Cueillir au printemps,
C'est cueillir sans la voler la vie qui naît sous la sève ;
Dont on prélève une dose minuscule, à peine pruine,
La poussière d’allégresse qui manquait à notre joie.
Quand le jardin lui-même se fait bouquet. |
On se sert à la mesure, pas plus - et même un petit peu moins.
Car on ne cueille pas comme on achète
- l’œil avide et les mains pleines.
Non. On cueille comme on chuchote
- la main modeste, l’œil pétillant de tendresse.
La respiration contenue, le souffle doux,
Le corps lent, à la manière d'une fleur qui cherche le soleil.
Et puis, d'un geste sec, précis : trancher.
Prélever pour ne pas blesser ; et ainsi offrir, qui de repousser, qui d’égrainer.
Il est préconisé, dit-on, de ne pas excéder :
Quatre cinquièmes des annuelles ; nous en prendrons quatre.
Et les deux tiers des vivaces. La moitié conviendra.
Viola odorata. Comme son nom l'indique, un délice pour les sens. |
Nous en ferons :
Tantôt des tisanes, tantôt un cadeau pour notre herbier.
Ou simplement des bouquets, pour offrir, pour aimer mieux encore ceux que nous aimons
- et invariablement, un souvenir pour nous-même, que nous convoquerons chaque fois que le ciel fera grise mine de nous impressionner.
Nous en ferons des sourires. Les nôtres, les tiens.
Les vôtres, toujours plus éclatants.
Vos sourires valent mille des miens, car je peux m'y réfugier.
Nous en ferons le sourire des vies ébréchées, le revif des villes éméchées.
Le réveil du monde un peu fou, fou de bouder quand foisonne l'éden des verts pâturages, des prairies, des sous-bois ; quand rayonne l'ivresse des herbes folles.
Des herbes folles comme le vent qui chatouille.
Qui rient, frémissent, ondulent sous sa caresse.
Avec elles, nous rirons follement des capitules des pissenlits, qui, comme pour contredire le botaniste qui les nomma ainsi, ne capituleront jamais devant le glyphosate. Qui résisteront à la main assassine de celui qui prétend jardiner et s'attaque à la vie. De celui qui jardine comme on tue, à petit feu, la sève qui coule sous nos veines.
Nous rirons follement de lui avec les mauvaises herbes.
Nous remercierons celles qui acceptent de finir dans notre assiette
- ces herbes pas si mauvaises, loin de là ! piquantes, savoureuses... ou seulement jolies, comme une barrette de couleur sur les verts cheveux d'une salade de saison !
Nous remercierons aussi avec les herbes que nous tiendrons le plus loin possible de nos assiettes. Les dangereuses, les toxiques, les redoutables. Parfois injustement craintes jusque dans leur beauté, et qui méritent pourtant d'accéder à nos jardins.
Qui le méritent doublement, car il nous faudra les étudier avant de prétendre connaître les comestibles.
Pour ainsi les admirer comme admire notre mère la terre : sans préférence.
Et les apprendre à notre tour à ceux que nous aimons.
Pour qu'ils puissent les admirer comme admirent les savants en herbe(s) : sans risque.
Et le vent de souffler dans les cheveux du jardin... |
Alors nous pleurerons - un peu, à peine.
- et de joie seule !
Devant l'enfant qui nous imite, nous écoute.
Qui apprend bien plus vite que nous.
Retient le latin botanique.
Et le récite à sa maîtresse comme on récite une poésie.
D'une traite.
Le regard comme en soi-même, concentré.
Les syllabes à la queue leu-leu.
Vives et claquantes.
Puis le répète, lentement, professoral, avant de livrer son verdict.
Oui, oui, oui ! |
Vio-la o-do-ra-ta.
Viola odorata. Comestible !
A-co-ni-tum na-pel-lus.
Aconitum napellus. Mortel !
Non, non, non, non, non... (mais qu'il est beau, ce feuillage d'Aconit, qui n'est pas celui de napellus, mais de japonicum 'Fu iri' !) |
Nous pleurerons de tout notre sourire devant l'enfant qui récitera fièrement la poésie des plantes.
Comme quand on aime montrer qu'on a encore grandi !
Comme on grandit bien, avec pour nous guider ceux qui nous précèdent, qui nous aiment plus qu'ils ne s'aiment eux-même.
Comme on grandit à tout âge, comme on pousse sans tuteur.
Comme grandissent les adultes qui écoutent les enfants.
Comme on cueille la vie.
(Avant qu'elle ne s'envole) |
Quel joli et touchant texte, qui est bouleversant de vérité. Merci pour tes billets, qui me touchent toujours beaucoup.
RépondreSupprimerMerci pour ce commentaire, qui me touche tout autant !
SupprimerEmotion garantie à la lecture de tes poèmes chargés de tendresse et d'attentions, on à l'impression de d'écouter parler passionnément de ce qui te bouleverse et vis en toi
RépondreSupprimerTon p'tit bonhomme est heureux d'un père qui lui apprend la passion des plantes et de la nature ;-) je suis toujours admirative de tout ce que tu fais passer au travers de tes mots
J'aime beaucoup Dourdan, une ville que nous avions visité alors que nous cherchions à acheter à Saint chéron et Breuillet il y a quelques deux ans en arrière mais nous n'avons pas trouvé chaussures à notre pied
C'est bien que tu sois de retour, tu nous a manqué
Des bises
Pas autant que vos gentillesses m’ont manqué ! Ma disponibilité pour écrire, répondre et lire, tressaute encore un peu ; mais j’ai bon espoir d’être bientôt de retour, sans réserve cette fois.
SupprimerBises dans le vent jardinier.
Notre poète est de retour, porté par le cœur de ses enfants :-)
RépondreSupprimerContente de te retrouver.
Belle journée Geontran
Merci Estelle,
SupprimerMon retour plus assidu est pour très bientôt. J’ai dû faire du tri dans les obligations que je ne cesse de me créer, et j’ai conclu que je ne pouvais pas me passer d’écrire ni de (vous) lire.
Bises !
Quel beau retour Geontran avec tes tendres mots sur "Cueilir la vie". Ta poésie m'emporte au milieu de tes fleurs et des rires des tes enfants.
RépondreSupprimerBelle journée et mes amitiés
Merci Denise !
SupprimerLe temps enfin me revient ! Il m’a tant manqué... Alors je crois que vais la cueillir, enfin, la vie - sans me presser.
Amitiés au vent léger.
Cueillir la vie tout en délicatesse, c'est évidemment ce que l'on devrait faire, j'ai un petit neveu de 2 ans qui le fait si bien et c'est si touchant et rare, et donc précieux. Car la plupart du temps, les enfants qui n'ont pas le bonheur d'avoir un papa poète jardinier "tombent" plutôt les fleurs, sans état d'âme pour certains, quand ce sera pour d'autres avec l'intention de les offrir. Cueillir la vie, c'est tellement plus beau que l'Ankou qui fauche !Et c'est tellement vrai cette phrase relative à ceux qui nous précèdent et nous aiment plus qu'ils ne s'aiment eux- mêmes. Il n'y a que toi pour nous le faire remarquer Geotran. Alors merci à toi qui cueille aussi si bien les mots.Et douce soirée.
RépondreSupprimerMerci Maryline,
SupprimerOh, l’Ankou fauchera toujours, sans se lasser. Mais on cueillera toujours la vie, sans nous lasser nous non plus. Et ainsi, on aura toujours une vie d’avance sur lui.
À très bientôt.
Merci pour ce doux moment de printemps avec les enfants
RépondreSupprimerc'est vraiment très agréable
Et si doux d’être aussi gentiment lu en retour !
SupprimerÀ très bientôt, ici et sur ton blog, Nanie.
Bonjour Geontran, le poète quitte son hibernation pour nous conter le printemps à la manière d'un botaniste, d'un cueilleur averti et d'un papa attentif :-) En filigrane, j'aperçois les tulipes choisies au cours de l'automne et si ce joli bouquet est flouté, c'est pour laisser la part belle à de petites bleues plus modestes... Bon retour parmi nous et ne laisse pas passer le printemps sans nous avoir raconté toute son histoire! Bonne journée Geontran!
RépondreSupprimerAh, la modestie des véroniques ! C’est une Véronique qui m’a donné la vie, et elle est aussi modeste que les fleurs qui portent son nom. Je crois qu’elle m’a également donné l’amour des fleurs et des mots.
SupprimerÀ très bientôt (à Brest peut-être ?)
Oh là là, tu m'as mis la petite larmichette à l'oeil ! De toute beauté, mon Geontran, de toute beauté ! Cueillir la vie... Merci !
RépondreSupprimerBonsoir Istariel,
SupprimerEt tu m’auras retourné l’émotion ! C’est toute cette douce gentillesse qui me donne envie de me voler du temps pour revenir lire et écrire.
À tout bientôt.