vendredi 24 mai 2019

Ma thébaïde


Une fois n'est pas coutume, cet article oubliera (presque) le verbe à la faveur de l'image. Quand le vent souffle de l'en-dedans vers l'au-delà, de peu de mots germent mille photos.



La semaine passée, j'ai quitté mon jardin en chantier pour d'immuables collines : celles du Morvan, un auguste massif de basse-montagne qui fut le veilleur intermittent de mes vertes années. Adolescent, c'est à ses pieds, au sud où il s'en vient mourir, que je passais mes vacances. Outre le refuge d'un temps suspendu, j'y trouvais l'onguent d'un regard bleu doux - celui de ma grand-mère

Elle et moi avions en commun le goût du silence entendu, de la parole précieuse, des solitudes heureuses que l'on rompt en même temps que le pain, le temps d'un déjeuner suivi d'une promenade au jardin. Nous étions pareillement sauvages. Nous aimions la retraite, la quiétude des jardins retirés, le chahut de nos vies intérieures. Je me nourrissais de sa parole précieuse, de ses enseignements, de sa sagesse. Je me perdais dans le loch de ses yeux, les mille couleurs de son jardin, la nature partout autour de nous. 

J'aime le Morvan ; j'y ai déposé une partie de mon cœur. Je lui ai confié quelques sentiments anciens, aux braises attiédies, qui parfois m'encombrent un peu, mais auxquels je ne saurais renoncer.

La semaine dernière, j'ai retrouvé cet éden des souvenirs estompés. J'ai goûté à la délicatesse de Vézelay, le temps d'une échappée. J'ai aimé me perdre dans sa campagne.  

Pour se retrouver, il faut savoir s'égarer.

Je ne prémédite jamais tout à fait mes balades. Je vise large, comme tombe le caillou, par petits rebonds successifs ; je me promène au hasard, le pied vagabond et l'esprit buissonnier. J'ai la spontanéité à fleur de cœur, la surprise heureuse comme l'enfant. 

J'ai serpenté le long d'une rivière que je ne connaissais pas, et qui ne me quittera plus : la Cure. J'ai grimpé sur les flancs de sa vallée, promené mon ravissement dans ses sous-bois. Tous les versants sont à l'adret quand la nature se fait soleil ; mais c'est bien à l'ombre que l'on mesure la paix des arbres, dans l'intimité de la rencontre, alors que bouillonne l'âme. Ici, dans le secret de ma thébaïde, au creux d'une accueillante roche percée, j'ai contemplé des merveilles.  

Je vous propose d'en faire ensemble la revue, de l'aval à l'amont.

Quelque part au beau milieu de cette carte postale, un peu de moi (se) repose
Polygala vulgaris : on marcherait presque dessus, pourtant sa fleur est aussi originale que celle d'une orchidée.
Pilosella officinarum : l'indispensable petite fleur jaune parmi les petites fleurs jaunes, ou l'art de ne pas en avoir l'air
Euphorbe au saut du lit (de sa rivière)
Dianthus carthusianorum : sans lui, une falaise ne saurait être une falaise. Et le randonneur, un homme parfaitement heureux.
Melissa officinalis : quelques feuilles suffisent à vous parfumer de mille voyages
Salvia pratensis : dessine de ses lèvres bleues la fraîcheur matinale
Silene vulgaris : quelques ballons gonflés à la hâte par le talus, et c'est une fête qui s'offre au regard.
Forêt attenante d'un cimetière attenant. Un silence pour un murmure ; celui du vent.
Valérianes sur fond d'ancolies ; toutes deux vêtues de leur seule grâce. Ou quand un rien habille mieux que tout.
Madame, votre village est infiniment beau et votre maison, et votre jardin, et le silence que vous m'offrez, le sont plus encore.
Roche percée... ou porte vers l'eau de la... Cure ?
N'en a-t-elle cure, de mon regard qui ne parvient qu'à effleurer sa tranquillité ?


L’œil de la forêt. Me regarde-t-elle, ou se contente-t-elle de me voir par dessus son épaule ?

Echium vulgare et son vibrant visiteur.

Leucanthemum vulgare : aimer un peu, beaucoup, à la folle envie d'être fou - encore un instant.

Petit déjeuner en terrasse, début du périple...(et fin de la visite à rebours !)




J'ai écrit un jour que Vézelay redeviendrait un rocher à mes yeux si l'amour abdiquait. Je pense qu'à ce moment s'offrait à moi plus d'amour que je n'en pouvais contenir. Alors il s'est niché quelque part dans la pierre de Vézelay, à la manière d'un secret murmuré dans une faille, et qui aurait fait son nid, à l'abri de l'érosion, hors de portée de l'eau et des larmes d'un - trop - jeune homme.

mercredi 15 mai 2019

L'au revoir aux jonquilles

Chaque année, à la même époque, viennent et passent les jonquilles. J'ai appris à leur dire au revoir.


Jonquilles vives dans une terre nue

Quand je n'étais encore qu'un jeune homme, j'espérais un monde plein de toujours.  Les parfois m'effrayaient, les peut-être me terrorisaient. Comment dire au revoir dans ces circonstances ? Quitte à tout perdre, je préférais la certitude des adieux.

Je me souviens qu'un jour, à force de pleurer les toujours qui ne venaient jamais, je perdis la notion des saisons, oubliai ma propre cadence, et jusqu'au goût des fleurs.

Ce sont les jonquilles qui reconstituèrent le vase cassé de ma tendresse. L'anthèse d'une Jonquille est le sourire de la fleur à sa terre, un gage de confiance - un abandon aussi.


Si parfaite, si simple ; la première jonquille du jardin

Il était une fois une jonquille, d'éclat et douceur mêlés, qui perça ma glace et fit fondre des neiges qui semblaient éternelles.

Aucun hiver ne résiste aux jonquilles. Elles sont rire clair sous cape de grisaille. Elles éclairent nos visages, telles ces bougies farceuses dont on décore les gâteaux d'anniversaire, qui vacillent et fument sous le souffle, feignent de s'éteindre... et reprennent vie en crépitant ! On les ressort, chaque année un peu plus nombreuses, et puis on rit à nouveau du bon tour qu'elles nous jouent, les joues roses, le plaisir étincelant, comme au sortir d'un rendez-vous qui aurait tenu ses promesses - et un peu plus encore. 

Les jonquilles sont la clarté dont on habille le temps pour l'habiter un peu mieux.

Il était une fois un jonquille, cœur d'or et beurre, qui me redonna la gourmandise de la vie.

C'était avant que je ne m'évanouisse d'avoir volé trop près de ce minuscule soleil. Je n'ai pas su faire une respiration du souffle qui m'avait été rendu. Je n'étais pas prêt, simplement. J'étais encore fragile, hésitant, figé, comme ces jeunes pousses qu'on repique et qui paraissent végéter. En réalité, elles affermissent leur racines pour mieux monter à la conquête du ciel. Ainsi, mon envol attendit un second souffle, une autre vie. Une autre fleur ; mais qui n'aurait jamais pu réenchanter mon jardin s'il n'y avait eu un jour une jonquille pour en ameublir la terre.

Parfois je marche jusqu'à ce quai de gare où le printemps a jadis marqué l'arrêt. Je sais à présent y sourire.


Narcisse de chiffon


Lame ferme et doigts de coton

En contrebas de mon jardin, il y a ce Narcisse qui ne veut pas faner tout à fait, et que j'imagine être une Jonquille qui aurait pâli sous l'étreinte d'un ciel capricieux.

Quand vient le moment de trancher sa hampe, au faîte du printemps, j'ai la serpette nostalgique. Soudain je me décide. Je coupe net et délicat. Je tiens dans ma main le bouquet d'une seule fleur séchée. Alors, du plus doucement qu'il m'est possible, je me penche vers l'Orge et dépose à la surface de l'eau cet hier aux yeux voilés d'un rien de mélancolie. Et je laisse la rivière l'emporter loin de moi.


À l'issant de mon jardin secret, il y a cette Jonquille au teint clair qui s'éloigne sans entendre mon murmure : "Au revoir... peut-être..."





(Une toute petite précision : au sens strict, la jonquille désigne une seule espèce du genre Narcisse, Narcissus jonquilla. Toutefois, on use parfois de ce vocable pour désigner d'autres narcisses, qui s'en approchent par la couleur et la forme. Une fois n'est pas coutume, cette entorse à la botanique n'est pas pour me déplaire. J'aime trop les jonquilles pour leur en vouloir de ne pas en être tout à fait.)


lundi 6 mai 2019

Mariages pluvieux

Quel printemps, tout de même, que ce printemps ! Qui nous fait passer en une semaine de l'été à l'hiver ! Pour mieux revenir à lui-même ?


Derrière la pluie, les fleurs


Depuis trois jours, l'humeur est à la pluie ! Enfin, le ciel s'est laissé allé à quelques larmes. Et comme pleurer soulage, bientôt les flaques se sont faites ruisseaux, et les ruisseaux rivières. 

La tristesse trop longtemps contenue d'un climat fiévreux est venue au secours d'une terre asséchée. Enfin la pluie ! la vraie, intermittente indispensable du théâtre du jardin ! celle qui mouille, qui trempe, qui arrose ! Qui apaise.

Cette eau, les feuilles l'ont collectée, accueillie, recueillie ; puis l'ont offerte à l’ici-bas des racines assoiffées. 

Il n'en fallait pas plus pour que se bousculent à nos portes des plantes tentées par l'aventure du mariage pluvieux-heureux. Jeunes pousses et vieilles branches, vivaces fidèles, annuelles frivoles, amours bégayantes et rencontres d'un matin : personne n'est resté insensible au vent des folles ondées qui s'est levé sur la nature

Si la sècheresse isole, la pluie réunit.

Voici donc trois histoires d'eau fraîche et d'amour. Un amour tout en imagination - forcément, car quand les fleurs s'embrassent... le jardinier cligne des yeux.

La première scène est simple comme le jardin de tous. Une lisière de forêt. Offerte aux visiteurs... qui ne se bousculent pas. Derrière un petit talus, le miracle d'une rencontre sous la rosée. Deux fleurs sauvages semblent mélanger les couleurs du printemps de leurs tiges qui s'enlacent. Elles sont toutes deux issues de familles (modestement) riches, les caryophyllacées et les véronicacées.  

Ainsi, Stellaria holostea et Veronica chamaedrys ont marié bleu doux et blanc lumineux, un soir de printemps, sans autre invité à leurs noces que quelques graminées et un promeneur émerveillé.

Stellaria Holostea, Veronica chamaedrys, au cœur de la lisière enchantée


Revenons à présent à nos plates-bandes - tout juste plantées, et qui ne sont que terre vierge et vivaces endormies. Nous y avons célébré les noces d'une Rhubarbe bien établie, vivace fidèle et de longue vie, et une jeune annuelle sauvage et délicate, l'Alliaire officinale. La seconde est venue surprendre la première dans le confort de son jardin. L'une habitait son royaume de main d'Homme depuis plusieurs années, l'autre s'y est invitée dans un souffle d'air.  

Rien ne les prédisposait à se rencontrer.

Leurs feuilles se sont entremêlées dans un camaïeu de défi et de paix.

Saurez-vous trouver le petit jardinier caché dans cette scène ?

Alliaria officinalis et sa Rheum ssp.

Avant de céder au crépuscule, passons saluer les lumières de l'ombre légère : l'Epimédium 'Amber queen', reine des coins reculés, et son infatigable soupirant : Polemonium yezoense 'Purple Rain'. 

Ici, à chaque heure, le ciel est bleu profond, et les gouttes de pluie orange comme des clochettes.  

Certaines alliances me font oublier les mots derrières leur évidence.
C'est donc en silence que le bouquet de leur mariage fera briller mes yeux jusque tard dans la saison.

Le temps suspendu


Nous arrivons au terme de nos trois brèves histoires de pluies, de plantes et d'étreintes

Chaque éclat n'est qu'instant : la saison passera, et aucun moment à venir ne lui ressemblera tout à fait...

Ainsi, quand l'amour se raconte en équilibre sur le fil des fleurs, c'est toute la fragilité de nos vœux qui défile. Et avec elle, toute sa force.

(Je vous souhaite un mois de mai heureux, de sève, de vie, de douceur !)



Au pied du camphrier

Chères lectrices, lecteurs, Après bientôt quatre ans, agapanthes & camphrier va fermer sur ces dernières lignes. J'ai décidé de mig...