mercredi 5 juin 2019

Les confidences du géranium

Il attendait une abeille, de toute ses fleurs.

Au détour d'une plate-bande, notre invité (Geranium pusillum)

Il n'est pas facile pour un géranium de sortir du lot. Des géraniums, il y en a partout autour de nous, sur le bord de routes, dans les parcs, sur les trottoirs. Certains s'échappent des jardins pour conquérir la nature ; d'autres font le chemin inverse, s'évadent des talus, s'enhardissent dans les plates-bandes dans l'espoir de s'y installer. Mince espérance ! les voilà soumis à l'arbitraire de la main qui désherbe !

Le géranium s'interrogeait :  

Qui sont-ils au juste, les hommes, pour décider qui vivra et qui sera arraché ? Ils nous jugent selon un critère aux accents publicitaires. Pour trouver grâce à leur yeux, il faut être doté "d'une floraison spectaculaire, abondante et prolongée". Quelle tristesse ! Pourquoi privilégier l'inflorescence au feuillage ? Le toujours à l'instant ? Nous, les géraniums sauvages, faisons souvent fleur modeste et feuille raffinée. Et si nous ne fleurissons pas toute la saison, comme le font nos camarades des pépinières, c'est simplement parce que nous préférons la sobriété à l'exubérance.

Le géranium pensait : 

L'homme succombe au charme de Rozanne et de ses héritiers, qu'il a créés à son usage, tant et si bien qu'il en oublie de regarder les minuscules étoiles que je lui offre.  

Non loin de là, un enfant, fils d'un jardinier et de la terre son aïeule, faisait avec son père le tour de leur monde. Il passait en revue les géraniums. Il jouait à demander : "celui-là, qui l'a planté ?" ; et son père répondait, invariablement : "c'est toi, c'est moi, c'est nous de nos quatre mains". 

À quelques pas de là, notre géranium songeait

Fleurir, ce n'est pas seulement s'offrir ; c'est aussi se mouvoir. Si je reste là, l'homme me déracinera sans même me regarder. Il me faut une abeille, pour me faire graine, m'envoler, voyager !

Et c'est ainsi qu'il fleurit jusqu'au regard de l'enfant, qui sut se pencher jusqu'à lui du haut de sa toute petite taille. À cet enfant, personne n'avait enseigné les canons des jardins. Alors il se contenta d'écouter le murmure des feuilles qui s'effleuraient. Puis il s'assit en tailleur, joyeux de sa trouvaille, afin d'admirer de plus près l'imperceptible exaltation d'une vie en miniature. 

Il demanda à son père : "qui l'a planté ?". Et son père lui répondit : "celui-là, ce n'est pas moi, ni toi : c'est le vent de tout son souffle".

À ces mots l'enfant fleurit à son tour - d'un sourire. Et il décida : "nous ne l'avons pas planté, mais nous saurons en prendre soin". Accompagnant sa promesse du geste, il inclina son petit arrosoir et versa un peu d'eau à son pied.

Aussitôt, le géranium sentit sa sève pétiller. L'écume des jours meilleurs à présent lui chatouillait les feuilles. C'était doux comme le frou-frou d'une abeille.

La sensation perdura, mi-fraîche, mi-tiède ; le réchauffant quand il faisait froid, quand le soleil prenait pudeur et se drapait de nuages ; le rafraîchissant quand il s'enhardissait, qu'il revenait brûler son feuillage.

Le géranium attendait une abeille ; il reçut le regard émerveillé d'un enfant. 


Pour illustrer notre histoire, une petite galerie de géraniums, du jardin et d'ailleurs :

Un cousin proche des géraniums : Erodium cicutarium (derrière lui, Rosa canina)
Geranium pyrenaicum sur fond de Geranium robertianum
Geranium X 'Terre Franche', hybride de renardii
On ne les présente plus : 'Orion' et 'Himalayense'
De la neige au printemps : Geranium sylvaticum 'Album'




24 commentaires:

  1. Coucou Geontran
    voila un enfant bien avisé de conserver ainsi un géranium joli
    J'en ai partout au jardin, sauvages qu'ils sont à pousser ainsi dans les allées, les massifs, la pelouse, je les laisse désormais faire leur vie, ils freinent la galopante avancée des adventices que je m’échine à arracher dès que l'envie m'en prend
    Passe une belle journée, perlée de pluie et de douceur assurée
    bises

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    1. Bonjour Chris,

      Oui, c'est un enfant d'une incomparable sagesse ! Je suis heureux de lire que mes lectrices semblent accueillir les géraniums voyageurs comme je le fais ! J'adore les géraniums. Mon premier coup de cœur fut Johnson Blue, chez mon oncle pépiniériste lorsque j'avais 12 ans. J'ai croisé son regard bleu et ne l'ai jamais oublié ! Depuis, je ne saurais concevoir un jardin sans géranium. Et la nature m'en rend au centuple !

      Belle journée, Chris !

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  2. Bonjour Geontran,

    Si tu me le permets, je lirai ton billet, si touchant et empli de poésie, à mes deux fils, ce soir. Ce sera dans la continuité d'Une si petite graine, que je leur ai lu et relu récemment. L'an dernier, au détour d'une promenadde, j'ai déterré un pied de Robertianum, perdu au milieu d'une forêt d'orties. Vrai coup de coeur pour la luminosité de ses fleurs! Et alors, magie de la nature, il a réussi à se multiplier par semis et j'en suis très heureuse ! Je le laisse prospérer à l'ombre, sous le Weigelia.

    Il y a bien eu de l'orage, hier. Aucun dégât au jardin, mais à seulement quelques kilomètres de distance, 3 enfants ont été frappés par la foudre...leur entraînement de football avait été maintenu, et ce en dépit de l'alerte orageuse. L'un des garçons est toujours entre la vie et la mort. Très triste...

    Belle et douce journée à toi !

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    1. Chère Istariel,

      Je suis très touché que tu lises mes mots à tes enfants. Ils viennent du cœur de mon jeune fils... et un peu du mien aussi.

      Tous les soirs, au coucher, j'invente des histoires à mes enfants, pleines de fleurs et de vie, de forêts, de sorcières sympas, d'animaux étranges. Les fins sont ouvertes, car ce sont eux qui me racontent la suite. Nous sommes responsables de cela, de la naissance de la poésie dans leur esprit.

      Nous sous-estimons les orages aujourd'hui. L'Homme manque de modestie, et ce sont ses enfants qui parfois en payent l'inconséquence. Et c'est infiniment triste.

      Je te souhaite malgré tout un beau jour de juin, Istariel. Mes affections.

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  3. Je découvre ton blog par effet de ricochets. Donc : chouette un nouveau blog, sur lequel d'ailleurs les liens mis vers d'autres jardins sont longuement observés au cas où !
    Bref... J'aime ton côté écrivain poète, il en faut dans le climat actuel...Ils ont bon dos les géraniums vivaces, mais grâce à eux un petit temps de lecture , une petite parenthèse.
    Ceci étant dit, revenons les pieds sur terre : les géraniums vivaces, une aubaine pour nos jardins.
    Au plaisir de te lire car je m'abonne...s'il n'y a pas de bug...

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    1. Bonjour Jacqueline,

      Merci de venir me lire avec ce plaisir palpable. Je découvre ton jardin avec un plaisir réciproque.

      Ah ça, oui : les géraniums vivaces sont une aubaine pour nos jardins. Ils sont faciles à vivre, tolérants, florifères !

      Belle et douce journée,

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  4. Bonjour Geontran, quelle jolie histoire sur cette ravissante fleur nommée Géranium, douce et délicate que l'on a envie d'en prendre grand soin.
    Bel et agréable après-midi.

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    1. Merci Denise. Oui, c'est le mot juste : le géranium est délicat. Et c'est ainsi que nous le traitons : avec délicatesse !

      Douce journée,

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  5. Céline / Bretagne5 juin 2019 à 17:21

    Bonsoir Geontran, encore un magnifique moment de poésie ! j'aime beaucoup les geraniums, et je les laisse s'inviter dans le jardin, j'apprécie ceux qui fleurissent peu de temps, la floraison est d'autant plus appréciée ! j'adore les petites fleurs des "robert", leur couleur accroche le regard lors de mes promenades dans les chemins de bord de Rance. Bonne soirée Geontran !

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    1. Bonjour Céline,

      Comme toi, les "Robert" me séduisent beaucoup. Ils sont couleur et feuillage, conquérants et modestes. C'est une fleur des champs et des jardins, qui ne connait pas les frontières !

      Bonne journée en bord de Rance,

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  6. j'ai bien fait de m’abonner à ton blog. C'est tout à la fois tendre un fil vers la nature et vers la poésie...
    Au jardin, j'en découvre sans cesse de nouveaux, des géraniums...Il y a mon préféré, celui qui vient de l'enfance et son odeur de petits chemins campagnards,le géranium "herbe à Robert"... Il y a celui là aussi, dont j'ignore le nom et que vent ou oiseaux ont apporté au jardin... Et puis, celui dont tu parles (si bien), celui-là, je reconnais sur ta photo sa fleur minuscule et sa feuille découpée...Et puis, un petit nouveau que je découvre dans ma "pelouse" : point de feuilles visibles, juste un petit œil rose et comme étonné d'avoir le droit d'être là...

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    1. Bonjour Capucyne,

      L'herbe à Robert est un souvenir commun. Difficile de faire une promenade au printemps sans croiser son feuillage découpé, son odeur étrange et ses adorables fleurs !

      Bonne journée,

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    2. Je le laisse pousser à sa guise au jardin ! Il parfume le moindre passage !
      Sur mon b log, une proposition d'écrire...j'ai pensé à toi, si tu le désires !

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    3. Bonjour Capucyne,

      Je relève avec plaisir ta proposition d'écrire. Ma cadette a dû être un renard dans une autre vie tant elle les aime. Et toute la famille avec elle.

      Amitiés

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  7. excellent ! Tu seras dans notre prochaine revue de blogs

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    1. Merci. Doublement ! Je suis honoré de cette invitation.

      Je me suis empressé d'aller lire (avec plaisir) votre prose réjouissante.

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  8. Bonsoir Geontran: J'adore le petit robert et il est roi dans mon jardin. C'est un excellent couvre sol et ainsi désherbant naturel au pieds des arbustes à fleurs. Ton histoire est délicieuse à lire. Bonne soirée et week-end

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    1. Oui, c'est très vrai : au-delà de sa poésie, c'est une aide précieuse pour couvrir certaines zones du jardin et éviter bien du travail de désherbage ! Il est un roi à plusieurs facette.

      Belles journée et semaine.

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  9. Toujours beaucoup de nostalgie pour moi dès qu'il s'agit de géraniums.
    Bon week end.

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    1. Merci. Les géraniums ont ceci d'universel qu'ils font les souvenirs de chacun. Tous ceux qui aiment la nature ont un géranium qui pousse dans le jardin de leur mémoire.

      Bonne semaine.

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  10. Nathalie de Brest9 juin 2019 à 09:12

    Bonjour Geontran,
    une jolie histoire qui me rappelle celle du Petit Prince.
    Le tien, de petit prince, est un protecteur des sauvageonnes que je laisse aussi fleurir parmi les "nanties", celles qu'on achète. Mais j'aime bien aussi les géraniums qui fleurissent pendant des mois! Les vivaces, alentours, changent mais Dreamland et Azure Rush restent, assurant de nouvelles scènes au fil des mois. Bon dimanche sous le soleil du matin à Brest! Bises Geontran

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    1. Bonjour Nathalie,

      Oui, nos bons vieux hybrides qui ne cessent jamais de fleurir ont toujours les honneurs de mon jardin. J'ai entendu le plus grand bien d'Azur Rush et tu me donnes envie de découvrir Dreamland.

      Bises !

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  11. Tu enchantes si bien la nature. J'aime ces confidences entre infiniment petits et ces conversations à trois. J'aime aussi beaucoup le conte, le conteur, les raconteurs d'histoire. Connais-tu le geranium pyranicum (je crois). Il est maintenant ici au jardin en blanc, il se dresse gracile sur de longues tiges qui se faufilent partout, on dirait un feu d'artifice. Il me vient d'une tite bouture offerte par une vieille jardinière, une grande dame aussi, Clémence Mallet, fille des anciens propriétaires du Bois des Moutiers (Varengeville sur Mer) et sœur de Robert Mallet de Shamrock, alors il est encore plus cher à mon cœur. Cet après-midi je vais apporter tes deux derniers textes à un vieux poète Breton, car il n'a pas d'internet et je lui ai déjà parlé de toi et de ton talent d'écriture. Il vite seul avec son perroquet en son vieux manoir. En te souhaitant un doux lundi de Pentecôte Geotran.

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    1. Bonjour Maryline,

      Au fond, je crois que c'est la nature qui m'enchante plus que l'inverse. J'essaie simplement de lui rendre un peu de ce qu'elle m'offre !

      Je suis très touché par l'histoire de ton pyranicum. C'est mon géranium préféré. Il a un port incomparable de légèreté. Je le connais sauvage, d'un rose teinté de lilas. En blanc, j'aimerais le découvrir !

      Je suis très ému de savoir que je vais être lu par un poète, qui de la feuille et la plume connait encore la sensation dont le clavier nous prive. Merci, tout simplement, d'en être la messagère.

      Toutes mes douces amitiés.

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