mercredi 24 avril 2019

La pluie, l'homme et l'enfant



Ce week-end pascal, le soleil nous a été servi sec et sans glaçon. On aurait cru l'été. La supercherie fut si parfaite que nombre de mes tulipes s'y trompèrent et se consumèrent dans une ultime révérence. 

Elles sont parties bien tôt, trop tôt pour croiser le tout premier géranium du jardin : comme le ciel est cruel de priver les amoureux d'une simple journée en commun !

D'une seconde...



...à l'autre

La terre qui a vu naître les tulipes est sèche comme un mois de juillet ; déjà elle regrette la toute petite ombre de leur toute petite tête.  

L'homme qui les a plantées, lui, ne parvient pas à les ranger avec les jonquilles dans le placard des belles oubliées. Alors il ferme les yeux, plisse le front, convoque son imagination pour revoir sous le rideau de ses paupières leur silhouette incliner la saison. Les tulipes sont immortelles pour qui sait les rêver.


L'adieu à l'euphorbe



Tulipes au naturel, naturellement

  
L'ombre des tulipes


J'aurais préféré de la pluie. 

Pour accompagner l'humeur, à peine vacillante, fragile, douce, heureuse. Une pluie de rien, délicate, une étreinte prolongée, qui embellit en chuchotant, une goutte après l'autre. Quand l'averse se fait l'amie du jardin, on dirait la toilette d'un moineau dans une flaque ; quelques becquées d'eau claire, l'aile vive et preste, humecter sans détremper, ébouriffer pour mieux lustrer.

J'aurais préféré de la pluie.

Trois gouttes, puis trois gouttes, six gouttes de rien qui en font cent, mille, jusqu'à n'en plus pouvoir compter. Car on ne compte que les premières gouttes de pluie, celles qui se détachent avant que n'accélère l'averse : plic ; plic ; plic-plic-plic-plic...!

Quand elle aura cessé, ce sont les flaques que l'on comptera, avec la malice de l'enfant qui s'apprête à tremper ses chaussures - celui que nous sommes toujours au fond de nous.

Aimer, par-delà les flaques
Décidément, j'aurais préféré de la pluie. 

Je ne m'habituerai jamais à trop de soleil ; à la clarté qui aveugle, jusqu'à n'en plus discerner les nuances de l'âme.

Mon bonheur n'est jamais joie constante ; c'est une respiration, un souffle retenu, haletant, hésitant, qui conjugue surprise et confiance. Il faut quelques larmes pour attendrir mes sourires, sinon ils se brisent comme de l'herbe sèche.

J'aurais aimé un peu de gris d'où faire jaillir la lumière. J'aurais aimé qu'on me servît mon soleil allongé d'un peu d'eau.
 
Ne pourrait-il pas pleuvoir, disons, un jour sur trois ? 
Deux éclats de rire pour une goutte de mélancolie alcyonienne
Parfois deux sans trois, pour contredire le proverbe.
Ne pourrait-il pas pleuvoir entre deux averses de soleil ?

Souffle le vent, salue la pluie

J'aime l'expression : le vent se lève. Et la pluie ? Se lève-t-elle, elle aussi ? 
Non : la pluie s'éveille et se livre ; la pluie se confie, pudiquement.
Elle se déplie. Jusqu'à nos fronts soucieux qui la fuient sans l'éviter.
Et ce faisant, la pluie berce nos blessures.

La pluie lave nos peines à l'encre de sel.

Quand on prend la peine de pencher la tête en arrière, d'ouvrir la bouche pour accueillir les premières gouttes de l'averse, on perçoit sous la douceur du présent une saveur salée - légère, délicate, surprenante, comme si un esprit farceur avait jeté une pincée de pleurs dans le dos du cuisinier. 

Ce sel, c'est le nôtre qui affleure à nos lèvres. La pluie bientôt l'allongera de notre monde, présent et à venir.

Demain il pleuvra sur le jardin des mille grâces
Demain il pleuvra, mille gouttes pour deux têtes nues

Je passerai la journée au jardin avec mon tout petit grand garçon. Et je lui apprendrai à aimer cette pluie qui fait briller le cœur en-dedans.

Lui m'apprendra à ne plus avoir peur du soleil. 

 

lundi 8 avril 2019

Cueillir la vie


Cueillir au printemps, 

C'est cueillir sans la voler la vie qui naît sous la sève ; 
Dont on prélève une dose minuscule, à peine pruine, 
La poussière d’allégresse qui manquait à notre joie.
  
Quand le jardin lui-même se fait bouquet.

On se sert à la mesure, pas plus - et même un petit peu moins.

Car on ne cueille pas comme on achète 
- l’œil avide et les mains pleines.
Non. On cueille comme on chuchote 
- la main modeste, l’œil pétillant de tendresse.

La respiration contenue, le souffle doux,
Le corps lent, à la manière d'une fleur qui cherche le soleil.
Et puis, d'un geste sec, précis : trancher.
Prélever pour ne pas blesser ; et ainsi offrir, qui de repousser, qui d’égrainer.

Il est préconisé, dit-on, de ne pas excéder :
Quatre cinquièmes des annuelles ; nous en prendrons quatre.
Et les deux tiers des vivaces. La moitié conviendra.

Viola odorata. Comme son nom l'indique, un délice pour les sens.

Nous en ferons :

Tantôt des tisanes, tantôt un cadeau pour notre herbier. 
Ou simplement des bouquets, pour offrir, pour aimer mieux encore ceux que nous aimons
- et invariablement, un souvenir pour nous-même, que nous convoquerons chaque fois que le ciel fera grise mine de nous impressionner.

Nous en ferons des sourires. Les nôtres, les tiens. 

Les vôtres, toujours plus éclatants.
Vos sourires valent mille des miens, car je peux m'y réfugier.

Nous en ferons le sourire des vies ébréchées, le revif des villes éméchées. 
Le réveil du monde un peu fou, fou de bouder quand foisonne l'éden des verts pâturages, des prairies, des sous-bois ; quand rayonne l'ivresse des herbes folles. 
Des herbes folles comme le vent qui chatouille. 
Qui rient, frémissent, ondulent sous sa caresse.

Avec elles, nous rirons follement des capitules des pissenlits, qui, comme pour contredire le botaniste qui les nomma ainsi, ne capituleront jamais devant le glyphosate. Qui résisteront à la main assassine de celui qui prétend jardiner et s'attaque à la vie. De celui qui jardine comme on tue, à petit feu, la sève qui coule sous nos veines.

Nous rirons follement de lui avec les mauvaises herbes.

Nous remercierons celles qui acceptent de finir dans notre assiette
- ces herbes pas si mauvaises, loin de là ! piquantes, savoureuses... ou seulement jolies, comme une barrette de couleur sur les verts cheveux d'une salade de saison !

Nous remercierons aussi avec les herbes que nous tiendrons le plus loin possible de nos assiettes. Les dangereuses, les toxiques, les redoutables. Parfois injustement craintes jusque dans leur beauté, et qui méritent pourtant d'accéder à nos jardins.


Qui le méritent doublement, car il nous faudra les étudier avant de prétendre connaître les comestibles.
Pour ainsi les admirer comme admire notre mère la terre : sans préférence.
Et les apprendre à notre tour à ceux que nous aimons.
Pour qu'ils puissent les admirer comme admirent les savants en herbe(s) : sans risque.


Et le vent de souffler dans les cheveux du jardin...

Alors  nous pleurerons - un peu, à peine.
- et de joie seule !
Devant l'enfant qui nous imite, nous écoute. 
Qui apprend bien plus vite que nous. 
Retient le latin botanique. 
Et le récite à sa maîtresse comme on récite une poésie.  
D'une traite.
Le regard comme en soi-même, concentré. 
Les syllabes à la queue leu-leu. 
Vives et claquantes.
Puis le répète, lentement, professoral, avant de livrer son verdict.

Oui, oui, oui !




Vio-la o-do-ra-ta.  
Viola odorata. Comestible !
A-co-ni-tum na-pel-lus.  
Aconitum napellus. Mortel ! 

Non, non, non, non, non... (mais qu'il est beau, ce feuillage d'Aconit, qui n'est pas celui de napellus, mais de japonicum 'Fu iri' !)

Nous pleurerons de tout notre sourire devant l'enfant qui récitera fièrement la poésie des plantes.

Comme quand on aime montrer qu'on a encore grandi !
Comme on grandit bien, avec pour nous guider ceux qui nous précèdent, qui nous aiment plus qu'ils ne s'aiment eux-même.

Comme on grandit à tout âge, comme on pousse sans tuteur.
Comme grandissent les adultes qui écoutent les enfants.

Comme on cueille la vie.


(Avant qu'elle ne s'envole)





 


 

Au pied du camphrier

Chères lectrices, lecteurs, Après bientôt quatre ans, agapanthes & camphrier va fermer sur ces dernières lignes. J'ai décidé de mig...