vendredi 22 mai 2020

Le nom des fleurs



Si beau... et botanique : Iris graminea

Je t'apprendrai le nom des fleurs. 

Pas celles des fleuristes - tu les connais déjà.
Je t'apprendrai le nom des fleurs des champs, le chant des fleurs des chemins, dont le murmure survit aux chaussures.

Je t'apprendrai le nom des fleurs insignes, ingrates et merveilleuses, qui poussent sur les sols tassés par le pas des hommes, choses délicates que l'on piétine et qui se relèvent dans notre dos lorsque le soleil leur tend la main.

En ce moment mon fils repique dans notre jardin des matricaires discoïdes qu'il prélève sur le terre-plein qui jouxte son école fermée. Il a découvert que le feuillage de cette plante que nul ne remarque dégage un puissant arôme d'ananas. C'est un délice ! Elle s'épanouit dans les sols inhospitaliers que l'on gratte avec peine. Pareil exotisme sur une terre dure et revêche... Quelle ironie ! quelle magie ! mystérieuse, charmante nature !

Matricaria discoidea : ananas sur son lit de cailloux
J'offrirai à ton jardin d'indestructibles compagnes qui se ressèmeront encore dans cent ans, quand tes petits-enfants devenus grands-parents évoqueront ton souvenir au coin de ta fenêtre préférée.

Car tu as forcément une fenêtre préférée - n'est-ce pas ?

Donne-t-elle sur un rosier qui t'est cher ? Une clématite vive et folle qui te rappelle combien tu es heureuse ? L'ombre d'un arbre qui t'appelle pour la sieste ? Un fruitier que vous avez planté en famille pour fêter l'achat de la maison tant et tant rêvée ? Ou simplement la pelouse où jouent tes enfants ? Ce qui est sûr, c'est que de cette fenêtre tu aperçois une plante, quelle qu'elle soit. Une fenêtre, quelle aubaine - où se tenir seul(e) un instant, suspendu, pour y laisser filer le regard et l'esprit. Peut-être qu'en y regardant mieux en détails tu discerneras là quelque matricaire qui prospère, anonyme, loin des regards émerveillés que l'on réserve à la lavande : offre-lui le tien, de regard, dont je sais combien il réchauffe.

De ma fenêtre
Je t'apprendrai le nom de mes enfants ; je te dirai combien leurs mains dans les miennes ont offert à ma vie son interminable sourire. Tu me diras le nom des tiens dont la naissance m'est inconnue ; tu me raconteras ce que j'ai raté. Peut-être pleurerons-nous ensemble en silence, sans regret. Simplement pour célébrer les années rattrapées. Rattrapées par un fil. Le fil de l'amitié, qui se déroulait derrière nous sans que nous ne nous en aperçussions.


Le nom des plus belles notes
Je le sais : toute cette belle joie que j'écris au futur n'existera que si tu deviens mon amie, si je deviens le tien, si je brise le silence dans lequel tu m'as muré, si je contreviens à ce mutisme auquel j'ai acquiescé lorsque tu me l'as demandé. 

Depuis cette lettre par laquelle tu m'ôtas la langue et la plume, je t'écris une réponse que je recompose à l'envie, régulièrement, sans jamais l'envoyer. Je t'y refuse de perdre notre amitié ensevelie sous le reste - vécu jusqu'à l'abcès. Je sais qu'un jour viendra où je m'accorderai le droit de t'adresser ce signe, sans réel espoir de réponse, mais qui achèvera de faire taire mes regrets. 

J'aurai alors essayé de transformer le conditionnel en futur. L'amour fâné en amitié florissante. Comme le matricaire transforme la terre stérile en une délicieuse forêt d'ananas.

De l'amitié l'étincelle...
 ... la douce flamme - Meconopsis cambrica

4 commentaires:

  1. Comme cette histoire t'a marqué, blessé aussi pour que les cicatrices ne soient pas tout à fait refermées que tu veuilles toujours conserver quelques liens avec elle
    Le passé construit notre futur sur lequel il influe malgré tout, malgré nous, nous prenons un chemin pensant qu'il sera beau et doux sous les pas, la vie nous apprend qu'il ne l'est jamais autant qu'on a bien pu l'imaginer
    Je te raconterais qu'enfant je faisais ce rêve régulier, je me trouvais devant une jolie barrière toute blanche prolongée d'un chemin fait de sable et de petits graviers jolis, là un petit portillon m'invitait à entrer ce que je faisais, je découvrais une prairie vallonnée verdoyante ou le soleil brillait sans éblouir... mais à côté du chemin menant à cette clairière il y avait un chemin plus sombre, constellé de cailloux et d'épines, c'est celui que j'ai pris pensant que je pourrais changer les choses... j'ai retrouvé cette clairière dans un rêve il y a environ 3 ans, la barrière était toujours aussi blanche, j'ai ouvert le portillon et j'ai retrouvé ma clairière où brillait un soleil voilé comme atténué, j'ai compris que la décision que j'avais prise de prendre ce chemin plutôt que l'autre avait intégralement changé ma vie, pas comme je l'aurais voulu non, j'ai juste fait comme j'ai pu jusqu'à aujourd'hui, moi aussi j'aimerais revenir en arrière, refaire tout dans l'autre sens et ne jamais prendre ce chemin, combien ma vie aurait été différente, combien j'aurais été heureuse et choyée...
    ne te morfond pas dans le passé, il n'est que la résultante de tes choix du moment et ne doit pas contraindre ta vie d'aujourd'hui bien remplie, joyeuse et heureuse je l'espère
    Oh toi le jardinier dont le coeur remplit d'amour évoque la vie avec autant de beauté, cherche le soleil plutôt que la nuit, trouve le bonheur plutôt que l'ennui, tout cela tient à bien peu de choses que l'on passe à côté de beaucoup de belles choses s'en même s'en rendre compte
    Mes amitiés matinales un brin humide, il pleut, c'est bon pour le jardin

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    1. Bonjour, Chris, et merci pour la douceur de tes mots. Oui, cette histoire m'a marqué. Mon cri aujourd'hui est cri d'amitié perdue... avant même d'être gagnée.

      Mais c'est ainsi : les histoires d'amour qui finissent mal enfantent rarement de grandes amitiés. Je trouve cela infiniment dommage.

      Amitiés d'une journée lumineuse !

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  2. Je les connais bien ces rêveries autour du passé qui ressurgissent, elles ne me font maintenant ni mal ni bien je crois bien que je les laisse défiler, flotter, comme une tite méditation tout en sachant qu'elle reviendront car mon esprit est comme cela. Il y a 30 ans un ami proche m'avait dit de ne pas repartir en arrière et je l'ai écouté, que de fois depuis je me suis mise à douter. Mais on ne peut revenir en arrière, peut-on juste espérer ou penser que l'avenir s'il le doit changera peut-être la donne ?. Cette matricaire m'est arrivée ici dans le tas de terre moche et lourde déversée par un agriculteur du coin, mais contrairement à ton fiston je ne m'y suis pas penchée à la sentir, et comme elle est bien envahissante là où elle était je l'en ai chassée tellement je trouvais plus jolie les camomilles plantées dont j'ai commencé une tite collection. Profite bien de tous ces moments avec tes enfants cela passe tellement vite, je suis maintenant rendue à apprendre le détachement ou comment laisser ma fille vivre sa vie et c'est duuuuuuuuur tu ne peux pas savoir. Bizzzzh d'encouragement Geotran.

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    1. Elles sont jolies, les camomilles que l'on sème et que l'on plante. Mais aucune n'a le parfum du matricaire discoïde, dont l'ingrate floraison n'augure en rien du vertige qu'il procure !

      Oui, flotter dans le passé, sans se laisser emporter, ni lui tourner le dos : ça me paraît parfait. Tout est question de mesure, comme souvent.

      Belle, douce, ensoleillée - heureuse journée !

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