouse, je te perçois, invisible au milieu du cercle, qui danse avec eux. Je suis heureux de t'avoir à mes côtés après avoir été triste de perdre l'idée de toi. Tu es songe enterré mué en terreau précieux. J’aime aujourd’hui tellement, et tout ce qui m’entoure ; mais j’aime aussi être riche d’un peu d’hier détricoté.Alors, j’écris ton nom du bout de mon sécateur, sur la terre nue, au pied des roses, avant d'y passer la griffe : C-ô-m-e, esprit espiègle du jardin.
Je ne te pleure pas ; tu es un rire dans le vent d'ouest.
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(Je vais vous faire un aveu. Cet article sibyllin, auquel je tiens comme à la prunelle de mon jardin, devait servir de point final à ce blog. Mais non : agapanthes & camphrier va repartir, comme une vivace joyeuse, pour une nouveau cycle de saisons. Nous vivons une époque aux prétentions moroses, et je crois profondément à la vertu balsamique de l'écriture. Par ailleurs, j'ai trop de sourires dans mes plates-bandes pour ne pas les partager !)
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(Enfin, rendons à Aguado ce qui appartient à Aguado : la jolie pièce qui attisa la passion de ma joueuse de guitare est la très belle étude en A mineur de Dionisio Aguado.)